Décision de l’Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Manufacture française des pneumatiques Michelin et Pneumatiques Kléber

Contexte factuel

Les pratiques commerciales du groupe Michelin, leader mondial du marché des pneumatiques, ont une nouvelle fois fait l’objet d’une enquête concurrentielle. Par le passé, le groupe Michelin s’est vu infliger à deux reprises des amendes par la Commission européenne pour avoir mis en œuvre des systèmes complexes de rabais de quantité, de primes et autres pratiques commerciales liant les distributeurs et fermant l’accès au marché à d’autres fabricants de pneus. [1]

Récemment, c’est devant l’Autorité de la concurrence (ci-après, l’Autorité) que la politique commerciale du groupe a été remise en question. Les conventions examinées par l’Autorité prévoyaient en l’espèce divers services et un soutien financier aux distributeurs moyennant divers engagements de leur part, tels que l’obligation pour chaque distributeur de développer son professionnalisme ; de suivre des formations dispensées par le groupe Michelin ; de se soumettre à des audits commandités par ce dernier ; de communiquer des informations commerciales, notamment concernant les concurrents du groupe Michelin et toutes analyses permettant à ce dernier « de mieux appréhender la réalité commerciale et économique du marché »; ainsi que de fournir « ses meilleurs efforts en vue de promouvoir les produits du groupe Michelin ».

A la suite d’une réorganisation commerciale intervenue en 2008, le groupe Michelin a également introduit un critère dit d’indépendance, par lequel ont été exclus du bénéfice de certaines conventions les enseignes liées ou appartenant à des manufacturiers de pneumatiques concurrents.

Préoccupations de concurrence soulevées par l’Autorité et engagements pris par Michelin

Saisie par différents réseaux de distribution exclus, l’Autorité a considéré que l’évaluation préliminaire du dossier mettait en lumière non moins de six préoccupations de concurrence, couvrant en réalité trois pratiques distinctes :

• discrimination des enseignes de distributeurs spécialisés liées à des manufacturiers concurrents, lesquelles se sont vues privées de rémunérations spécifiquement liées à la promotion des produits Michelin ou aux services rendus par les distributeurs,

• tentative de verrouillage du marché par le biais de diverses incitations des négociants à privilégier la vente des produits Michelin au détriment des autres marques ;

• immixtion dans la gestion des négociants par le biais d’une communication d’informations sensibles sur les concurrents de Michelin et sur les négociants.

Pour remédier aux préoccupations de concurrence soulevées, le groupe Michelin a pris une série d’engagements (rendus contraignants par l’Autorité), consistant notamment à appliquer les mêmes conditions d’accès aux conventions de services et de rémunération, quels que soient le liens des enseignes avec un manufacturier concurrent.[2] Les conditions d’intervention financière ont également été revues et plafonnées. Ensuite, les conventions sont amendées afin d’ôter tout caractère contraignant aux directives relatives à la politique ou la stratégie commerciale ou financière des partenaires. Enfin, Michelin s’est engagé à ne plus récolter d’informations sensibles sur ses concurrents et les négociants. [3]

Observations

La décision de l’Autorité appelle plusieurs observations :

• Tout d’abord, il convient d’observer que, si ces dernières décennies, c’est traditionnellement la Commission qui menait des actions pour mettre les pratiques de distribution d’entreprises multinationales en conformité avec les règles de concurrence, il faut désormais compter sur l’intervention des autorités nationales de concurrence. La décision de l’Autorité témoigne en effet de la prise de relais effective de la surveillance des marchés par les autorités nationales de concurrence.

• Cette décision fournit une nouvelle illustration des bénéfices que peuvent tirer les entreprises des procédures d’engagements. Le déploiement de stratégies commerciales sophistiquées pouvant être source d’insécurité juridique (surtout en matière d’abus de position dominante), la capacité de soumettre des engagements effectifs et praticables peut être un facteur décisif de limitation du risque concurrentiel.

• On peut relever que l’Autorité s’est montrée particulièrement sensible à la formulation de certaines clauses potentiellement problématiques. Elle semble d’ailleurs être allée jusqu’à admettre que certaines clauses seraient, par elles-mêmes, susceptibles de renforcer la position du groupe Michelin (sans pour autant s’être livrée à une analyse économique des effets concrets des clauses en question).

• Un tel formalisme peut étonner, surtout lorsqu’on découvre la maturité dont l’Autorité fait preuve lorsqu’elle reconnait à Michelin le droit d’exclure les négociants et aux membres de réseaux liés capitalistiquement à un fabricant concurrent du bénéfice de certaines prestations au motif que, du fait de leurs participations à la réalisation de ces services les négociants risquent de se situer en conflit d’intérêt. Ainsi, tout service qui suppose de promouvoir activement et de manière loyale les produits du groupe Michelin pourraient mettre ces entreprises en porte-à-faux.

• En consacrant de manière assez remarquable un droit à discrimination sur la base de raisons objectives, l’Autorité adopte là une approche qui, espérons le, servira d’exemple au sein du réseau européen.

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[1] Décisions de la Commission, du 7 octobre 1981, aff. IV/29.49, Nederlandsche Banden-Industrie Michelin ; et du 20 juin 2001, aff. COMP/E-2/36.041/PO, Michelin.

[2] L’assiette de la rémunération des services pouvant néanmoins être limitée au seul chiffre d’affaires réalisé en produits Michelin.

[3] Ces engagements seront mis en œuvre dans les conventions applicables pendant une durée de quatre ans.