C’est Pâques, les cloches et la commission présidée par Jean Michel Darrois nous ont fait cadeau d’un beau rapport de 199 pages avec introduction historique, lettre de mission du Président de la République et moult annexes, l’esnsemble fourmillant de suggestions, de modernisations et d’ouvertures.

Dans la galaxie juridico-judiciaire (en France mais aussi à l’étranger), toutes les personnalités qui comptent, les associations représentatives, les confédérations importantes, les syndicats incontournables ont été entendus. Tout a été pesé comme des oeufs… de mouches dans des balances… en toile d’araignée. Il ne manquait pas un bouton de guêtre au rapport lors de sa remise à son commanditaire. Nous apprenons avec plaisir que le chef de l’Etat a salué la qualité et la pertinence des propositions de ce rapport.

I LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT

Selon la Chancellerie le rapport vise d’abord à renforcer et à ouvrir davantage les professions juridiques. Il propose à ce titre (1) d’élargir et de rénover la profession d’avocat et de moderniser certaines professions à statut d’officier public et ministériel, (2) d’inciter les professionnels à travailler ensemble et (3) de moderniser l’accès au droit et à l’aide juridictionnelle afin de mieux satisfaire les besoins des justiciables. Tout le monde a son œuf en chocolat, personne n’a été oublié !

1. Des professions « plus fortes, plus ouvertes, plus modernes »

a. L’exercice de la profession d’avocat

Le lobbying a été féroce et les débats animés. Au final on relèvera: la réalisation de la fusion des professions d’avoué et d’avocat, le maintien du statut actuel de la profession de notaire, le maintien du monopole de profession des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, la suppression du monopole territorial de la postulation à l’horizon décembre 2014. A noter également la volonté de favoriser le développement des cabinets français à l’étranger et d’accroître les exigences professionnelles (notamment en encourageant la transparence dans les rapports client / avocat et enréorganisant la gouvernance de la profession).

b. Un statut d’avocat en entreprise

Ce statut permettrait aux juristes d’entreprise d’être inscrits sur un tableau spécifique du barreau avec les droits et obligations de l’avocat à l’exception du droit de plaider et de développer une clientèle personnelle. Les premières réactions du barreau, très divisé sur la question, sont mitigées.

c. L’acte d’avocat

Il s’agit de renforcer la valeur de l’acte sous seing privé signé par les parties lorsqu’il est contresigné par l’avocat en le tenant pour légalement reconnu au sens de l’article 1322 du Code civil et par conséquent, en lui attribuant entre les parties la même force probante que l’acte authentique. Nous reviendrons dés le mois prochain sur cette proposition importante.

2. Inciter les professionnels à travailler ensemble

La Commission souhaite améliorer la formation universitaire des professionnels du droit en offrant une plus grande place faite aux matières non juridiques en développant l’accueil des étudiants étrangers et de la formation continue. Saluons la suggestion de mise en place d’un tronc commun de formation avocat-magistrat d’un an (dans des écoles de professionnels du droit).

Le « Conseil National du Droit » serait remplacé par un « Haut Conseil des Professions du Droit » doté de la personnalité morale. Pour les profanes, le « CND », une commission administrative à caractère consultatif, vient (venait ?) d’être mise en place par décret du 29 avril 2008. Placé auprès des ministères de l’enseignement supérieur et de la Justice, le Conseil a pour mission de « réfléchir à l’enseignement supérieur du droit, aux relations entre les établissements de formation et les professionnels, à la formation et à l’emploi des juristes ainsi qu’à l’orientation et les modalités de la recherche juridique en France ». Souhaitons bonne chance et longue vie au nouveau futur « HCPD ». En France, la recherche de l’avenir semble plus porteuse que l’avenir de la Recherche.

3. L’accès au droit et à l’aide juridictionnelle

Il s’agit de mieux satisfaire les besoins des justiciables s’agissant de l’accès au droit, de l’assistance dans les pourparlers transactionnels, et des bureaux d’aide juridictionnelle dont le financement par l’Etat est réaffirmé. Parallèlement, le rapport préconise une meilleure maîtrise du coût de l’aide juridictionnelle. Faire mieux avec moins ?

J’allais oublier l’objectif baroque visant à rendre le système « plus lisible pour ceux qu’il concerne » figurant dans la lettre de mission du Président de la République.

II QUELQUES REMARQUES SUR LE RAPPORT ET SON AVENIR

Le ton est apaisant et œcuménique ; style « Science-po », châtié (châtré ?) et consensuel. On a parfois le sentiment de lire un programme de candidature au Conseil de l’Ordre ou au Bâtonnat. Derrière les mots policés, au sein de la Commission, les débats ont du être houleux et les explications franches. Les lobbies en tout genre n’ont pas chômé. Beaucoup de compromis à l’arrivée. Le genre de la loi et la loi du genre…

L’absence de fusion entre les professions d’avocat et de notaire n’est pas un scoop. Personne n’en voulait vraiment et l’heure de la « TTGPD » (Très Très Grande Profession du Droit) -avec ou sans OPA hostile- n’a pas encore sonné. Le statut d’avocat en entreprise est un pis aller qui risque de mécontenter tout le monde. Il faut dire que le terrain est particulièrement miné. L’acte d’avocat est une vraie satisfaction pour le barreau mais la contre attaque des notaires ne saurait tarder. A suivre.

Restent le « bon sens » qui rassemble et rassure, et la « modernisation » (un jargon qui mange d’autant moins de pain qu’on ne sait pas trop ce qu’il veut dire). Les titres et têtes de chapitres du rapport sont délicieusement consensuels, taillés comme des massifs de buis dans un jardin à la française (avec soin et esprit de symétrie) : «Des professions plus fortes et plus ouvertes… Une profession élargie et rénovée… Inciter les professions du droit à travailler ensemble… Mieux satisfaire les besoins des justiciables démunis… Diversifier le financement de l’accès au droit… »

Et maintenant ? Le Président de la République a demandé au Garde des Sceaux de soumettre les propositions de la commission à la concertation, afin d’aboutir à une loi dans les meilleurs délais. Le rapport Darrois va pouvoir rejoindre ses prédécesseurs sur les étagères de la modernisation de la Justice, e.g. les rapports, Fauchon-Jolibois , Nallet, Coulon, Roustand, Attali, Guinchard, Magendie (pardons pour ceux que j’ai oublié). Le char de la modernisation est en route, rien ne pourra l’arrêter.

C’est un char lourd, personne n’en doute… Mais sera-t-il assez performant pour défendre les couleurs tricolores dans les batailles du droit qui font actuellement rage (Common law v/ droit civil, droit public v/ droit privé, droit national v/ droit communautaire, etc). J’ai des doutes.

Les conclusions quelque peu traumatisantes du rapport de la banque mondiale « Doing business » sont toujours dans les esprits. Le droit est devenu un front important d’une guerre économico-culturelle globale. Il faut défendre Cujas à l’export, et vendre le doyen Ripert aux Chinois.

La France qui historiquement a toujours joué la carte du droit public, a mal négocié le virage de la dernière décennie de mondialisation et re-féodalisation accélérée. La récession mondiale en cours accouchera de nouvelles gouvernances et régulations et favorisera certainement une redistribution des cartes qui pourrait redonner des couleurs à Pothier.