CA Paris, 29 janvier 2013, n°11/22612, ch. 5-8
Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 29 janvier 2013 rappelle utilement aux praticiens qu’il convient d’être vigilant lors de la mise en œuvre d’une décision de non-renouvellement du mandat d’un dirigeant.
En effet, si les règles à suivre en cas de révocation d’un dirigeant sont, compte tenu d’une abondante jurisprudence en la matière, relativement bien connues, tel n’est pas nécessairement le cas de celles relatives au non-renouvellement des fonctions d’un dirigeant à l’arrivée du terme prévu.
En matière de révocation, on distingue, classiquement, les dirigeants (tels que les administrateurs de SA) révocables ad nutum, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un motif quelconque, de ceux (tels que les directeurs généraux – lorsqu’ils ne sont pas également président du conseil d’administration – et les directeurs généraux délégués de SA ou encore les gérants de SARL) dont la révocation est libre, mais qui peuvent prétendre à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi lorsqu’ils sont révoqués sans juste motif.
Notons que, dans les SAS, les dirigeants peuvent appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories, selon ce qui est prévu dans les statuts.
Dans tous les cas (révocation ad nutum ou pour juste motif), la révocation ne doit pas être abusive, c’est-à-dire être entourée de circonstances injurieuses ou vexatoires ou avoir été décidée brutalement, sans que le dirigeant ait été en mesure de présenter ses observations, sous peine de donner lieu au versement de dommages-intérêts.
Une jurisprudence abondante existe en la matière.
Mais qu’en est-il en cas de non-renouvellement des fonctions du dirigeant à l’arrivée du terme prévu ?
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 29 janvier 2013 le rappelle utilement.
En premier lieu, la Cour rappelle que « le mandataire social nommé pour une durée déterminée n’a pas, au terme de ses fonctions, un droit au renouvellement de celles-ci et la décision prise à cet égard par les organes sociaux compétents est discrétionnaire ». En conséquence, quelles que soient les fonctions exercées, la décision de non-renouvellement n’a pas à être fondée sur de justes motifs, ni motivée par des circonstances particulières.
Cela semble logique : la règle selon laquelle la révocation de certains dirigeants décidée sans juste motif peut donner lieu à dommages-intérêts est d’application stricte et ne vaut que pour la révocation et non pour le non-renouvellement.
Ainsi, en l’espèce, même si le non-renouvellement concernait le mandat d’un directeur général délégué de SA, il n’était pas nécessaire d’arguer d’un juste motif pour décider de son non-renouvellement.
Moins évidente peut paraître, en revanche, la seconde partie de l’arrêt de la Cour d’appel.
En effet, la Cour estime que la décision de non-renouvellement peut, « néanmoins, ouvrir droit à réparation sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, en cas d’abus de droit, si les circonstances du non-renouvellement sont humiliantes ou vexatoires ou s’il a été manqué au principe de la contradiction, lequel suppose que le dirigeant concerné ait été mis en mesure de faire valoir ses observations dans des conditions compatibles avec le mandat social exercé ».
Ainsi, le non-renouvellement, tout comme la révocation, ne doit pas être abusif. La jurisprudence relative à l’absence de circonstances injurieuses ou vexatoires et au respect du principe du contradictoire, applicable en cas de révocation, s’applique donc également au non-renouvellement du mandat des dirigeants.
En l’espèce, la Cour considère ainsi que le silence gardé par la société sur le sort futur de son directeur général délégué dont le mandat arrivait à expiration, tout comme l’absence de convocation de ce directeur général délégué au conseil d’administration, pouvait légitimement lui faire tenir pour acquis le renouvellement de son mandat. Dès lors, l’invitation impromptue à venir présenter ses observations en cours de séance d’un conseil d’administration dont l’ordre du jour ne lui avait pas été communiqué au préalable, et qui comportait en outre, au point suivant, l’examen des candidatures sur le poste qu’il occupait, « caractérise un manquement flagrant au principe de la contradiction le plus élémentaire, lequel suppose un minimum de considération pour la personne dont les observations doivent être recueillies, sinon entendues ».
Le non-renouvellement du mandat d’un dirigeant doit donc être entouré d’un certain nombre de précautions qui ne paraissent pas nécessairement s’imposer d’elles-mêmes au premier abord. En effet, la doctrine, qui considère assez unanimement qu’à l’arrivée du terme, le dirigeant doit cesser ses fonctions, sans qu’il soit nécessaire de lui signifier un congé ou de respecter un préavis, ne s’étend traditionnellement pas sur le sujet du non-renouvellement.
Cet arrêt n’est pourtant pas isolé. En 1995, la Cour d’appel de Paris (déjà !) avait énoncé, pour la première fois, que « si l’assemblée générale n’est tenue d’aucune obligation de réélire l’administrateur dont le mandat vient à expiration, toutefois sa décision de non-renouvellement revêt un caractère abusif lorsqu’elle présente un caractère précipité, que les droits de la défense n’ont pas été respectés ou qu’elle a été entourée de circonstances injurieuses ou vexatoires, portant une atteinte injustifiée à la réputation de l’administrateur concerné. » (Cour d’appel de Paris, 25ème chambre B, 27 octobre 1995).
Lui emboitant le pas, la chambre commerciale de la Cour de cassation énonçait, en 2002, que si « le gérant nommé pour une durée déterminée n’avait pas, au terme de ses fonctions, un droit au renouvellement de celles-ci, leur non-renouvellement pouvait donner lieu à l’allocation de dommages-intérêts, si les circonstances qui l’entourent révèlent des conditions humiliantes ou vexatoires » (Cass. com, 17 décembre 2002).
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 29 janvier 2013 se situe dans la droite ligne de cette jurisprudence plutôt méconnue.
Il convient donc de garder à l’esprit que le non-renouvellement du mandat d’un dirigeant doit être entouré des mêmes précautions « de forme » que sa révocation, sous peine de condamnation de la société au versement de dommages-intérêts pour préjudice moral au bénéfice de celui-ci.
Un petit rappel de bon sens est toujours utile !