Le 9 octobre dernier, la Cour suprême du Royaume-Uni a rendu son jugement dans l’affaire Enka c. Chubb[1], une décision qui a fait grand bruit dans la communauté arbitrale car elle a clarifié l’approche du droit anglais dans la détermination de la loi applicable à une convention d’arbitrage.

Une version anglophone de cet article est disponible ici.                                                                                          

L’importance du droit applicable à une convention d’arbitrage

Le droit applicable à une convention d’arbitrage régit nombre de questions, à commencer par celle de savoir si le tribunal arbitral est compétent à l’égard des parties, si les demandes des parties relèvent de sa compétence et si les juridictions étatiques doivent renvoyer les parties à l’arbitrage.

Ces questions, qui ont trait à la validité et à la portée d’une convention d’arbitrage, ne sont pas réglementées uniformément par les lois nationales, qui adoptent leurs propres critères, parfois très différents[2].  Il est donc essentiel de savoir quel droit doit être appliqué.

L’approche du droit anglais

Suivant les règles de la common law anglaise, une convention d’arbitrage (comme tout contrat) est régie soit par la loi choisie, expressément ou implicitement, par les parties, soit en l’absence d’un tel choix, par le système de droit avec lequel la convention d’arbitrage présente les liens les plus étroits.

L’affaire Enka c. Chubb

L’intérêt de cette décision, c’est d’avoir donné à la Supreme Court l’occasion de clarifier certains principes. D’abord, lorsqu’une convention d’arbitrage ne précise pas le droit qui lui est applicable mais s’insère dans un contrat ou ensemble contractuel qui, lui, comprend un choix de loi, ce choix régira aussi la convention d’arbitrage. C’est un cas de figure étonnamment courant, puisque les parties tendent à convenir d’un contrat contenant un choix de loi et à y insérer une clause d’arbitrage, tout en oubliant que celle-ci est un accord distinct du contrat qui la contient. Cette solution vaudra à chaque fois qu’une clause de choix de loi peut être identifiée ailleurs dans le contrat, à moins que n’existent des raisons impérieuses de ne pas l’appliquer à la convention d’arbitrage – par exemple, lorsque l’application de ce droit rendrait la convention d’arbitrage inapplicable.

Si au contraire, ni la convention d’arbitrage ni le contrat principal ne contiennent de choix de loi applicable, alors la convention d’arbitrage sera régie par le droit avec lequel la convention d’arbitrage présente les liens les plus étroits. La Cour suggère que ce sera dans la plupart des cas le droit du lieu de l’arbitrage (le fameux « siège ») choisi dans la clause d’arbitrage.

Commentaire

Ce qu’il faut retenir de l’affaire Enka c. Chubb, c’est que si aucun autre choix de loi n’a été fait, le choix de loi applicable au contrat s’étendra généralement à la convention d’arbitrage que ce contrat contient. L’une des raisons qui sous-tendent l’arrêt est le fait qu’il est naturel pour les hommes – et femmes – d’affaires de supposer que lorsqu’une convention d’arbitrage fait partie d’un contrat, le choix de la loi applicable au tout s’appliquera également à la convention d’arbitrage.

La décision concilie ainsi le droit de l’arbitrage avec les attentes des parties commerciales et ne devrait donc être accueillie que favorablement.

L’approche du droit anglais est-elle pertinente pour vous ?

La décision rapportée pourra vous intéresser si vos contrats ont un lien étroit avec l’Angleterre ou le Pays de Galles, qu’ils comportent une clause d’arbitrage avec un siège en Angleterre ou au Pays de Galles ou une clause de choix du droit anglais, ou encore si votre tribunal arbitral est majoritairement constitué de membres ayant une formation orientée vers la common law. Chacune de ces circonstances pourrait amener un tribunal arbitral ou une cour à appliquer l’approche du droit anglais pour déterminer le droit applicable à la clause d’arbitrage.

En outre, la décision sera le précédent que les juges anglais appliqueront lorsqu’ils seront appelés à mettre en œuvre une convention d’arbitrage (par exemple, pour suspendre une procédure judiciaire engagée au Royaume-Uni ou à l’étranger) ou à accorder des mesures provisoires.

 

Pour plus d’informations ou pour toute question sur ce qui précède, veuillez contacter Caroline Croft, Samuel Bologna ou votre interlocuteur habituel au sein de notre équipe IDR.

 

[1]           Enka Insaat Ve Sanayi AS (défendeur) c. OOO Insurance Company Chubb (demandeur) [2020] UKSC 38.

[2]            A noter ici que la démarche n’est pas celle du droit français qui, refusant d’appliquer une loi étatique à une convention d’arbitrage internationale, adopte un principe de validité de celle-ci fondée sur la commune volonté des parties. La démarche fait cependant figure d’exception.