Cour d’appel, Paris, Pôle 5, Chambre 7, 28 mars 2013, RG n° 2011/18245
La décision n° 08-D-30 [1] du 4 décembre 2008 du Conseil de la concurrence (devenu Autorité de la concurrence) a été confirmée par la Cour d’appel de Paris statuant sur renvoi de la Cour de cassation. En 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait en effet censuré [2] un premier arrêt de la Cour d’appel de Paris [3] concernant l’application du droit de l’Union européenne.
La société Air France avait déposé plainte le 16 janvier 2003 devant le Conseil de la concurrence, pour dénoncer le déroulement anormal de l’appel d’offres que la compagnie avait organisé en 2002 pour l’approvisionnement en kérosène de son escale à la Réunion (l’aéroport Roland Garros). Les entreprises Total Outre-Mer, Total Réunion, Chevron Global Aviation, Shell SPS et Esso S.A.F. ont été condamnées à une amende de 41,1 millions d’euros pour s’être rendues coupables d’une entente ayant faussé la concurrence lors dudit appel d’offres.
Cette affaire soulève la problématique de l’application du droit de l’Union européenne, application soumise à l’existence d’une affectation du commerce entre États membres de l’Union européenne. Cette notion est définie par la Commission européenne dans ses Lignes Directrices [4] lesquelles mettent en avant trois critères cumulatifs qui permettent de démontrer son existence :
- Le fait que le commerce entre États membres est possible dans le secteur économique concerné. Il existe en effet certains domaines qui ne sont pas entièrement soumis au droit européen tel que le secteur de la santé.
- Il est de même nécessaire que la pratique en cause affecte le commerce entre États membres. Il faut ainsi démontrer qu’en l’absence de ladite pratique, le flux d’échanges transfrontaliers entre États membres aurait suivi une évolution différente.
- En définitive, l’affectation du commerce entre États membres doit-être « sensible », il faut donc que les accords et pratiques en cause soient susceptibles d’avoir des effets d’une certaine ampleur. [5]
Si la Cour d’appel de Paris avait d’abord confirmé l’analyse du Conseil de la concurrence, la Cour de cassation est pour sa part venue casser l’arrêt, aux motifs que l’existence du caractère « sensible » de l’affectation du commerce entre États membres ne pouvait être fondée sur la seule taille des entreprises et le lieu de leurs activités et « devait être apprécié en priorité au regard du volume de ventes affecté par la pratique par rapport au volume de ventes global des produits en cause à l’intérieur de cet État » (nous soulignons).
La Cour de cassation avait alors fait une lecture restrictive des Lignes Directrices de la Commission européenne. [6] Cette dernière est donc intervenue dans cette affaire sur le fondement d’une procédure d’« amicus curiae » pour faire valoir sa doctrine.
La Cour d’appel de Paris dans son nouvel arrêt procède à une analyse très poussée du caractère « sensible » de l’affectation du commerce entre États membres et met en œuvre un « test multicritères », pratique qui avait depuis été adopté par la Cour de cassation dans sa décision sur des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Telecom en janvier 2012. [7] La Cour d’appel de Paris adopte donc dans l’affaire de l’approvisionnement en carburéacteur de l’aéroport Roland Garros, une lecture souple des Lignes Directrices de la Commission européenne et conclu, en application d’un large faisceau d’indices (sept critères distincts), que « la réunion de ces éléments qui, pris isolément ne seraient pas nécessairement déterminants, établit que l’entente reprochée aux requérantes était de nature à affecter sensiblement les échanges communautaires ».
[1] Conseil de la concurrence, 4 décembre 2008, Décision relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Aviation, Total Outre-Mer et Total Réunion, n° 08-D-30,.
[2] Cass., com, 1er mars 2011, Bull. 2011, IV, n° 29.
[3] CA Paris, Pôle 5, Chambre 5-7, 24 novembre 2009, RG n°2009/00315.
[4] Commission européenne, Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JOUE 27 avril 2004.
[5] Voir point 44 des Lignes Directrices susmentionnées.
[6] Voir en ce sens le point 90 des Lignes Directrices susmentionnées.
[7] Cass., com., 31 janvier 2012. Bull. 2012, IV, n° 16.
Dans cette affaire, plusieurs critères avait ainsi été identifiés, à savoir : (i) la nature des pratiques, (ii) la nature des produits concernés, (iii) la position sur le marché des entreprises en cause et (iv) le volume de ventes global concerné par rapport au volume national. La Cour de cassation avait en outre insisté sur le fait que ce dernier critère n’est « qu’un élément parmi d’autres ».