Le délibéré est un échange entre un ou plusieurs arbitres, qui leur permet de sous-peser les arguments des parties et d’échanger des opinions solo ou d’une manière collégiale et objective, ainsi que d’évaluer les points de fait et de droits exposés par les parties. Une sentence arbitrale doit toujours être rendue d’une façon impartiale, et la délibération est de ce point de vue un processus essentiel afin d’arriver à une décision de fond, juste et mesurée. Le délibéré arbitral n’est pas nécessairement un long fleuve tranquille, mais sa finalité est aussi d’arrêter la motivation qui justifie la décision.

Dans un arbitrage international, un tribunal arbitral compte souvent en son sein des arbitres de nationalités, culture, systèmes juridiques, langues, personnalités et professions différents. Tout cela fait que l’appréciation de tout un chacun concernant un différend donné peut varier considérablement, risquant de susciter des opinions dissidentes au sein du tribunal. Or, l’essence même de l’arbitrage est d’arriver à un consensus et de trancher le litige au fond.

Dans la recherche du consensus, compromis d’ouverture d’esprit ou « fraternité », le Président du tribunal joue un rôle prépondérant tout en s’assurant la collégialité et la bonne tenue des débats. Son expérience et son autorité seront déterminants, notamment si un arbitre moins expérimenté compose le panel. Il devra ainsi imposer le respect et l’égalité entre les co-arbitres composant le tribunal, mais également superviser et inclure l’arbitre moins expérimenté dans le processus pour parvenir à une discussion collégiale.

Pour cela, pas de recette miracle, pas de méthode apprise dans les livres, mais une alchimie difficile à trouver qui résulte d’un mix d’expérience, de capacité d’adaptation, mais aussi de savoir-faire du Président afin d’unifier le panel arbitral. Pour mener à bien cette mission, le Président devra instaurer une ambiance de travail sérieuse mais conviviale, sans favoriser un arbitre au profit d’un autre.

Ce dernier point est absolument primordial,  le Président ne peut ainsi se permettre d’avoir des échanges avec l’un des arbitres, sans que l’autre arbitre ne soit présent ou ne soit informé de ce qui s’est dit. Le délibéré est un processus de groupe, chaque arbitre présent, ne laissant aucune place à des apartés ou échanges secrets concernant le fond de l’affaire.

Le Président doit être le chef d’orchestre de l’arbitrage ; il doit gérer la procédure arbitrale de manière à assurer le débat tout en contenant les opinions dissidentes au maximum. Le risque est de créer des frustrations chez les arbitres et de voir des opinions dissidentes se former artificiellement. L’arbitrage avec panel est un travail de groupe nécessitant une gestion saine et pensée à l’avance. Si jamais des opinions contraires venaient à apparaître durant le processus arbitral, le rôle de conciliation du Président sera alors essentiel. Il ne doit pas se poser en juge des opinions des autres arbitres ; une opinion dissidente n’est pas nécessairement une mauvaise opinion. Le respect des opinions de chacun est une nécessité, tout comme le consensus.

À cette fin, le leadership et l’autorité du Président seront déterminants. Dans une situation d’incertitude et d’opposition intellectuelle sur le fond de l’affaire, le Président sera l’instigateur d’une dynamique de conciliation entre les arbitres et permettra au panel de trancher le fond de l’affaire en toute sérénité, malgré les différences de systèmes juridiques et de culture des arbitres. Cette alchimie opère souvent, même si les arbitres sont proches des parties.

La pathologie est partout. À titre d’exemple, quand un des arbitres a des difficultés à participer activement au délibéré dans une langue qu’il maîtrise mal ou en raison d’une diminution physique ou intellectuelle, ou encore pour défaut d’indépendance, voire d’impartialité, ayant défendu des thèses juridiques opposées à celles qui semblent prévaloir en l’espèce. Comment délibérer efficacement lorsqu’on a des préjugés ? Ainsi un défenseur de l’environnement, écologiste activistes à certaines heures, peut-il sereinement résoudre un litige impliquant une marée noire (Ixtok I, l’Amoco Cadiz, Exxon Valdez, Erika…), un scandale alimentaire ou la mise sur le marché de médicaments inefficaces, voire dangereux ?

Vaste sujet que celui du délibéré, où les notions d’indépendance et d’impartialité prennent toute leur dimension, mais aussi de disponibilité, de compétence(s), d’absence de préjugés et de conflits d’intérêts.

Arrêtons-nous avant d’ouvrir la profonde boîte de Pandore du conflit d’intérêt et des préjugés.