Loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010
Utilisée aux États-Unis, la technique dite du « prepackaged plan » consiste dans la pré-négociation d’un plan de restructuration des dettes avec les principaux créanciers, le plus souvent financiers, servant à obtenir l’adoption de ce plan à la majorité dans le cadre de la procédure de sauvegarde, et ce en un temps record [1].
Ni la réforme mise en place par la loi du 26 juillet 2005, ni l’ordonnance du 18 décembre 2008 n’avaient permis de doter la France d’un système comparable, l’articulation des procédures de conciliation et de sauvegarde limitant toute procédure similaire.
Dans les faits, les professionnels du secteur avaient déjà mis en place un système proche de celui utilisé outre-Atlantique, faisant fi des limitations légales, dans l’intérêt de la sauvegarde de l’emploi, de l’entreprise et partant des créanciers, afin d’imposer aux créanciers financiers minoritaires récalcitrants un accord global à la majorité des deux tiers du comité des établissements de crédits.
On relèvera dès à présent que cette procédure s’adresse aux entreprises susceptibles de constituer des comités, soit plus de 150 salariés ou 20 M€ de chiffre d’affaires.
La loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 – articles 57 et 58 – (texte fourre-tout utilisé fort à propos par le législateur pour accélérer le processus) vient donc corriger cette lacune et instituer « une procédure de sauvegarde financière expresse » véritable « prepackaged plan à la française ».
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une nouvelle procédure collective [2], cette procédure est destinée « aux entreprises qui ont su anticiper leurs difficultés en ayant recours aux procédures amiables mais n’étant pas parvenues à recueillir cette unanimité, sont soumises aux contraintes d’une procédure collective » [3] (l’unanimité des parties concernées étant requise pour faire constater ou homologuer l’accord de conciliation par le juge).
Le rapporteur du projet de loi, le député Jérôme Chartier de préciser « la sauvegarde financière accélérée permet de dépasser l’opposition des créanciers minoritaires lorsque moins d’un tiers d’entre eux ont fait échouer la conciliation préalable. Cette innovation juridique s’inscrit dans le droit fil de la loi de 2005 sur la sauvegarde des entreprises. Elle devait permettre de sauvegarder des emplois en nombre significatif. » [4].
1/ Le déroulement de la procédure
Le préalable obligatoire à l’ouverture d’une sauvegarde expresse est que la société qui en fait la demande se trouve en conciliation.
De plus, la procédure ne sera ouverte que si le dirigeant peut :
– démontrer qu’il a élaboré un projet de plan visant à assurer la pérennité de l’entreprise,
– que ce projet est susceptible de recueillir un soutien suffisamment large de la part de certains créanciers (article L. 628-1 du Code de commerce).
En effet, la procédure de conciliation a une durée limitée à quatre mois seulement, qui peut être prorogée d’un mois à la demande du conciliateur (5 mois au total). Il arrive souvent qu’un accord entre le débiteur et ses créanciers soit sur le point d’être finalisé, mais que par manque de temps, il ne puisse pas l’être.
De même, le dirigeant peut avoir l’accord d’une grande partie de ses créanciers financiers sans toutefois arriver à obtenir l’unanimité requise en conciliation.
Cette nouvelle procédure, prévoit donc une passerelle qui n’existait pas auparavant entre la procédure de conciliation et la procédure de sauvegarde (article L. 628-1 alinéa 2 du Code de commerce).
La demande d’ouverture est formulée par le dirigeant de l’entreprise.
Les promoteurs du projet étaient assez optimistes puisqu’ils mentionnaient dans leur note de présentation que « les délais de cette procédure pourraient être réduits à 15 ou 21 jours maximum ».
En pratique la sauvegarde est dite « accélérée » puisque sa durée est fixée à un mois à compter du jugement d’ouverture. Il est possible au Tribunal de renouveler cette période une seule fois (L. 628-6 du Code de commerce), soit deux mois au maximum.
Un des grands inconvénients de la procédure de sauvegarde actuelle est que, du fait de son caractère public, les banques ou les fournisseurs mis au courant, peuvent arrêter leurs relations commerciales avec l’entreprise, privant cette dernière de la trésorerie et des délais de paiement indispensables à la poursuite de son activité.
Cette nouvelle procédure a l’avantage de la souplesse et de la rapidité dans la mesure où elle permet de sécuriser le redressement des entreprises qui bénéficient du soutien de la majorité de leurs créanciers. En effet, son but est de passer outre l’opposition des créanciers minoritaires, via un vote rapide du comité des créanciers des établissements de crédits à la majorité des deux tiers.
Une fois ce vote obtenu, l’administrateur judiciaire (préalablement conciliateur) prépare rapidement un plan de sauvegarde qu’il propose au Tribunal, ce qui permet à l’entreprise de sortir de la procédure collective au bout de 5 + 2 = 7 mois maximum.
Toutefois, on pourra regretter qu’un avantage prévu à l’origine du projet et potentiellement très important par rapport à la procédure de sauvegarde, n’a pas été mis en œuvre.
Dans la procédure de sauvegarde, le passif antérieur est gelé dès le jugement d’ouverture. Il était prévu d’inscrire à l’article L. 628-5 du Code de commerce que les dettes antérieures à l’ouverture de la procédure de sauvegarde expresse seraient payées, ce qui pouvait être de nature à rassurer les créanciers. Ce principe présenté comme révolutionnaire par un commentateur [5], n’a finalement pas été conservé dans le projet de loi définitif. Les effets du gel du passif sont sensés être compensés par la rapidité de la procédure (1 à 2 mois).
Subséquemment, on peut regretter aussi, à l’instar de Monsieur Jérôme Chartier, que les termes de l’article L. 628-5 du Code de commerce soient restés vagues.
En effet, le texte prévoit qu’une liste de créances est établie par le débiteur à la date de l’ouverture de la procédure de sauvegarde financière accélérée, puis est ensuite déposée au greffe du tribunal. Il aurait pu être ajouté l’obligation faite au greffier de transmettre cette liste de créances au mandataire judiciaire.
Le décret pris en Conseil d’Etat devrait permettre de réparer cette lacune.
2/ Les créanciers concernés
Au départ la procédure financière accélérée a été envisagée pour les « créanciers financiers » des entreprises, termes assez imprécis en vérité. Sûrement devait-on faire le lien avec l’article L. 626-30 du Code de commerce précisant la composition du comité des établissements de crédit : les banques, la Caisse des Dépôts, des fonds d’investissement, etc.
La loi a comblé cette lacune en précisant à l’article L. 628-1 alinéa 3 renvoyant aux articles L. 626-30 et L. 626-32 du Code de commerce que la procédure n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers ayant la qualité de membres du comité des établissements de crédit et des obligataires (créanciers titulaires d’obligations émises en France ou à l’étranger).
3/ Le sort des créanciers non affectés par le plan
La procédure de sauvegarde « expresse » est une procédure allégée comme le montrent diverses dispositions.
Dans l’article L. 626-30-2 du Code de commerce, figure ainsi le fait que les créanciers non affectés par le plan ou payés intégralement dès l’arrêté du vote ne participent pas au vote dans les comités :
« Ne prennent pas part au vote les créanciers pour lesquels le projet de plan ne prévoit pas de modification des modalités ou prévoit un paiement intégral en numéraire dès l’arrêté du plan ou dès l’admission de leurs créances. »
Une illustration peut être trouvée avec le cas des titres super subordonnés (TSS) [6].
Ces TSS qui sont des obligations à durée perpétuelle ne seront comptabilisés dans les droits de vote qu’à hauteur de la créance d’intérêts et non du nominal. En effet, le porteur de TSS n’a aucune vocation à être payé dans le cadre du vote. Les comités de créanciers dont les membres seront par conséquent moins nombreux, s’en trouveront moins « lourds » à gérer.
Il en est de même pour les bénéficiaires de prêts participatifs qui ne devraient pas être intégrés dans la consultation préparatoire à l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement.
4/ Le paiement rapide des créances incontestées
Enfin, la loi a prévu une nouvelle disposition, codifiée à l’article L.626-21 du Code de commerce, permettant le règlement des créances non contestées dès l’arrêté du plan, si ce dernier le prévoit, sans attendre la fin de la période de déclaration des créances :
« Lorsque le mandataire judiciaire a proposé l’admission d’une créance et que le juge-commissaire n’a été saisi d’aucune contestation sur tout ou partie de cette créance, les versements y afférents sont effectués à titre provisionnel dès que la décision arrêtant le plan est devenue définitive, à condition que cette décision le prévoie».
C’est encore une disposition favorable à la poursuite de l’activité dans la mesure où les créanciers de l’entreprise n’ont pas à pâtir de la procédure de sauvegarde et seront payés quasi-normalement.
Pour conclure, on ne peut que saluer l’inscription dans la loi d’une procédure anticipée par la pratique qui gageons-le saura palier sans difficulté certaines imperfections d’un texte voté en « urgence » dans l’intérêt de tous.
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[1] A. Besse et N. Morelli, Le prepackaged plan à la française : pour une saine utilisation de la procédure de sauvegarde, JCP E n° 25, 18 juin 2009, 1628
[2] Les Echos, Entreprises en difficulté : Bercy veut renforcer la procédure amiable, 14/09/2010
[3] Direction des affaires civiles et du Sceau et Direction générale du Trésor, Mesures susceptibles d’améliorer le financement des entreprises en difficulté – Note de présentation
[4] Rapport du député Jérôme Chartier au nom de la Commission des finances sur le projet de loi de régulation bancaire et financière, enregistré à l’Assemblée nationale le 7 octobre 2010
[5] G. Teboul, Un nouveau coup de balancier : le projet de sauvegarde financière expresse, GP, 15-16 sept. 2010, p. 8
[6] P.-M. Le Corre, Porteurs de Titres super subordonnés et élaboration des plans de sauvegarde ou de redressement, D. 2010, Chron. 839