(Le rapport de mission des ambassadeurs de l’amiable)
« Jamais tant de vertu fut-elle couronnée ? (…) ; La nature et le ciel à l’envi l’ont ornée ; Les charmes de son cœur sont encor plus puissants » … Les lauriers adressés à Esther (Racine) faut-il les tresser à la justice amiable ? Pas d’idolâtrie : jugeons sur pièces.

Le rapport de mission des ambassadeurs de l’amiable nommés en mai 2023 a été remis au garde des sceaux le 25 juin dernier. Informatif, sans langue de bois, foisonnant, il multiplie les pistes et recommandations (plus de 80), donnant parfois un peu le tournis au lecteur. Il faut rendre hommage au travail de terrain et au pragmatisme des ambassadeurs : écoute des acteurs territoriaux, reconnaissance des savoir-faire, importance du faire savoir. Les fiches pratiques annexées au rapport sont précieuses. L’absence de développements propres à la justice commerciale est regrettable mais la politique de l’amiable ne concerne, pour l’instant, que la justice civile. Patience.
I. Contexte et rappels
Outre la nomination de douze ambassadeurs[1] d’horizons professionnels divers (permettant des regards croisés), la « politique de l’amiable » initiée par la Chancellerie en janvier 2023 comporte des volets textuel (audience de règlement amiable et césure ; décret du 29 juillet 2023), budgétaire (aide juridique ; décret du 28 décembre 2023) et institutionnel (Conseil National de la Médiation ; loi du 22 décembre 2021).
La feuille de route des ambassadeurs de l’amiable était particulièrement ambitieuse : (i) Faire connaître les nouveaux outils et inciter les professionnels judiciaires à les utiliser (ii) Structurer dans les juridictions et les écoles de formation un réseau national de référents « justice amiable » (iii) Concevoir des outils facilitant le recours aux dispositifs amiables (iv) Recenser les usages locaux et valoriser les bonnes pratiques. Mission accomplie ! On y voit plus clair dans le maquis des Modes Alternatifs de Règlement des Différends (MARD).
Les ailes de l’amiable, nous les connaissons. Qu’il s’agisse de médiation, conciliation, procédure participative, les MARD permettent de résoudre rapidement, dans la souplesse et la confidentialité, des différends de tous ordres, en préservant les relations d’affaires, souvent en créant de la valeur pour les parties. Qui dit mieux !
Nota bene : la voie amiable n’est pas toujours l’option magique. Parfois une médiation est impossible (blocage, opposition de principe d’une partie) ou déconseillée (volonté de publiciser les débats, procès de rupture, besoin de clarifier ou tester une position juridique grâce à un précédent jurisprudentiel, assignation pour faire bouger les lignes…). Pour beaucoup de dossiers, la voie judiciaire ou arbitrale reste incontournable.
Les racines de l’amiable, l’institutionnalisation, les formations, certifications, chartes, s’entrecroisent, se fécondent, se développent. La médiation n’est plus une belle endormie. Le présent rapport en témoigne. Il est structuré en trois parties ; (I) « Un état des lieux des modes amiables de résolution des différends » (Les ailes) (II) « L’appropriation de l’amiable par les acteurs du droit (juges, avocats, notaires, commissaires de justice) » (Les racines). (III) « Le suivi de la politique de l’amiable », synthèse finale, clôt le rapport.
II. Les Modes Amiables de Résolution des Différends
Des freins demeurent
Les rapporteurs recensent ainsi : Un défaut de pilotage et suivis statistiques des indicateurs de performance permettant d’évaluer et valoriser l’amiable ; Une politique trop dépendante des bonnes volontés et enthousiasmes individuels (importance d’inscrire le processus dans des protocoles et règlements intérieurs) ; Un manque de formations et d’informations (nonobstant d’énormes progrès depuis une dizaine d’années) ; Les craintes de certains professionnels du droit concernant les équilibres économiques et la concurrence de l’amiable (importance de les rassurer sur la complémentarité des activités, la fidélisation de la clientèle attachée à l’amiable, le développement de nouveaux marchés).
La conciliation
Régis par le décret du 10 mars 1978, dotés d’un statut et d’une mission de service public, exerçant à titre bénévole, les conciliateurs de justice sont moteurs pour la résolution des petits litiges (consommation, baux d’habitation, nuisances de voisinage). Le rapport prône une intensification de leur recrutement, de la formation continue, une revalorisation des indemnités et une modification de l’article 129, al 2 du CPC (afin de permettre aux magistrats d’enjoindre aux parties de rencontrer un conciliateur de justice dans toutes les procédures, au-delà des seuls cas actuellement visés).
La médiation
La multiplication des médiations -judiciaires ou conventionnelles- passe par une reconnaissance des acteurs territoriaux, une meilleure orientation des dossiers, une optimisation de l’économie et de la tarification de l’amiable. Les rapporteurs suggèrent par ailleurs :
– Une réflexion sur la définition d’objectifs pertinents et d’outils de mesure fiables sur l’amiable.
– La création d’un Conseil Régional de l’Accès au Droit, sous l’égide des Présidents de Cours d’appel.
– L’identification des contentieux sériels afin d’étendre les tentatives de médiations préalables.
– L’harmonisation des pratiques en matière d’injonction de rencontrer un médiateur (article 127-1 CPC).
L’Audience de Règlement Amiable (ARA) et la césure
Très positif sur l’ARA, « un vrai succès en marche », le rapport est critique sur la césure[2]. Il suggère de développer les formations, les échanges et retours d’expériences des magistrats. Depuis le décret du 29 juillet 2023, le juge, à la demande de l’une des parties ou d’office, peut les convoquer à une Audience de Règlement Amiable. Le nouvel article 774-2 CPC coiffe le magistrat d’une double casquette de « juge-médiateur », transforme son office, lui donne des pouvoirs étendus. « L’audience de règlement amiable a pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige. Le juge chargé de l’audience de règlement amiable peut prendre connaissance des conclusions et des pièces échangées par les parties. Il peut procéder aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu’il estime nécessaires, en se transportant si besoin sur les lieux. Il détermine les conditions dans lesquelles l’audience se tient. Il peut décider d’entendre les parties séparément (…) ».
La procédure participative
Mise en place par la loi du 22 décembre 2010 et le décret du 20 janvier 2012, elle reste largement méconnue. Les professionnels, peu sensibles au changement de paradigme, manquent d’outils et modes opératoires favorisant la conclusion d’accords sous son égide. Pour les rapporteurs, la liberté contractuelle procédurale reste souhaitable et possible : en faisant de la mise en état conventionnelle le principe, et la mise en état judiciaire, l’exception et en créant un nouvel office d’un juge « d’appui au règlement amiable des litiges et à la mise en état conventionnelle ».
III. L’appropriation de l’amiable par les acteurs du droit
Le rapport fourmille des pistes et recommandations. Citons, entre autres :
Pour les juges
– Créer une direction des modes amiables, place Vendôme.
– Prévoir un pôle de l’amiable dans l’ordonnance de roulement, avec un magistrat coordonnateur spécialisé (incluant le pôle des urgences et le pôle des expertises).
– Mettre en place une conférence régionale des modes amiables permettant des échanges croisés entre les acteurs.
– Réaliser un film pédagogique sur les MARD (spécificités, articulation, fonctionnement…).
– Veiller à ce que les médiateurs aient une connaissance de certains grands principes procéduraux.
Pour les avocats
– Intensifier les formations communes (avocats/magistrats/greffes) sur les ARA et la césure.
– Valoriser et expliquer la rentabilité des pratiques amiables.
– Inciter les assureurs à participer au développement de l’amiable.
– Créer un certificat de spécialisation « conseil en MARD ».
– Développer les conventions barreaux- juridictions en circularisant des modèles.
– Promouvoir auprès de France Assurance une clause de règlement amiable préalable et la pratique de l’expertise amiable par acte d’avocat.
– Clarifier le modus operandi des injonctions de rencontrer un médiateur.
– Harmoniser les effets de l’entrée dans un mode amiable (sur l’interruption de la forclusion et de la prescription et sur la péremption d’instance).
Pour les notaires
– Développer la formation à l’amiable et créer un certificat de spécialisation « en médiation ».
– Généraliser les clauses de médiation dans les actes authentiques.
IV Le suivi de la mission des ambassadeurs de l’amiable
Les rapporteurs formulent trois propositions s’agissant de l’avenir du chantier :
(1) Désigner un(e) délégué(e) ministériel(le) chargé(e) de la politique de l’amiable avec une mission de pilotage national, en lien avec les juridictions et la Chancellerie.
(2) Fixer une politique annuelle avec des objectifs chiffrés en pourcentage ou en nombre de dossiers, par ressort et juridiction.
(3) Mettre en place une politique interministérielle de l’amiable.
Le pari et la puissance de l’amiable, c’est d’élargir la focale ; c’est la reconstruction d’une relation en explorant et échangeant -à trois- dans la transparence, sur les besoins des parties, plutôt que sur des postures, la rétention d’informations, des argument strictement juridiques ou judiciaires. Les preuves fatiguent la vérité. « On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance », disait le Cardinal de Retz.
***
Résoudre au mieux, stratégiquement, un différend, requiert un savoir-faire technique, de l’expérience, du talent. Une affaire de spécialistes. Qu’il s’agisse de médiation, d’arbitrage, de contentieux judicaires, de procédure, de référés, mesures conservatoires, articles 145 CPC, les avocats du département International Dispute Resolution du cabinet Squire Patton Boggs, à Paris ou dans 46 bureaux sur quatre continents, restent à votre service, disponibles et réactifs.
[1] Trois magistrats (Valérie Delnaud à laquelle a succédé Renaud Le Breton de Vannoise, Béatrice Rivail et Fabrice Vert), trois avocats (Romain Carayol, Carine Denoit-Benteux et Hirbod Dehghani-Azar), trois universitaires (Soraya Amrani-Mekki, Natalie Fricero et Valérie Lasserre), un notaire (Edouard Grimond), un commissaire de justice (Pierre Iglesias) et un ancien juge consulaire (Paul-Louis Netter).
[2] https://larevue.squirepattonboggs.com/audience-de-reglement-amiable-cesure-et-mediation.html