Waterloo! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine
 
(…) « L’Elysée ! L’Elysée ! L’Elysée ! Morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de lois, de promesses, de brouillons,
La pâle mort mêlait la sombre mondialisation.
D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France.
Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l’espérance ;
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
O l’Elysée ! je pleure et je m’arrête, hélas !
Car ces candides soldats de la Promo Voltaire
Furent grands ; ils avaient compris la misère,
Chassé les réacs, passé des pactes, nommé les copains
Et leur âme chantait dans les clairons d’airain !
Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Il avait l’anaphore et presque la victoire ;
Il tenait la finance acculée par un ‘Moi’.
Sa lunette à la main, François observait parfois
Les Républicains au combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l’horizon, cherchant une hirondelle
Soudain, joyeux, il dit: Aubry ! – C’était Merkel

L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme,
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme.
Le chômage, les impôts écrasèrent les français.
L’assemblée, où frissonnaient les égos déchirés,
Ne fut plus, dans les cris des promesses qu’on égorge,
Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge ;
Gouffre où les pactes et synthèses comme des pans de murs
Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
Les beaux états -majors aux panaches énormes,
Où l’on entrevoyait des 49.3 difformes !
Carnage affreux! Moment fatal ! François inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Derrière un mamelon, sa garde il maintenait.
Le Valls, espoir suprême et suprême pensée !
« Allons ! Faites donner le Valls ! » cria-t-il. Le Drian, Cazeneuve, grenadiers aux guêtres de coutil,
Dragons que Daesh pris pour des légionnaires,
Rafales et cuirassiers qui traînaient des tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque de scooter,
Mais, ceux de Tours, d’Epinay, de l’arrière,
Comprenant qu’ils allaient mourir dans cette fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.
Leur bouche, d’un seul cri, dit : Même pas peur !
Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,
Tranquille, souriant à la finance anglaise,
Macron, impérial, entra dans la fournaise.
Hélas ! François, sur sa garde penché,
Regardait, et, sitôt qu’il avait feuilleté
Les sombres journaux crachant des jets de soufre,
Voyait, l’un après l’autre, en cet horrible gouffre,
Fondre conseillers de granit et ministres d’acier
Comme fond une cire au souffle d’un brasier.

Ils allaient, Morel, Thevenoud, Montebourg, stoïques.
Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques !
Le reste du parti hésitait sur leurs corps
Regardait sourire Najat et mourir le lycée. – C’est alors
Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée,
La Déroute, géante à la face effarée
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers compagnons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
A de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève grandissant au milieu des armées,
La défaite apparut au parti qui s’émeut,
Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut !

Sauve qui peut ! Affront ! Horreur ! – toutes les bouches
Criaient ; à travers champs, fous, éperdus, farouches,
Comme si quelque souffle avait passé sur eux.
Dans les circonscriptions où les planqués peureux,
Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,
Jetant, Duflot, Hamon, les rebelles, tous les aigles,
Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil !
Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient ! – En un clin d’œil,
Comme s’envole au vent une paille enflammée,
S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
Et la plèbe lucide se réveille  aujourd’hui,
Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui !
Trente-six ‘moi(s)’ sont passés, toujours moins d’actionnaires,
L’Elysée, ce château  funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants !

François les vit s’écouler comme un fleuve ;
Hommes, réformes, tambours, slogans; et dans l’épreuve
Sentant confusément revenir son remords,
Levant les mains au ciel, Camba dit: « Mes soldats morts,
Lui vaincu ! Mon parti est brisé comme verre.
Est-ce le châtiment cette fois, Europe sévère ? »
Alors parmi les cris, les espoirs évanouis
Il entendit la voix qui lui répondait : Oui ! »  (…)
 
(D’après Victor Hugo, « L’expiation », Les Châtiments, 1853)
 
(1er juin 2015)

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