À la suite de notre article sur le financement de l’arbitrage par les tiers en 2013,[1] nous avons souhaité faire un point sur son essor, en France et à l’international.
Si le recours à cette pratique pour financer les litiges a eu globalement tendance à s’intensifier, cela semble surtout avoir été le cas à l’international et principalement en matière d’arbitrage international dans des litiges aux enjeux importants.
Par ailleurs, le recours à ce mode de financement, qui consiste en un procédé par lequel un tiers financeur, qui n’est pas partie au litige, prend en charge une partie ou la totalité des coûts de la procédure, en contrepartie d’un pourcentage sur les dommages et intérêts alloués par la sentence arbitrale ou la décision de justice, n’est pas sans soulever des difficultés pratiques.
À l’international : une pratique en pleine expansion
Malgré une popularité grandissante, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie, peu de pays ont intégré le recours à cette pratique « privée » dans leur législation.
Singapour et Hong Kong sont des exceptions à cet égard. En 2017, les deux pays ont adopté de nouvelles lois autorisant
expressément le recours au financement par les tiers. L’objectif ainsi poursuivi est de s’imposer comme des places d’arbitrage de premier rang et ainsi concurrencer Paris, Londres ou New York.
Le Parlement de Singapour a ainsi adopté deux lois, le Civil Law (Amendment) Bill No. 38/2017et les Civil Law (Third Party-Funding) Regulations, entrées en vigueur en mars 2017, qui autorisent le financement par des tiers des arbitrages internationaux et des procédures connexes devant les tribunaux de Singapour.
À Hong Kong, des modifications législatives, Arbitration and Mediation Legislation (Third Party-Funding) (Amendment) Bill 2016, sont entrées en vigueur le 14 juin 2017. Tout comme à Singapour, le financement par les tiers est limité au domaine de l’arbitrage international et aux procédures connexes devant les tribunaux de Hong Kong. Contrairement à Singapour, Hong Kong impose clairement la divulgation de l’existence d’un contrat de financement et de l’identité du tiers financeur au tribunal arbitral afin d’éviter les potentiels conflits d’intérêts.
Dans certains pays de Common Law, la doctrine Champerty fait souvent obstacle au financement des litiges par les tiers. Cette doctrine interdit à un tiers le financement d’un litige en contrepartie d’une partie des dommages-intérêts alloués à la partie financée. Les deux lois adoptées à Hong Kong et Singapour autorisent le financement par les tiers en énonçant, d’une part, pour Singapour que la doctrine Champerty est abolie, et, d’autre part, pour Hong Kong que cette doctrine ne s’applique pas au financement par des tiers dans le cadre d’arbitrages internationaux.
À contre-courant de la tendance globale, la Cour Suprême irlandaise a rendu une décision qui maintient que ladite doctrine fait obstacle au financement des litiges par les tiers[2]. L’Irlande est toutefois une exception et cette décision est à nuancer. Une partie de la doctrine y voit une provocation de la Cour Suprême pour forcer le législateur à légiférer en la matière, là où d’autres prédisent très prochainement un revirement de jurisprudence.
Si les législations en la matière restent peu nombreuses, certaines pratiques de soft law (droit souple, non contraignant) se sont développées dans certains pays comme par exemple le Code of Conduct[3] adopté par les principaux fonds de financement du Royaume-Uni. En effet, Le Royaume-Uni est l’un des pays dans lesquels le financement des litiges par les tiers connaît une progression importante depuis quelques années, même s’il concerne encore principalement des procédures d’arbitrage, dans lesquelles les enjeux sont conséquents et le retour sur investissement plus prévisibles pour le financeur qui financera en général des procédures pour lesquelles il estime que l’aléa est moindre.
Une Task Force dédiée au financement de l’arbitrage par les tiers a d’ailleurs été conjointement mise en place par l’ICCA (International Council for Commercial Arbitration) et la Queen Mary School of International Arbitration dans le but d’étudier de manière continue ce phénomène et d’émettre des recommandations.
Un premier projet de rapport a été rendu public en septembre 2017 et le rapport final sera publié en avril 2018. Le rapport aura pour objet la définition de ce mécanisme, mais également l’analyse de questions pratiques qui font encore couler beaucoup d’encre, telles que la question de la divulgation du contrat de financement au tribunal arbitral et son influence sur le tribunal (le financeur ne s’engageant que lorsqu’il estime que les chances de succès sont importantes), les conflits d’intérêts ou encore l’impact du financement sur la répartition des coûts de l’arbitrage.
En France : un développement moins évident et limité à l’arbitrage
En France, l’intérêt pour ce mécanisme est également grandissant, même si sa mise en œuvre et son essor posent plus de difficultés pratiques.
À notre connaissance, il reste utilisé principalement pour le financement de procédures d’arbitrage ou l’exécution de décisions/sentences arbitrales.
Bien que les procédures judiciaires coûtent aussi de l’argent et pourrait avoir vocation à être financée, c’est la question du retour sur investissement qui se pose principalement pour le tiers financeur. En effet, les procédures sont longues et les juridictions françaises n’octroient généralement pas la prise en charge des coûts de procédure à la partie succombante. Elles allouent plutôt un montant forfaitaire bien inférieur à celui effectivement dépensé par les parties, ce qui résulte mécaniquement en une diminution des sommes octroyées et pouvant être récupérées par le financeur. De même, les financeurs invoquent un aléa plus important, comparé aux procédures d’arbitrage, quant aux montants des dommages et intérêts effectivement alloués par rapport aux demandes et aux dommages effectivement subis par les parties. Les enjeux sont également souvent inférieurs à ceux de procédure d’arbitrage. Ceci génère également un risque plus important pour le financeur et explique une certaine frilosité.
Plus généralement, se pose en France la question du respect de la déontologie. Cette questions est étudiées par le Club des Juristes et l’Ordre des avocats de Paris, qui ont rendu deux rapports distincts (publiés en 2014 et 2017) sur les problèmes de déontologie soulevés par ce mécanisme.[4] La question du conflit d’intérêt et de la révélation du tiers financeur est notamment une question centrale.
Toutefois, le cadre juridique n’a pas changé depuis 2013 et l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles[5] qualifiant le contrat de financement par un tiers de contrat sui generis, n’a pas été développé par la jurisprudence.
Pour les mêmes raisons que celles énoncées dans notre article de mars 2013, le financement par les tiers est également moins « nécessaire » en matière judiciaire en France que dans d’autres pays. Il est donc relativement peu utilisé et les fonds de financement spécialisés français sont rares. On dénombre très peu de fonds dédiés uniquement au marché français. Il y a notamment la Française IC2, créée en 2009, Alter Litigation, créé en 2013 et on peut aussi compter sur DES Third Party Funding, créé en 2017, qui ne finance que les procédures d’accidents du travail et des maladies professionnelles pour les entreprises de plus de 150 salariés. Cela reste une évolution et on peut s’en féliciter.
Le marché est tout de même amené, à tout le moins en matière d’arbitrage, à suivre la tendance globale, puisque la CCI (Chambre de Commerce Internationale) est le siège d’un très grand nombre d’arbitrages internationaux et que l’essor du financement dans ces procédures est certain même s’il reste marginal (environ 5% des dossiers sont effectivement financés) et peu envisagé par les opérateurs français.
Contact : laure.perrrin@squirepb.com
[1] « Le financement de l’arbitrage par un tiers en France »
[2] Persona Digital Telephony Ltd & ors v The Minister for Public Enterprise & ors [2017] IESC 27, 23 Mai 2017.
[3] Code of Conduct for Litigation Funders, Association of Litigation Funders.
[4] Rapport de la Commission du Club des Juristes « Financement du procès par les tiers », présidée par J.-P. Ancel, publié en juin 2014 et Rapport de l’Ordre des avocats de Paris « Le financement de l’arbitrage par les tiers (« Third party funding ») » présenté le 21 février 2017.
[5] CA Versailles, 1 juin 2006, No. 05/01038.