La mission confiée par Rachida Dati à Philippe Léger, ancien avocat général à la Cour de Justice des Communautés Européennes, avait pour objet de donner une meilleure lisibilité aux règles de droit pénal et de procédure pénale, et plus spécifiquement et nommément de clarifier la confusion entre les pouvoirs d’enquêtes et les pouvoirs juridictionnels du juge d’instruction.
La volonté de l’ancien garde des Sceaux est imprimée dans l’acte de mission et vise à la mise en place d’un « juge dédié à la seule défense des libertés », soit la création d’un habeas corpus à la française.
Le Comité présidé par Monsieur Léger a recentré sa mission, trop large à l’origine, sur la procédure pénale, dont il estime que la nécessité de réforme est plus urgente et plus impérative.
La réforme la plus profonde et dont la presse s’est largement fait l’écho, préconise donc la suppression du juge d’instruction.
L’idée exprimée par Rachida Dati dans son ordre de mission était de séparer les pouvoirs d’enquête et de jugement pour une plus grande protection des libertés.
Le rapport s’empare naturellement de cette idée et prévoit que:
– Les pouvoirs d’enquête et de poursuite sont confiés au Parquet qui bénéficie donc d’un accroissement significatif de ses pouvoirs mais surtout qui conformément à la mission du juge d’instruction est amené à mener ses investigations « à charge et à décharge ».
– Le contrepoids à ce renforcement serait : l’instauration d’un juge doté de larges prérogatives pouvant contrôler l’action du parquet, le renforcement des droits de la défense, l’accroissement des droits de la victime.
Ainsi, certains pouvoirs d’enquête particulièrement intrusifs impliqueront la saisine du « juge de l’enquête et des libertés » : écoute téléphonique, sonorisation, perquisition hors flagrance, de même que les actes coercitifs tels que mandat d’amener ou d’arrêt, prolongation d’une mesure de garde à vue, contrôle judiciaire et sous certaines conditions, détention provisoire.
Comme dans le cadre de l’instruction, le mis en cause (anciennement « mis en examen », changement de vocabulaire bien inutile), tout comme la victime, pourra devenir partie à l’enquête, demander des actes au procureur pendant la procédure d’enquête, et saisir le juge de l’enquête et des libertés en cas d’inaction ou de refus du parquet.
La justification de cette réforme est incontestable : repenser le rôle du juge d’instruction et cette difficile compatibilité entre le pouvoir d’enquête et le pouvoir de juger, en l’occurrence de renvoyer ou non devant les juridictions de jugement.
Mais les propositions du rapport Léger pour répondre à cette problématique sont pour le moins étonnantes dans leur principe : donner au parquet le pouvoir d’enquêter et le pouvoir d’accuser constitue une incompatibilité plus flagrante encore que celle qui affectait la mission du juge d’instruction. S’il est difficile pour le juge d’instruction d’instruire à charge et à décharge, est ce que cela ne sera pas d’autant plus difficile pour le parquet ?
Le léger renforcement des droits de la défense* et le contrôle extérieur du juge de l’enquête et des libertés ne semblent pas à même de remédier à cette contradiction et ce d’autant moins que la réforme ne prévoit pas de renforcer l’indépendance du parquet.
N’aurait-il pas été plus efficace de prévoir un collège de juges d’instruction qui aurait évité les dérives générées par la détention du pouvoir d’investigation et de décision entre les mains d’un seul homme nécessairement faillible ?
La matière pénale fascine et effraie mais en dehors des professionnels, peu s’investissent dans son élaboration, tant la matière est complexe et les réformes nombreuses.
Pourtant, non seulement aucun n’est à l’abri d’être exposé directement ou indirectement à une poursuite, mais surtout la procédure pénale est le socle de notre état de droit, la garantie du respect des droits de l’individu dans une démocratie.
Il est essentiel que toute réforme ait d’une part pour objectif l’équilibre entre une efficacité répressive et le respect des libertés individuelles et d’autre part soit utile, dans un souci de sécurité juridique.
Les propositions qui ont été faites dans le rapport Léger semblent faussement simplificatrices et l’on peut douter de l’efficacité de la réforme de l’instruction au regard de son objectif premier qui est la protection des droits individuels en clarifiant la répartition des rôles dans la phase d’investigation. La CEDH pourrait avoir à redire au fait que le Procureur, partie au procès, détienne l’ensemble des pouvoirs d’enquête.
Les propositions du rapport Léger ne seront mises en œuvre que sous deux à trois ans. Dans ce délai, il appartient à chacun de soumettre le problème à la réflexion, de réagir, de critiquer, de proposer.
*protection renforcée du mis en cause à sa demande dès la première audition, intervention de l’avocat à la 12ème heure de garde à vue et consultation du dossier en cas de prolongement de la garde à vue pour les réformes de droit commun, enregistrements des auditions.