La simple accessibilité en France d’un site Internet suffit-elle à fonder la compétence du juge français ?
Les deux théories en présence
Deux théories coexistent afin de déterminer la compétence internationale des juges français pour connaître des actions initiées contre des sites Internet étrangers.
Un critère possible de la compétence du juge français est celui de la simple « accessibilité » du site en France. Le juge français serait compétent dès lors que le site Internet litigieux est consultable depuis la France.
A ce critère s’oppose la théorie dite de la « focalisation » proposée par O. Cachard (O. Cachard, La régulation internationale du marché électronique, L.G.D.J., 2002) qui consiste à rechercher non seulement l’accessibilité du site, mais en plus si la situation présente des liens suffisants avec le territoire français, liens caractérisés par le fait que le site vise spécifiquement le public français (apprécié en fonction de la langue du site, de la monnaie de paiement, etc.). Ce second critère est donc plus restrictif que le premier.
Une jurisprudence divergente
Depuis 2003, la Cour de cassation retient la compétence des juridictions françaises sur le seul critère de « l’accessibilité » et établit ainsi une compétence quasi universelle du juge français en matière d’infractions commises sur Internet (pour un exemple en matière de contrefaçon, voir Cass. Civ. 1, 9 décembre 2003, Castellblanch).
Face aux risques de forum shopping que présente le critère de l’accessibilité, une résistance de certains juges du fond s’est fait jour, ces derniers imposant un critère plus strict à la compétence des juges français.
Dans un arrêt du 6 juin 2007, la Cour d’appel de Paris estimait qu’en l’absence « d’impact économique sur le public français », le juge français n’était pas compétent (CA Paris, 4e ch., sect. A, 6 juin 2007, Stés Google Inc. et Google France c/ Axa et autres).
Dans un arrêt du 14 février 2008, la Cour d’appel de Paris a exigé, afin d’établir la compétence du juge français pour se prononcer sur l’utilisation de l’image et du nom de plusieurs joueurs de football sur des sites de paris en ligne, que ces sites soient destinés au public français. La Cour a retenu que certains de ces sites n’étaient pas traduits en français ou ne proposaient pas de paris sur des matchs de football français et écarté, de ce fait, l’existence d’un lien suffisant du fait dommageable avec le territoire français (CA Paris, 11e ch., sect. B, 14 février 2008, Sté Unibet Limited).
L’incertitude ne se limite pas à la jurisprudence française et une question préjudicielle a d’ailleurs récemment été posée par la Cour d’appel de Liège (Belgique) dans une affaire similaire. La CJCE devra donc sous peu clarifier la situation en désignant l’un ou l’autre critère de compétence.
L’affaire PMU c. Zeturf : la confirmation du critère de l’accessibilité en matière d’exécution des jugements
Au plan français, la Cour de cassation a eu récemment l’occasion de se prononcer à nouveau sur cette question. L’arrêt de la deuxième Chambre civile du 6 novembre 2008 s’inscrit dans un vaste litige entre Zeturf et le PMU relatif à la prise de paris en ligne, par Zeturf, sur des courses hippiques se déroulant en France, outrepassant ainsi le monopole du PMU.
Une demande de mesures provisoires avait été introduite par le PMU contre Zeturf, laquelle s’était vue ordonner sous astreinte de cesser toute prise de paris en ligne sur des courses en France. Le PMU souhaitait obtenir la liquidation de cette astreinte d’un montant de 915.000 euros, Zeturf n’ayant pas cessé son activité de prise de paris sur des courses. Zeturf s’est opposée à la demande du PMU en soulevant notamment l’incompétence du juge français.
La question posée à la Cour était celle de savoir quel était le lieux d’exécution d’une injonction de cesser une activité de mise en ligne de paris exercée depuis Malte.
En effet le droit international privé prévoit que le juge de l’exécution français n’est en principe compétent, lorsque le débiteur réside à l’étranger, que si l’injonction prononcée doit être exécutée sur le territoire français (article 22-5 du Règlement (CE) n°44/2001 « Bruxelles I » concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale).
La Cour de cassation a précisé qu’« en raison de l’accessibilité du site sur l’ensemble [du territoire français], le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris était compétent pour se prononcer sur la demande ». Dès lors, la Cour n’a pas recherché si le public français était visé spécifiquement par ce site.
Il est intéressant de noter qu’en l’espèce, la Cour de cassation ne fait que confirmer la décision de la Cour d’appel de Paris du 7 décembre 2006 qui affirmait que « ce qui est interdit est la possibilité de prendre des paris sur son site, depuis la France, qu’il s’agit de mettre fin à cette connexion depuis la France et il n’est nullement établi, eu égard à la technicité de l’informatique, que ce ne puisse pas être fait depuis la France ou ailleurs ; que dès lors, en raison de l’accessibilité du site de tous les points du territoire français, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris (…) était compétent ». Il semble que, par cet arrêt, la Cour d’appel de Paris finit par se conformer à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Ces arrêts confirment le critère traditionnel de « l’accessibilité » du site pour établir la compétence du juge français.
Toutefois, quelle est la portée pratique de cette décision ?
En l’espèce, elle risque d’être restreinte. En effet, la Cour d’appel de Malte, dans un arrêt du 9 janvier 2007, refuse de faire application du Règlement Bruxelles 1 aux litiges, estimant qu’il s’agit là non pas d’une question relevant de la matière civile et commerciale, mais d’une question de droit public. Dès lors, le PMU pourrait risquer de se voir privé de la procédure d’exécution.
Une clarification par la nouvelle loi de « lutte contre les sites illégaux » ?
Le critère de l’accessibilité permet une compétence élargie du juge français et facilite la mise en cause des opérateurs illégaux.
Dans l’optique de la future ouverture du marché des jeux et paris en France, on peut se demander si ce critère de l’accessibilité en France du site Internet sera retenu par la loi relative aux jeux et paris en ligne qui devrait être discutée en mars 2009. Si l’adoption du critère de l’accessibilité présente des risques de forum shopping, elle permettrait tout de même de maximiser l’effet de cette loi.
Une clarification de la situation par la CJCE ou du législateur devra intervenir ; le débat promet d’être intense. Affaire à suivre…