L’instauration d’une action de groupe à l’américaine dans notre procédure judiciaire est le serpent de mer de la politique judiciaire française.
Lancée en 2006 dans une proposition de loi de Luc Chatel répondant à une promesse électorale de Jacques Chirac, jamais discutée au Parlement, l’idée rejaillit en 2007 dans le cadre de la mission de réflexion sur le droit des affaires confiée à Rachida Dati par Nicolas Sarkozy. Elle n’est pourtant pas intégrée à la loi sur la modernisation de l’économie adoptée par le parlement le 23 juillet 2008. Luc Chatel, alors secrétaire d’État à la consommation, s’était engagé à présenter aux députés un nouveau projet de loi sur les actions de groupe avant la fin de l’année 2008, sans en préciser la date. Cela n’a jamais été fait. L’intérêt politique s’est manifestement tari. Il faut dire que les craintes sont grandes du côté des entreprises des dérives à l’américaine, où des actions abusives sont engagées dans le seul but de forcer l’entreprise injustement attraite à transiger et où plus généralement les montants en jeu sont colossaux.
Le projet d’action collective en France tentait de résister à ces dérives par un dispositif restrictif. L’idée de l’introduction d’une class action a été relancée par la Commission européenne en 2011 qui a initié une consultation publique à ce sujet. Elle est cependant manifestement absente des débats actuels.
Parallèlement, la jurisprudence a petit à petit étendu toujours plus largement le droit d’agir des associations par une interprétation large de la recevabilité de l’action et de la notion de préjudice collectif.
Traditionnellement le droit d’agir des associations, né en 1973, était restreint à l’exercice par les associations agréées de l’action civile en cas d’infractions pénales portant atteinte à l’intérêt collectif qu’elles représentaient.
Or, il est depuis quelques années admis que l’habilitation de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement qui autorise les associations à exercer l’action civile contre l’auteur d’une infraction au droit de l’environnement quand cette infraction porte « un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre » peut être exercée devant les tribunaux civils en l’absence d’infraction pénale (Cass. civ. 2ème. 7 décembre 2006, n° 05-20.297 ; Cass. Civ. 3ème 26 septembre 2007, RTDCiv. 2008-305).
De la même façon, la Cour de cassation dans un arrêt du 25 mars 2010 va au-delà de la lettre de l’article L. 421-2 du Code de la consommation pour admettre le droit d’agir d’une association de consommateur visant à la réparation d’une faute civile (Civ. 1ère, 25 mars 2010, n°09-12.678).
La chambre criminelle avait déjà considéré qu’aucune infraction ayant porté un préjudice à l’intérêt collectif des consommateurs n’était exclue de son droit à agir, ce qui comprend les infractions au droit de la consommation mais également toute autre infraction comme un homicide (Cass. Crim. 24 juin 1997, CCC 1997, Comm. 138) ou une publicité mensongère (Cass. Crim. 30 janvier 1995 D. 1995. 77).
En outre, les associations non agréées sont progressivement admises dans leur action en justice (Cass. civ.3, 26 septembre 2007, n° 04-20.636).
Ainsi de façon générale, la recevabilité de l’action est admise, dès lors que l’association peut se prévaloir d’une atteinte aux intérêts collectifs qu’elle a, en vertu de ses statuts, spécifiquement pour objet de défendre.
En outre, la réparation du préjudice des associations déroge à toutes les règles du droit de la responsabilité telles que posées par le Code civil, car le préjudice des associations n’est jamais par nature personnel et il est souvent incertain et indirect.
Encore récemment, une société exploitant des dépôts de produits pétroliers était en infraction aux prescriptions techniques d’un arrêté préfectoral relatif à la protection des sols et des eaux. Mise en demeure de faire cesser l’infraction par la DRIRE, la société avait décidé de restructurer son exploitation et de démanteler les cuvettes de rétention des installations.
Des associations de protection de l’environnement se sont constituées parties civiles dans le cadre de l’action publique engagée à l’encontre de la société et ont demandé des dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement précité. La Cour d’appel avait déclaré l’action recevable alors même que l’infraction avait cessé et qu’il n’était pas démontré qu’il en était résulté un quelconque dommage.
La Cour de cassation a confirmé la motivation de la Cour d’appel et considéré que le non respect de la réglementation des installations classées, en ce qu’il est de nature à créer un risque de pollution majeure pour l’environnement, et notamment pour les eaux et les sols, porte atteinte aux intérêts collectifs que les associations agréées de protection de l’environnement ont pour objet de défendre. Cette seule atteinte suffit, selon la Cour, à caractériser le préjudice moral indirect dont les associations sont en droit de demander réparation (Cass. Civ. 3ème 8 juin 2011, n° 10-15.500).
Si l’action de groupe à l’américaine heurte de nombreux principes de la procédure civile (Nul ne plaide par procureur – Relativité de la chose jugée), le recours collectif tel qu’il est interprété par la jurisprudence se heurte aux principes du droit de la responsabilité qui exigent que le préjudice réparable ait un caractère certain, direct et personnel.
La class action qui a vocation à réparer un agrégat de préjudices individuels, et donc personnels, directs et certains ne se heurte pas à ces principes. Si elle est instaurée, elle ne remplacera cependant pas le recours collectif des associations qui finit grâce à la jurisprudence par remplir un objectif préventif : réparer un « préjudice collectif éventuel » pour prévenir un risque de préjudice individuel (notamment en matière de consommation).
Ces deux types de recours ne sont donc pas nécessairement exclusifs l’un de l’autre et pourrait cohabiter, générant une pression et un risque accru pour les entreprises.