« Comme je descendais des sondages, impassible,
Je ne me sentis plus guidé par les rumeurs:
Des Peaux-Rouges criards m’avaient pris pour cible,
Mélenchon m’ clouant nu au poteau de douleur.
J’étais soucieux de cet affreux chômage,
A court de blés flamands ou de biffetons anglais.
Quand avec mes râleurs ont fini ces tapages,
Bruxelles m’a laissé descendre sous le budget.
Dans les clapotements furieux des monnaies,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les déficits enfoncés
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a châtié mes illusions ultimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai joué du pipo
Qu’on appelle rouleur éternel de victimes,
Douze mois, sous l’œil clos du Ayrault !
Plus douce qu’aux enfants la chair des tonsures,
Cahuzac pénétra ma coque de Sapin
Et des taches de pots-de-vin et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernance et gredins.
Et dès lors, je me suis noyé dans la peine
De la Mer, infusé d’astres, et déliquescent,
Dévorant les azurs verts; où, flottaison blême
Et ravie, DSK pensif parfois descend;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du discours,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de Montebourg !
Je sais les déficits crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
Ségo exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai cru quelquefois ce que Schröder a pu voir !
J’ai vu le soleil bas, taché de rigueur drastique,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin les frissons des exilés !
J’ai rêvé la nuit verte aux recettes éblouies,
Baiser montant aux yeux du fisc avec ferveur,
La circulation de bénéfices inouïs,
Et l’éveil jaune et bleu d’une TVA en fleur !
J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent freiner les mufles aux mariages putatifs !
J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des maires, de furieux homos !
J’ai vu les ministères, des marais énormes, arnaques
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d’eaux au milieu des énarques,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !
Glaciers, soleils d’argent, flots crasseux, cieux de pèse !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés de fadaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !
J’aurais voulu montrer aux français ces dorades
Du flot bleu, ces caisses d’or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Mais d’ineffables vents m’ont plombé, moi Président
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
Le G8 dont les sanglots faisaient mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes
Et je restais ainsi qu’un grec, à genoux…
Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles
Des grévistes descendaient dormir, à reculons !
Or moi, bateau perdu sans boussole, sans vaillance,
Jeté par l’ouragan, dans l’éther, en maillot,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché mon pédalo qui prend l’eau;
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant, comme un dur
Qui porte, confiture exquise et bonne andouillette,
Des flambis caramel, plus dur que Balladur;
Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des ‘communiquants’ noirs,
Quand mon Augier faisait venir à coups de fric
Les cieux ultramarins, la conquête du pouvoir;
Moi Président, sentant geindre à cinquante lieues
La rue de Solférino et les courants mauvais,
Fileur éternel des immobilités, vétilleux,
Je regrette l’Europe aux anciens pourparlers !
J’ai vu des déficits sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts aux traders :
– Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô viles boursicoteurs ?
Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubry sont navrantes.
Toute lune est atroce et Ségolène amer :
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô qu’arrive Trierweiler !
Si, je désire une autre Europe, pas vache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un français accroupi plein de tristesse, lâche
Son industrie frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de moissons,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni godiller sous les yeux consternés de la nation ».
(Del Basta, 26 mai 2013)
D’après Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre » : http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/arthur_rimbaud/le_bateau_ivre.html