Cass, soc 4 février 2015 n°14-13646 et n°13-18.407
Par arrêté du 11 décembre 2001, le Grand port maritime de Dunkerque a été inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l’ACAATA (allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante).
Six mois plus tard, le 18 juin 2002, le Grand port conclu un protocole d’accord instaurant une indemnité de fin de carrière bonifiée au profit des salariés qui remplissent les conditions pour bénéficier de l’ACAATA et qui mettent fin de manière anticipée à leur activité professionnelle.
Or, huit années plus tard, la Cour de cassation a reconnu l’indemnisation du préjudice d’anxiété et la situation juridique se complexifie puisque désormais les travailleurs de l’amiante ont la possibilité d’engager la responsabilité civile de leur employeur afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice né de l’inquiétude permanente dans laquelle ils vivent de développer une maladie liée à l’amiante (Cass. soc. 11 mai 2010 n°09-42.241).
À propos d’une affaire similaire concernant le Grand port de Marseille, la Cour de cassation avait admis que l’indemnisation du préjudice d’anxiété était susceptible de se cumuler avec l’indemnité de fin de carrière bonifiée prévue par l’accord collectif : la compensation plus importante de la perte de revenu prévue par ledit accord n’interdit pas la réparation du trouble psychologique résultant de la peur de développer une maladie liée à l’amiante (Cass, soc 19 mars 2014 n°12-29.339).
C’est dans ces circonstances que, craignant de voir d’anciens salariés demander la réparation devant les tribunaux de leur préjudice d’anxiété, le Grand port maritime de Dunkerque a négocié en mars 2012 un avenant -à caractère interprétatif- à l’accord signé en 2002.
Aux termes de cet avenant, était prévu que l’indemnité de fin de carrière bonifiée avait pour cause la volonté des signataires d’indemniser les salariés pour l’ensemble des préjudices de toute nature éventuellement subis du fait de l’exposition potentielle à l’amiante, au cours de leur carrière au sein de l’entreprise et en l’absence d’une maladie professionnelle déclarée.
Y était expressément précisé que cet avenant avait une valeur interprétative, ce qui permettait à la société de le rendre opposable à tous les salariés, et surtout à ceux ayant bénéficié de l’indemnité bonifiée avant sa signature.
C’est ainsi que la Cour d’appel de Douai, s’appuyant sur le caractère interprétatif avait jugé que le montant de l’indemnité bonifiée perçue antérieurement à l’avenant devait être déduit de l’indemnisation du préjudice d’anxiété obtenue en justice postérieurement.
Telle n’est pas la position de la Cour de cassation. En effet, selon la Haute juridiction, l’avenant signé en 2012 ne saurait être considéré comme interprétatif dans la mesure où il « a ajouté au droit préexistant résultant de l’accord du 18 juin 2002 ». En effet un accord est interprétatif lorsqu’il vient préciser, sans innover, un état de droit susceptible de controverse en raison d’une définition imparfaite.
La Cour de cassation est catégorique puisque l’avenant « est dépourvu de caractère interprétatif » il n’est pas rétroactif et ne s’applique qu’à compter de sa date de signature, à savoir le 18 juin 2012.
Ainsi, les salariés ayant bénéficié de l’indemnité bonifiée issue de l’accord de 2002 avant la signature de l’avenant conservent la possibilité de faire reconnaître leur préjudice d’anxiété, sans que l’indemnité qu’ils seraient amenés à percevoir à ce titre ne soit réduite du montant de l’indemnité de carrière bonifiée déjà perçue.
Le cumul des deux indemnités, dans leur intégralité, est donc possible…
Cet arrêt, qui s’inscrit dans un contentieux de masse autour du préjudice d’anxiété des travailleurs de l’amiante, marque une nouvelle fois la position ferme de la Cour de cassation face aux différentes tentatives des entreprises pour contourner cette indemnisation.
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