En 2005, le législateur est venu consacrer l’existence d’un contrat de distribution d’un genre un peu particulier : la gérance-mandat (voir La Revue août-septembre 2005, p. 22).
Jusqu’à cette date, seuls les contrats de gérance-mandat conclus dans le cadre de la distribution de biens d’alimentation bénéficiaient d’un cadre juridique propre, inséré dans le Code du travail (L.782-1 et suivants). Utilisés en particulier par les réseaux de supérettes et certains cavistes, ce contrat est difficile à mettre en œuvre, tant les dispositions du droit civil et commercial d’une part, et du droit du travail d’autre part, s’appliquent sans grande cohérence.
A la différence du secteur particulier de l’alimentation, qui demeure toujours soumis au Code du travail, un cadre général a donc été institué et inséré dans le Code de commerce aux articles L.146-1 et suivants (I). Ce n’est pas pour autant que les risques de requalification en contrat de travail ont complètement disparu, comme l’illustrent les récentes déconvenues judiciaires de Bouygues Télécom (II).
Le nouveau cadre de la gérance-mandat
La loi définit désormais la gérance-mandat comme le contrat par lequel une personne physique ou morale (le « gérant-mandataire ») gère un fonds de commerce ou un fonds artisanal, moyennant le versement d’une commission proportionnelle au chiffre d’affaires, pour le compte du propriétaire du fonds (le « mandant ») qui lui fixe une mission et lui laisse toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer ses conditions de travail, d’embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans son activité, à ses frais et sous son entière responsabilité.
Alors que le mandant reste par nature le propriétaire du fonds de commerce, le mandataire-gérant gère celui-ci sans supporter les pertes liées à son exploitation.
Ce type de contrat se distingue donc en principe:
- du contrat de franchise ou de concession car le franchisé ou le concessionnaire assume tous les risques de l’exploitation du fonds,
- du contrat d’agence commerciale car l’agent conclus ses ventes pour le compte du mandant,
- du contrat de location-gérance de fonds de commerce qui ne concerne que des fonds exploités depuis au moins deux ans et qui fait peser les risques de l’exploitation sur le locataire-gérant,
- du contrat de travail faute de lien de subordination.
La rédaction d’un contrat de gérance-mandat doit s’entourer de nombreuses précautions. D’abord d‘ordre formel, car la loi s’est inspirée de la célèbre loi Doubin sur la franchise pour obliger le mandant à communiquer certaines informations précontractuelles à son futur gérant-mandataire. Quant au fond, il devra en particulier s’attacher à déterminer très précisément la mission impartie au gérant-mandataire selon un aspect positif (les obligations mises à sa charge et contrôlées par le mandant) et un aspect négatif (les décisions qui lui appartiennent et relèvent de sa propre responsabilité). Enfin, il conviendra de déterminer les conditions de paiement de l’indemnité de fin de contrat (mécanisme inspiré de celui applicable à l’agent commercial, celui-ci n’étant pas non plus propriétaire du fonds exploité).
La requalification en contrat de travail
Ni plus ni moins que tout contrat par lequel un « producteur » de biens ou services confie à un distributeur la commercialisation de ceux-ci, et entend à ce titre « contrôler » les conditions d’exécution de l’activité, le contrat de gérance-mandat peut être requalifié en contrat de travail, si ce « contrôle » se mue en « lien de subordination ».
Plus un contrat de distribution implique de contrôle dans l’activité et la gestion par le mandant, plus le risque de requalification augmente. Rien d’étonnant donc à ce que le contrat de franchise et le contrat de gérance-mandat aient déjà fait l’objet de requalification par des tribunaux.
Ainsi, le 13 octobre 2006, la Cour d’appel de Toulouse a-t-elle considéré que plusieurs franchisés d’un même réseau pouvaient bénéficier des dispositions protectrices du droit du travail dans la mesure où il existait un lien de subordination avec le franchiseur/employeur, celui-ci fixant notamment le prix de revente des produits distribués par le franchisé/salarié.
Selon Les Échos du 3 janvier 2007, une dizaine de mandataires-gérants de boutiques du réseau Bouygues Telecom aurait récemment vu confirmée en appel la requalification de leur contrat de mandat-gérance en contrat de travail.
Les juges auraient notamment considéré que l’existence d’un lien de subordination entre le mandat et son gérant-mandataire était établie : en premier lieu, l’opérateur détenait les locaux, le fonds de commerce, l’enseigne, la clientèle et les marchandises qui étaient uniquement des produits de celui-ci.
Ensuite, la Cour n’aurait trouvé aucun domaine d’activité où les managers ne recevaient pas d’instructions de l’opérateur, la Cour relevant même, que la tenue vestimentaire était définie par le mandant.
Pis, la Cour aurait souligné que le mandant déterminait indirectement le « salaire » de ses gérants en décidant des prix de vente, du taux de commissions et du volume des stocks. La Cour se serait appuyée en outre sur des courriers adressés aux gérants-mandataires évoquant directement la notion de rémunération. Si un gérant-mandataire fermait sa boutique, un certificat médical attestant de son immobilisation était demandé…
Rappelons pour mémoire l’article L 781-1-2° du code du travail étendant l’application du code aux « personnes dont la profession consiste essentiellement,
1) soit à vendre des marchandises (…) qui leur sont fournis exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise industrielle ou commerciale,
2) lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise
3) et aux conditions
4) et prix imposés par ladite entreprise. »
Voilà pourquoi il est toujours dangereux d’imposer des prix de revente à ses distributeurs. Non seulement les autorités de régulation de la concurrence apprécient assez moyennement ce genre de pratique restrictive, mais en outre, le distributeur, personne physique, peut assez aisément faire requalifier son contrat de distribution en contrat de travail.