Takesada Matsutani, Sam Francis et Yves Tanguy sont les premiers artistes étrangers à se voir reconnaître la possibilité d’exercer le droit de suite sur leurs œuvres en France. Voici quelques explications.

La France, le forum préféré des artistes ?
Dans le domaine du droit d’auteur, la France est certainement l’un des pays qui protège le mieux les artistes, avec notamment le droit moral, ce qui explique que certains auteurs étrangers choisissent Paris pour faire valoir leurs droits dans des litiges internationaux. C’est ainsi que les héritiers du cinéaste américain John Huston avaient choisi d’assigner en France le producteur qui avait diffusé une nouvelle version colorisée du film Asphalt Jungle alors que Huston avait clairement exprimé son opposition à toute colorisation.
Sur le plan patrimonial, il y a également dans notre droit l’idée que le succès de l’œuvre doit profiter à l’auteur et pas seulement aux professionnels du secteur concerné, éditeurs, producteurs, etc. D’où le principe selon lequel la rémunération de la cession des droits doit être proportionnelle aux revenus de l’exploitation et… le droit de suite !
Qu’est-ce que le droit de suite ?
Dans le domaine des arts plastiques, la valeur de l’œuvre est liée à celle de l’objet qui la matérialise et la cote d’un peintre influence directement le prix de vente de cet objet. Pendant longtemps, le succès d’un peintre ou d’un sculpteur ne profitait à l’artiste que lors de la première vente et c’était surtout les professionnels du marché de l’art qui tiraient avantage de son succès. Le droit de suite a été instauré en France par la loi du 20 mai 1920, à la suite dit-on, de la vente du célèbre tableau L’Angélus de Millet. Le propriétaire du tableau avait tiré un énorme bénéfice de cette vente alors que la famille de l’artiste vivait dans la pauvreté. Aujourd’hui, le droit de suite permet à un artiste ou ses ayants droits de toucher un pourcentage sur la vente des œuvres.
Ainsi, l’article L.122-8 du code de la propriété intellectuelle accorde aux auteurs d’œuvres graphiques et plastiques « un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une œuvre après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsqu’intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art ».
L’artiste peut ainsi percevoir un pourcentage sur le prix de chaque vente faite aux enchères publiques ou par l’intermédiaire d’un commerçant. Ce pourcentage qui va jusqu’à 4% dépend de la tranche de prix.
La durée du droit de suite est la même que celle des autres droits patrimoniaux, il s’éteint 70 ans après la mort de l’auteur.
Les artistes étrangers peuvent-ils se prévaloir du droit de suite ?
Pour les artistes ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, pas de difficulté, ils bénéficient du droit de suite comme les Français.
Pour les autres, deux possibilités. Soit la législation de l’État dont ils sont ressortissants admet la protection du droit de suite et ils en bénéficient automatiquement en France. C’est le principe de réciprocité, bien connu en droit international mais qui, en l’occurrence, ne peut s’appliquer souvent, le droit français étant assez isolé sur ce point. Soit leur législation d’origine ne reconnaît pas ce droit (c’est le cas par exemple des États-Unis et du Japon) et les artistes ne pourront s’en prévaloir que s’ils ont leur résidence habituelle en France et ont participé à la vie de l’art en France pendant au moins cinq ans. En pratique, l’artiste ou son ayant droit peut adresser une demande au ministère de la Culture avec les justificatifs nécessaires et si le ministre est convaincu, il prend un arrêté après avis d’une commission dédiée.
L’artiste japonais Takesada Matsutani, né en 1937 à Osaka, vit et travaille à Paris depuis 1966 et son œuvre a fait l’objet d’une très belle rétrospective au Centre George Pompidou à l’été 2019. Il a sollicité et obtenu, le 30 octobre 2024, un arrêté l’autorisant à exercer le droit de suite.
Le même jour, un autre arrêté accordait le même droit à l’artiste américain Sam Francis, ou plutôt à ses ayants droits puisque Sam Francis est décédé en 1994.
Plus récemment encore, le 15 janvier 2025, un troisième arrêté était pris en faveur des ayants droits d’Yves Tanguy, un peintre français surréaliste né en 1900, qui était parti aux États-Unis en 1940 rejoindre l’artiste américaine Kay Sage et qui a été par la suite naturalisé américain.
Matsutani, Francis et Tanguy sont apparemment les premiers artistes étrangers à se voir reconnaître la possibilité d’exercer le droit de suite. En des temps où les sociétés collectives peinent à récupérer les rémunérations dues pour l’utilisation des œuvres de leurs adhérents, en particulier sur internet, ces décisions du ministère de la Culture méritent d’être saluées.