« L’imperator si lent lève l’avis odieux / L’impair a tort s’il enlève la vie aux dieux ». Emmanuel Macron maître des zig-zad, horloges molles façon Dali et montres à complication, est dans l’eau chaude. Réinventions tous les six mois, naïvetés, sous-estimation de l’adversaire et Diên Biên Phu aux Législatives en juin… Chi si ferma è perduto. Le château du Magicien d’Oz (pas des masses) est encerclé par les Tupamaros, les Chouans, les croquants, à cause d’une réforme annoncée depuis dix ans. Le kairos et les caillera…

Paris brûle-t-il ?

Fini les illusions estivales sur le retour à la bonne vieille IVe République, au dialogue et au compromis. Les retraites, le 49.3, les feux de poubelles réchauffent de vilaines querelles, les ardeurs des sauvageons pyromanes lanceurs de boulons, un 6 février d’extrême gauche… ? No Pasaran ! « Sans la police tout le monde tuerait tout le monde et il n’y aurait plus de guerre » (Henri Jeanson).

La Gauche fait tourner les tables, implore un cortège de fantômes grandioses : 71, 36, 68, 81, 95. Mère Courrèges du Verdun de la poubelle, Passionaria fashion, Vestale en Dior de la Mairie de Paris, Anne Hidalgo est solidaire. Dans l’attente du grand soir, sur la Brecht, les agrégé.es de Lettres ouvertes, Hussarde sur le toit, font pleurer sur l’imminente dignité des pauvres. Ne secouons pas trop, les cultureux ; ils sont pleins de drames. Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?

 « L’imposture triomphante n’a plus pour objet de faire illusion, mais de respecter un certain code de convenances, qui d’ailleurs n’est formulé nulle part. Le ministre joue son rôle dans un scénario dont il n’est pas l’auteur. Les politiques français peuvent ne pas se soucier du fait, parce qu’au départ, ils ne s’attendaient pas trop à ce qu’il confirmât leurs idées. Les erreurs les plus flagrantes les disqualifient rarement, aux yeux des autres et aux leurs propres, pourvu qu’ils résistent à la tentation de les avouer. Aussi, quand la France rêve, il faut de bien grands malheurs pour la réveiller » (Emmanuel Berl, La France irréelle). Les politiques schizophrènes, l’affaiblissement progressif du sens du réel et des comptes publics, les guerres civiles et crises de nerfs ne datent pas d’hier. Elles sont notre marque de fabrique : du sempiternel Catch à quatre, en mondiovision. Filles-du-Calvaire, Malesherbes ou Saint-Martin, la comédie politique française c’est du Boulevard doublé, pour les petits malins, d’une course aux maroquins et aux fromages. Au théâtre ce soir le disque politique est rayé depuis belle lurette. Les postures, impostures et symphonies du Nouveau Monde n’adoucissent plus les mœurs. Charles III, les Iraniens, le monde entier ricanent et Tony Estanguet, président du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques, ne dort plus ; les JO, c’est dans un an !

Nous ne nous sommes jamais beaucoup aimés

A la demande de l’impératrice Eugénie de Montijo, Ernest Lavisse résume deux millénaires d’histoire de France en une phrase : « Majesté, ça ne s’est jamais très bien passé… ». Nous ne nous sommes jamais beaucoup aimés. En 1974, Scola et Sautet, mélancoliques, filmaient le naufrage des idéalismes, des amitiés qui tanguent, une découpe de gigot dominical qui tourne au vinaigre. Francois, Vincent, Paul et les autres, Torreton, Depardieu, boudin noir, boudin blanc, nous déclinons les zizanies depuis des lustres : Armagnacs-Bourguignons ; Catholiques-Protestants ; Chouans-Républicains ; Communards-Versaillais… et aujourd’hui les nouvelles guérillas de genres, races, réécritures du passé, l’ochlocratie. Des guerres civiles, de tranchées, de religions, de sécessions, de 100 ans, de verbes souvent haineux… « Ainsi le traître, par la combinaison de la félonie et de la ruse, a accumulé devant lui les difficultés insolubles. Quoi qu’il advienne, il est perdu. Il finira dans l’impuissance et le mépris. C’est en vain que l’hôte de l’Élysée s’emploie à badigeonner le sépulcre ; le sépulcre blanchit exhalera toujours une odeur de conscience morte » (Jaurès à propos de Briand en 1910). Cioran disait qu’une civilisation entame sa décadence « lorsque les individus commencent à prendre conscience ; lorsqu’ils ne veulent plus être victimes des idéaux, des croyances, de la collectivité… Le drame de l’homme lucide devient le drame d’une nation » (De la France).

Peu importe le théâtre, les régimes, emblèmes, drapeau, hymnes : Si l’on excepte de rares moments fugaces, victoires militaires ou sportives, historiquement, politiquement, culturellement, symboliquement la Fraternité, l’affectio societatis, la Fédération n’ont jamais été à la fête en France. Notre credo, c’est le chant des courtisans, la jalousie, les lettres anonymes, le bien commun en ordre et désordre serrés et en tranchant tout ce qui dépasse. « Chassez un chien du fauteuil du roi, il grimpe à la chaise du prédicateur » (La Bruyère).

Aujourd’hui l’assignat républicain est démonétisé. A l’étranger, le « modèle français » est un repoussoir. Nos images d’Épinal, Sainte-Geneviève, Jeanne d’Arc, Bayard, Richelieu, d’Artagnan, Danton, Clémenceau n’ont plus cours. Le pays, qui depuis Philippe-Auguste joue la carte de l’État-nation (et depuis 1789 l’assimilation, la laïcité, l’universalisme), est désemparé dans un monde en reféodalisation ; étourdi par les retours de manivelle, du religieux, du communautarisme, le tsunami libéral-libertaire-victimaire qui triomphe à l’Ouest. « Les pays qui n’ont plus de légendes sont condamnés à mourir de froid » (Patrice de La Tour du Pin).

Jupiter, Idionysos, Éminerve, ont besoin de slogans : Du passif, faisons table rase ! Plus juste, la France sera moins injuste ! Nous vaincrons, parce que nous sommes les plus faibles ! Remettons l’huma(in) au cœur de la politique ! Le changement, c’est marrant ! En Marche, au trot, au galop !

« Il arrive souvent dans un grand peuple qu’une sédition éclate et que l’ignoble plèbe entre en fureur. Déjà les torches volent et les pierres ; la folie fait arme de tout. Mais alors, si un homme paraît que ses services et sa piété rendent vénérable, les furieux s’arrêtent, se taisent, dressent l’oreille : sa parole maîtrise les esprits et adoucit les cœurs » (Virgile, L’Énéide).

Antoine Adeline

(27 mars 2023)