Après deux ans de travaux et une mobilisation de plus de 200 professionnels du milieu de l’arbitrage, la Chambre de commerce internationale (CCI) a annoncé l’adoption de son nouveau règlement, qui entre en application à partir du 1er janvier 2012. Tous les dix ans la CCI révise son règlement d’arbitrage afin de le moderniser et mieux satisfaire les besoins des utilisateurs. La mise à jour du Règlement s’est articulée autour de trois grands axes : l’adaptation du règlement à la croissante complexité des litiges et au besoin d’obtention de mesures provisoires urgentes (I), la réduction des délais et des coûts (II), l’adaptation du Règlement aux arbitrages d’investissement (III).
Le nouveau Règlement conserve la flexibilité qui traditionnellement caractérise la procédure arbitrale CCI. Entre autres, sont toujours présents les Terms of Reference ou Acte de mission (art. 23), ainsi que le rôle des Comités Nationaux dans la désignation des arbitres.
Des nouveautés ont été introduites dans le Règlement, issues de l’expérience acquise pendant les 13 dernières années. Ainsi, la plupart des innovations ne sont qu’une « codification » de pratiques communément utilisées par le Secrétariat de la CCI. Les principaux changements plus ou moins remarquables seront exposés ci-après.
1- L’arbitre d’urgence (article 29)
Une nouveauté intéressante est la possibilité offerte aux parties de demander la désignation d’un arbitre d’urgence. Il s’agit du « juge des référés » de l’arbitrage. L’article 29 dispose que le besoin de mesures conservatoires ou provisoires urgentes qui ne peuvent pas attendre la constitution du tribunal arbitral pourrait justifier la prise par voie d’ordonnance de telles mesures.
Le Secrétariat, à la demande d’une des parties, pourra nommer un arbitre d’urgence. Le recours à cette procédure est réservé aux conventions conclues après l’entrée en vigueur du Règlement (janvier 2012), qui n’excluent pas l’application des dispositions de l’article 29 et qui ne prévoient pas de mesures conservatoires ou provisoires alternatives pendant la période pré-arbitrale. La désignation de l’arbitre d’urgence n’empêchera pas les parties de requérir des mesures urgentes auprès des autorités judiciaires nationales compétentes. La CCI a voulu créer un outil supplémentaire et à concurrence des voies traditionnelles. On notera que l’ordonnance de l’arbitre d’urgence ne lie pas le tribunal arbitral.
Il faudra attendre plusieurs années pour pouvoir apprécier l’impact de l’introduction de l’arbitre d’urgence dans les procédures arbitrales CCI.
2- Les litiges multi-parties et multi-contrats (articles 6 à 10)
Le Règlement CCI aborde aussi la question des différends complexes, c’est-à-dire, des litiges impliquant plus de deux parties ou fondés sur plusieurs contrats. Les dispositions antérieures étaient insuffisantes à cet égard, ce qui entravait le bon déroulement de ce type de procédures.
Les modifications introduites permettent désormais de regrouper (jonction) sous une seule procédure plusieurs parties et/ou contrats de manière à donner une plus grande cohérence à la procédure. Sous certaines conditions, deux, voire plus de procédures arbitrales en cours pourront être jointes dans un arbitrage unique. Finalement, les parties, avant la nomination de l’arbitre, pourront demander l’intervention d’une tierce partie intéressée dans la procédure, à l’image de l’intervention volontaire des procédures judiciaires.
Ces modifications devraient rendre le recours à l’arbitrage plus accessible car elles permettent une analyse élargie et plus approfondie du litige en permettant à toutes les parties « intéressées » d’y intervenir. La croissante complexité des arbitrages internationaux justifient cette mise à jour.
3. L’impartialité de l’arbitre (article 11)
De tout temps, l’arbitre doit être et demeurer indépendant des parties en cause. Désormais le Règlement précise dans son article 11 que l’arbitre doit être aussi impartial (« without prejudice »). L’obligation de déclarer / révéler au Secrétariat tous faits ou circonstances susceptibles d’affecter l’indépendance et/ou l’impartialité des arbitres au moment de sa nomination subsiste évidemment.
La codification du principe d’impartialité renforce l’exigence de neutralité de l’arbitre. Cependant, le concept d’impartialité reste trop vague et subjectif pour pouvoir en déduire des applications pratiques. La CCI n’a pas profité de la réforme du Règlement pour renforcer la déclaration d’indépendance (voir article dans la Revue du mois d’octobre) et d’impartialité.
Les arbitres doivent aussi déclarer leur disponibilité, rendant la procédure plus efficiente en termes de réduction de coût et temps.
4. La confidentialité (article 22.7)
Les rédacteurs ont profité de la refonte pour améliorer la règlementation visant la confidentialité de la procédure, élément essentiel de l’arbitrage et apprécié par des parties.
L’ancien article 20.7 prévoyait seulement des mesures pour protéger les secrets de commerce et la confidentialité. Désormais, l’article 22.3 habilite, à la demande d’une des parties, le tribunal arbitral à rendre des ordonnances « concernant la confidentialité de la procédure ou de toute autre question relative à l’arbitrage ».
Même si le champ d’application de la confidentialité a été élargi, le Règlement n’impose pas d’obligation de confidentialité spécifique aux parties. Il est dommage que la CCI n’ait pas profité de cette réforme pour se mettre à la hauteur d’autres règlements institutionnels plus protecteurs en ce qui concerne la confidentialité, comme par exemple celui de la LCIA. La confidentialité devrait être la règle, sauf accord contraire des parties. Il appartient aux parties de régler le régime de la confidentialité dans la clause compromissoire, le compromis ou l’acte de mission.
Principales modifications
• Article 29 et Annexe V : Régime de l’arbitre d’urgence.
• Article 7 : Le plaideur qui veut faire intervenir une partie additionnelle à la procédure d’arbitrage doit le solliciter avant la confirmation ou
désignation de l’arbitre sauf accord contraire de toutes les parties (la partie additionnelle incluse).
• Article 8 : Dans un arbitrage entre parties multiples, toutes les parties peuvent formuler des demandes à l’encontre de toutes les autres.
• Article 9 : Les demandes qui concernent des contrats multiples peuvent être regroupées dans une seule procédure d’arbitrage.
• Article 10 : La Cour peut regrouper plusieurs procédures arbitrales en cours dans une procédure unique, sous certaines conditions.
• Article 6 : Les questions de compétence sont décidées directement par le tribunal arbitral (principe de compétence – compétence), à moins que le Secrétariat ne soumette la question à la décision de la Cour. Le nouvel article 6 aurait mérité d’être rédigé de manière plus limpide
• Article 11 : Consécration du principe d’impartialité de l’arbitre.
• Article 20 : Le tribunal arbitral peut rendre des ordonnances concernant la confidentialité de la procédure.
• Article 22 et Annexe IV : Le tribunal arbitral et les parties doivent faire leurs meilleurs efforts pour que la procédure se déroule avec célérité et efficacité en termes de coûts, eu égard à la complexité et à l’enjeu du litige.
• Article 27 : Une fois clôturés les débats, le tribunal informe le Secrétariat et les parties de la date à laquelle il entend soumettre son projet de sentence à la Cour pour approbation.
Conclusion toute provisoire
La refonte du Règlement ne constitue pas une révolution, mais témoigne d’une adaptation à l’évolution face aux besoins perçus des acteurs du commerce international. Les nouvelles normes devraient permettre aux parties de disposer d’une procédure plus efficace, rapide et moins onéreuse. Est-ce un vœu ou une réalité ?
Le travail d’adaptation aux circonstances modernes fait par le comité de rédaction est louable, même si dans certains cas il aurait pu aller plus loin, notamment en ce qui concerne l’impartialité et la confidentialité qui ne s’imposent pas aux parties, contrairement à d’autres règlements institutionnels et lois nationales.
Le Règlement reste contraignant et les pouvoirs de la Cour et du Secrétariat sont confirmés.
Espérons que cette mise à jour timorée du Règlement permettra de confirmer Paris comme la première place d’arbitrage international, car la concurrence est rude, notamment avec l’Asie.