Exclusion de la qualité de dirigeant de fait des banques et légitimité du contrôle sur le financement octroyé

Dans le cadre des opérations de financement, en particulier dans le contexte des acquisitions par effet de levier (LBO), les prêteurs intègrent des clauses restrictives dans les contrats de prêt afin de sécuriser leur créance et de prévenir tout comportement risqué de l’emprunteur. Ces clauses peuvent inclure des limitations sur les investissements, l’interdiction de contracter de nouveaux emprunts (et les sûretés et garanties relatives) sans autorisation préalable, la restriction des cessions d’actifs au-delà d’un certain seuil, ou encore l’interdiction de modifier l’activité de l’entreprise. Bien que ces stipulations visent à protéger les intérêts financiers des créanciers, elles soulèvent une problématique juridique majeure qui peut donner lieu à de multiples contentieux : quels critères peuvent engendrer une requalification pour les créanciers en dirigeants de fait[1], et ainsi engager leur responsabilité pour insuffisance d’actif en cas de défaillance de l’entreprise au sens de l’article L. 651-2 du Code de commerce[2] ?

I – L’exclusion de l’immixtion des banques dans la gestion de la société

L’arrêt récemment publié par la Cour de cassation[3] s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour et clarifie à nouveau la distinction entre le contrôle exercé par les créanciers dans le cadre d’un financement structuré et l’immixtion effective dans la gestion d’une entreprise.

En l’espèce, une personne physique a cédé 99,57 % du capital d’une société à une holding créée pour les besoins de l’acquisition. Le financement de l’opération repose en partie sur un prêt consenti par une banque qui a syndiqué une partie de sa créance auprès de plusieurs autres établissements bancaires.

Quelques années plus tard, les sociétés du groupe et la holding sont placées en redressement judiciaire, suivi d’une liquidation judiciaire. Le liquidateur assigne alors les dirigeants de droit des sociétés, ainsi que les banques pour insuffisance d’actif, invoquant leur qualité de dirigeants de fait.

Selon le liquidateur, les banques se sont immiscées dans la gestion quotidienne de la société en définissant les modalités du fonctionnement financier et économique ainsi que ses perspectives d’avenir, et en étant consultées régulièrement par le dirigeant de droit dans une relation de dépendance et de soumission.

Le liquidateur invoque les clauses du contrat de prêt pour prouver l’immixtion des banques dans la gestion de la société. Il reproche notamment aux créanciers de limiter par les clauses contractuelles le montant des investissements et l’endettement financier de toutes les sociétés du groupe qui doivent obtenir l’accord préalable des banques au-delà d’un seuil considéré comme dérisoire, d’imposer à l’emprunteur de tenir une réunion annuelle, et d’interdire aux sociétés de solliciter des procédures de prévention sans l’autorisation des banques.

II – Le contrôle légitime des banques dans le cadre du financement octroyé

En réponse, la Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant que les clauses litigieuses sont usuelles dans ce type de montage financier, compte tenu du montant du prêt et opère une distinction entre l’information et le contrôle.

D’abord, la Cour considère que la clause de réunion annuelle a pour objet de faire le point sur la situation et l’évolution du groupe afin d’informer les créanciers sur la situation économique du groupe. La Cour précise que le droit à l’information des banques est nécessaire dans une opération de cette nature et est distinct du pouvoir de direction.

Ensuite, la Cour considère que les banques n’ont jamais exigé de remboursement anticipé ni refusé les demandes de procédure de prévention.

En conséquence, la Cour juge qu’il n’est pas démontré que les clauses contractuelles ont permis aux banques de confisquer les pouvoirs ou d’exercer des pouvoirs décisionnels majeurs. Les banques se sont contentées d’exercer un contrôle et une surveillance du risque financier, sans s’immiscer dans la gestion quotidienne des sociétés du groupe, excluant ainsi la qualification de dirigeants de fait.

En conclusion, la jurisprudence de la Cour de cassation semble rester protectrice des créanciers dans la mesure où la Cour juge qu’ils exercent un contrôle légitime sur le financement octroyé, et écarte une requalification abusive en dirigeant de fait. La simple surveillance des risques financiers, même assortie de clauses restrictives, ne suffit pas à établir la qualité de dirigeant de fait.

Il faut néanmoins relever que la Cour précise que les créanciers n’ont pas exigé le remboursement anticipé, et donc n’ont pas accéléré leurs créances sur la base d’un cas de défaut lié à l’absence de procédure de prévention. Cela semble en creux indiquer que la Cour aurait pu juger autrement si tel avait été le cas.

En conséquence, les créanciers devraient toujours exercer leur pouvoir de surveillance du risque en gardant à l’esprit que la gestion de fait, si elle n’est pas caractérisée dans le contrat, pourrait très bien l’être dans son application.


[1] La notion de dirigeant de fait n’étant pas définie par la loi, c’est la jurisprudence et la doctrine qui en ont établi les critères. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que le dirigeant de fait est celui qui exerce en toute indépendance une activité positive de gestion et de direction de la personne morale (Com. 9 juin 2022, 21-13.588, accessible ici).

[2] Article L651-2 Code du commerce, accessible ici.

[3] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 20 novembre 2024, 23-13.608, accessible ici.