La notion de harcèlement moral a fait l’objet de vives critiques, sa définition étant jugée par certains trop imprécise, voire tautologique.
L’article L. 1151-1 du Code du travail prohibe le harcèlement moral en ces termes :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
De plus, la loi protège le salarié qui «i[ […] ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, […] pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ]i» (article L. 1152-2).
Enfin, la loi prévoit un régime probatoire spécifique (article L. 1154-1).
Les tribunaux ont défini les contours de cette notion a priori assez obscure (le harcèlement étant constitué par des agissements répétés de… harcèlement), il est donc impératif de se pencher sur la jurisprudence pour l’appréhender.
Les principales évolutions jurisprudentielles en la matière sont les suivantes.
I. Notion de harcèlement moral
« Aucun salarié»
Peut-on harceler son supérieur hiérarchique ?
La loi ne donne aucune précision sur l’auteur des faits fautifs. Elle indique seulement que tout salarié, sans aucune distinction, peut être victime de harcèlement moral.
La Cour de cassation a récemment tiré les conséquences de l’absence de condition tenant à la personne du harceleur en jugeant que « le fait que la personne poursuivie soit le subordonné de la victime est indifférent à la caractérisation de l’infraction » (Cass. crim. 6 décembre 2011 n°10-82.266, pour des faits commis par un éducateur sur son chef de service).
La notion de harcèlement moral ne se limite donc pas aux seuls abus d’autorité d’un supérieur hiérarchique sur son subordonné, le harcèlement peut être « vertical » (du supérieur sur son subordonné et inversement) ou « horizontal » (entre salariés de niveaux équivalents).
« des agissements répétés»
Combien de temps faut-il pour harceler un collègue ?
Un évènement isolé ne peut suffire à caractériser un harcèlement moral.
La Cour de cassation a néanmoins jugé que des faits s’étant déroulés sur une brève période pouvaient constituer un harcèlement (Cass. soc. 26 mai 2010 n°08-43.152 pour des faits qui se sont déroulés sur quelques semaines).
La Cour réserve donc le même traitement au harceleur « efficace », capable d’« abattre » un collègue en quelques semaines qu’à celui, plus laborieux, à qui cela prendra plus de temps.
« qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail »
Peut-on harceler sans le vouloir?
La Cour de cassation a répondu à cette question en jugeant que « le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur » (Cass. soc. 10 novembre 2009 n°08-41.497 ; Cass. soc. 28 janvier 2010 n°08-42.616 et Cass. soc. 4 mai 2011 n°09-42.988).
L’intention de nuire n’est pas nécessaire à la caractérisation du harcèlement moral. Après tout, qui aime bien châtie bien !
«une dégradation de ses conditions de travail»
Peut-on dégrader les conditions de travail d’un salarié qui ne travaille pas ?
La Cour de cassation répond par l’affirmative.
Traditionnellement, les « conditions de travail » renvoient aux moyens fournis au salarié pour exécuter sa prestation, à l’ambiance dans l’entreprise, aux horaires de travail ou aux autres éléments qui entourent l’accomplissement par le salarié de ses tâches professionnelles.
Toutefois, la Cour de cassation a élargi cette conception usuelle en admettant que le harcèlement moral puisse être commis par un employeur à l’encontre d’un salarié absent (Cass. soc. 7 juillet 2009 n°08-40.034, pour un salarié en « arrêt maladie prolongé » qui avait reçu à son domicile de nombreuses lettres de mise en demeure évoquant de manière explicite une rupture de son contrat de travail et lui reprochant ses absences).
Le harcèlement peut donc être caractérisé, même en dehors du lieu et du temps de travail.
II. Protection légale du salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral
La loi garantit au salarié une protection très forte puisque sont interdits toute sanction, tout licenciement et toute mesure discriminatoire, fondés sur la dénonciation des faits fautifs par le salarié.
La jurisprudence a toutefois consacré une limite à cette protection, tenant à la mauvaise foi du salarié.
Dans un arrêt du 10 mars 2009, la Cour de cassation a considéré qu’un salarié ne pouvait être licencié pour avoir relaté des faits de harcèlement moral, sauf mauvaise foi. Selon la Cour, la mauvaise foi ne pouvait être constituée par la simple circonstance que les faits dénoncés n’étaient pas établis (Cass. soc. 10 mars 2009 n°07-44.092).
Ce n’est qu’en 2012 que la Cour de cassation a, pour la première fois, défini la mauvaise foi de façon positive en jugeant qu’elle « ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits » (Cass. soc. 7 février 2012 n°10-18.035).
Cela signifie pour l’employeur qu’il ne sera possible de sanctionner un salarié qui en accuse à tort un autre de harcèlement qu’à condition de prouver la connaissance, par le délateur, du caractère calomnieux de sa dénonciation…
III. Régime probatoire du harcèlement moral
L’administration de la preuve du harcèlement moral est aménagée par la loi :
• le salarié qui se considère victime de harcèlement moral doit établir « des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement »,
• la « partie défenderesse » doit quant à elle « prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à tout harcèlement ».
Le salarié qui s’estime victime de harcèlement bénéficie donc d’une charge de la preuve allégée.
La Cour de cassation a précisé ce régime probatoire en jugeant que « les dispositions de l’article L. 1154-1 ne sont pas applicables lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d’un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement moral » (Cass. soc. 7 février 2012 n°10-17.393).
En d’autres termes, si le salarié qui s’estime victime de harcèlement moral bénéficie d’une preuve allégée, l’employeur qui sanctionne l’auteur des faits de harcèlement dénoncés ne peut, lui, se prévaloir d’une telle charge de la preuve « allégée ».
Il ne peut donc se contenter de démontrer des indices laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Cette dernière décision est particulièrement lourde de conséquences pour l’employeur, débiteur d’une obligation de sécurité de résultat en matière de prévention du harcèlement dans l’entreprise (Cass. soc. 29 juin 2011 n°09-69.444).