En l’espèce, le joueur de football écossais Andrew Webster avait décidé le 26 mai 2006, en raison des rapports difficiles qu’il entretenait avec le staff technique de son club de Hearts (qu’il avait rejoint en 2001), de résilier unilatéralement son contrat qui ne devait expirer qu’au 30 juin 2007. En toute fin de saison, il avait même signé un nouveau contrat d’une durée de trois ans avec le club de Wigan Athletic F.C..

Le club de Hearts avait alors saisi la Chambre de résolution des litiges de la FIFA (« CRL ») le 4 avril 2007 et celle-ci avait condamné Andrew Webster à payer une somme de 650 000 livres sterling (870 000 euros) à son ancien club au titre de l’indemnité pour rupture unilatérale de contrat.

Un appel avait été formé devant le TAS les 24 et 25 mai 2007. Hearts of Midlothian F.C. réclamait une indemnité de 4 millions de livres sterling (5 million d’euros), correspondant à la valeur de remplacement du joueur et à la perte de toute possibilité de transfert (sa « valeur » sur le marché des transferts). M. Webster et Wigan, club anglais pensionnaire de la Premier League, demandaient en revanche à ce que l’indemnité soit fixée à un montant représentant la valeur résiduelle du contrat, somme nettement inférieure à la « valeur marchande » du défenseur international de 26 ans, qui compte 22 sélections à son actif.

Comme les parties étaient unanimes à considérer – comme l’avait retenu la CRL – qu’il s’agissait d’une résiliation unilatérale de contrat sans juste cause au sens de l’article 17 du règlement FIFA sur le statut du joueur (« RJSFIFA »), la formation du TAS n’avait pour seule mission que de décider du montant de la compensation qui devait être versée au club d’Edimbourg.

Pour ce faire, le TAS a décidé d’écarter deux critères : le critère d’une perte de valeur de remplacement estimant que le montant du transfert qui avait été payé en 2001 (75 000 livres sterling, soit moins de 100 000 euros) avait déjà été amorti et celui d’une indemnité de formation au motif qu’elle n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 17 du RJSFIFA. Selon le TAS, l’indemnité compensatrice ne pouvait excéder le solde de la rémunération due au joueur.

La formation arbitrale a donc jugé plus approprié de se référer au critère du solde de rémunération due au joueur selon les termes du contrat de travail rompu, autrement dit, en l’espèce, la valeur résiduelle du contrat pour la saison restant à courir (2006/2007). Dans le cas de M. Webster, cette valeur était équivalente à 150 000 livres sterling (190 000 euros). Le tribunal, conformément à une jurisprudence bien établie qui applique les termes même de l’article 17(2) du RJSFIFA, a condamné solidairement M. Webster et le club de Wigan au paiement de cette somme.

Un joueur international de 24 ans (à l’époque) pour 200 000 Euros, c’est tout de même plus économe que les 40 à 50 millions d’euros que seraient prêts à payer certains clubs richissimes pour s’attacher les services d’un Karim Benzema ou d’un Samuel Eto’o ! Un expert du milieu du football, Frank Clark, ancien entraîneur de Nottingham Forrest, appelé à évaluer la valeur de Webster se situait autour des 5 millions d’euros, étant précisé qu’il n’a plus été sélectionné depuis mars 2006, principalement à cause de blessures, notamment celle qui l’a tenu écarté des terrains depuis son prêt en janvier dernier aux Glasgow Rangers, où il a cependant joué un match, au cours duquel il a même marqué. Hearts avait d’ailleurs rejeté comme insuffisante une offre ferme de 1 500 000 livres sterling (1 900 000 euros) de Southampton F.C., et Blackburn Rovers F.C. étaient également sur les rangs.

En définitive, après la période protégée – certains observateurs préfèrent le terme de période de stabilité – d’un contrat, qui est de 3 ans pour les moins de 28 ans et de 2 ans pour les plus de 28 ans, un joueur peut aisément calculer ce que lui coûtera une rupture unilatérale de contrat (en vu de rejoindre un autre club à la grille salariale plus alléchante ?).

Comme le souligne le président de la FIFA, Sepp Blatter, cette décision est une « victoire à la Pyrrhus pour les joueurs et leurs agents qui rêvent de pouvoir rompre les contrats avant qu’ils n’arrivent à leur terme », car si elle devait être reprise dorénavant, cela pourrait encourager les grosses cylindrées à aguicher les joueurs prometteurs de clubs plus modestes, puisque le « transfert » forcé leur en coûterait une somme très raisonnable.

En effet, ce système permet aux agents des joueurs de leur proposer de nouveaux clubs hors période protégée, puisqu’ils peuvent calculer à l’avance, avec exactitude, l’indemnité plutôt modique à payer s’ils mettent un terme à leur contrat prématurément. Cela a ainsi poussé certains commentateurs à décrire cette sentence comme un nouvel arrêt Bosman.

Si les syndicats de joueurs peuvent se féliciter de cette décision puisqu’elle accorde davantage de « pouvoirs » au sportif professionnel – alors qu’il n’y a pas si longtemps, dans l’ère pré-bosmannienne, il n’avait que très peu de droits – les « petits » clubs en revanche risquent d’en pâtir. Ils se voient désormais interdits de demander une quelconque indemnité liée à la véritable valeur du joueur sur le terrain de jeu. A l’inverse, les clubs au portefeuille bien garni pourront faire leurs courses comme s’il s’agissait des soldes. Selon une étude de l’Union financière de France Sport Conseil publiée en février 2007, le salaire moyen net d’un joueur de Ligue 1 se situait autour des 24 000 euros mensuels nets, soit à peine plus de 400 000 euros bruts par saison. 400 000 euros le joueur moyen de Ligue 1 à qui il reste un an de contrat à courir, cela est bien peu, surtout comparé aux indemnités de transferts que n’hésitent pas à acquitter en Premier League même des clubs de bas de classement.

Si les petites écuries tenteront tant bien que mal de conserver leurs effectifs et devront faire face à des approches agressives concernant leurs joueurs non protégés, rappelons toutefois que les règles en matière d’approche de joueur demeurent inchangées et seront, plus que jamais dans ce nouveau contexte, invoquées par les clubs lésés. C’est ainsi que Manchester United menaçait récemment de dénoncer le Real Madrid aux autorités fédérales, puisque le club merengue n’avait pas demandé aux Reds l’autorisation préalable d’approcher Cristiano Ronaldo en vue d’un possible transfert.

Précision de taille : si un joueur peut rompre un contrat non protégé sans juste cause, il n’en demeure pas moins que les diverses parties impliquées s’exposent, du fait de cette absence de juste cause, à des sanctions pouvant être très lourdes. Le joueur doit fournir un préavis de rupture, celui-ci devant être « donné dans les 15 jours suivant le dernier match officiel de la saison sportive » (article 17(3)), mais l’interprétation de cette notion est difficile et fait l’objet d’un débat. Dans Webster le joueur avait, dans un premier temps, donné un préavis, mais s’était ensuite ravisé. Il a ainsi écopé de 2 mois de suspension ; aux termes du texte de la RJSFIFA, il encourait même 4 mois de suspension, voire 6 mois en cas de « circonstances aggravantes ». C’est ainsi que le brillant meneur argentin Ariel Ortega, joueur notoirement instable, s’est vu infliger début 2003 une suspension de 6 mois ainsi qu’une colossale amende de presque 10 millions d’euros pour avoir claqué la porte, sans préavis, au club de Fenerbahçe S.K. quasiment aussitôt ses bagages posés sur les rives du Bosphore. Moins grave mais tout aussi médiatisé, l’affaire Philippe Mexès. Le jeune international français a été suspendu 6 semaines par la CRL (sanction confirmée par le TAS), peine qu’il a purgé en début de saison sportive 2005/2006, ainsi que le prévoit l’article 17(3), pour éviter que des suspensions ne couvrent la trêve estivale.

Mais le nouveau club du joueur ainsi que l’agent du joueur ne sont pas non plus à l’abri de sanctions en cas de rupture sans juste cause. Un club qui signe un contrat avec un joueur ayant rompu de la sorte son ancien contrat est « présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir poussé ce professionnel à une rupture du contrat. La sanction se traduit par une interdiction pour le club d’enregistrer de nouveaux joueurs […] pendant deux périodes d’enregistrement » (article 17(4)). Wigan, en l’espèce, a su échapper à cette sanction, mais l’A.S. Roma, par décision du TAS en date du 5 décembre 2005 a été interdit de transfert pendant une période (le mercato hivernal, heureusement pour le club italien) dans le cadre de l’affaire Mexès, étant précisé que la CRL lui avait infligé en première instance une interdiction deux fois plus longue. Des sanctions peuvent également être prononcées contre toute autre personne soumise à la RJSFIFA (l’article 17(5) cite à titre d’exemple les officiels de clubs, les agents de joueurs, ou encore d’autres joueurs). L’agent français Olivier Jouanneaux, agent de M. Mexès au moment du « transfert » du défenseur central de l’A.J. Auxerre en Italie, a été suspendu six mois par la FIFA, même si cette dernière n’a fait courir la mesure de suspension qu’à compter du 30 août 2006, quand bien même la décision avait été prononcée le 15 février 2006 par la Commission du Statut du Joueur de la FIFA.

Le nouveau RJSFIFA, adopté par le Comité Exécutif de la FIFA le 18 décembre 2007 et entré en vigueur le 1er janvier dernier, reprend mot pour mot les termes de l’édition 2004, réglementation objet du litige dans l’affaire Webster, en ce qui concerne la période protégée et les mécanismes de l’article 17. A moins que la FIFA ne modifie d’elle-même sa réglementation en la matière, l’aménagement pourrait venir, du moins au sein de L’Union européenne, d’une source peut-être moins attendue : le Traité simplifié de Lisbonne. L’article 149 dudit Traité stipule que « l’Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures, fondées sur le volontariat, ainsi que de sa fonction sociale et éducative. » Partant de ce formidable constat (ou consécration ?) de la spécificité sportive, un argument pourrait être avancé selon lequel un contrat de joueur de football ne saurait être assimilé à un CDD de droit commun et sa valeur sportive ne saurait correspondre à sa valeur rémunératrice. Mais le débat sur l’interprétation et la portée de ce nouvel article ne fait que commencer…