LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

« Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres / Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! / J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres / Le bois retentissant sur le pavé des cours…» (Baudelaire, in memoriam). Trop court, trop chaud, trop froid, trop sec, trop humide ? Temps de cochon pour les sangliers bretons, mais aussi au Sofitel, à la bourse, en Norvège, en Syrie, à Manhattan. La recherche du temps perdu…

Pour la Libye. Tripoli brûle-t-elle ? Game over et no extra bullet pour le capitaine Kadhafi, autoproclamé Colonel lors de sa prise de pouvoir en 1969. Au fil des décennies le fringant officier non aligné, héraut du panarabisme, du panafricanisme et de «l’état des masses» (Jamahiriya beaucoup) aura nargué l’occident (il adorait se faire baiser les babouches), avant de sombrer, ivre de dizaines de milliards de pétro dollars siphonnés -moitié Bab El Her [1] moitié Olrik des sables [2] – dans la paranoïa et les dérives despotiques, victime de son personnage de Satrape ubuesques costumé par Christian Lacroix pour les Indes galantes.

Après 42 ans de pouvoir, abandonné par sa garde rapprochée d’amazones, le «guide de la Révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste» doit plier ses tentes. Sa tête est mise à prix 1,2 millions d’euros. C’est peu et presque humiliant pour un ex Président de l’Union Africaine qui s’était proclamé « roi des rois traditionnels d’Afrique ». Syrte dernier bastion fidèle; un clin d’œil à Julien Gracq. La guerre est gagnée mais le plus difficile reste à faire pour le Conseil National de Transition (CNT) : reconstruire une nation, un Etat, la concorde et la liberté en se méfiant des faux frères.

Que va devenir le prix Mouammar Kadhafi des droits de l’Homme ? Créé en 1988 il honorait « les personnalités et les organisations qui jouent un rôle marquant dans le domaine des droits humains ». Les derniers récipiendaires furent les Bibliothèques de la ville de Tombouctou (2007), Dom Mintoff, homme politique maltais (2008), Daniel Ortega, président du Nicaragua (2009), Recep Tayyip Erdoğan, Premier ministre de la Turquie (2010).

Pour les syriens. Stoïques, ils cherchent à s’affranchir du joug de Bachar El Assad. La répression aveugle de l’ophtalmologue sanguinaire a fait au moins 2200 morts depuis mars dernier. Ses sicaires ont récemment écrasé les mains du caricaturiste Ali Farzat qui déplaisait au pouvoir. Avec moins de pétrole que la Libye, peu de soutien occidental et des Russes qui refusent de lâcher leur vieil allié, la liberté se paie au prix fort à Damas.

Pour le PS. Derrière DSK il faut passer l’éponge… Le CNTT (Comité National de Tractatio-Tergiversation) de la rue de Solferino doit pimenter le consensuel mais insipide couscous électoral, pacifier les tribus, et éviter la guerre des deux roses entre les Hollancastre et les Aubryork. ‘Bernard Héros Libyen’ va organiser une grande soirée orientale pour célébrer le retour de son ami Dominique et la chute de Kadhafi. Arielle Shéhérazade ouvrira le bal au bras de DSK Iznogoud. Bonne nouvelle, ce dernier n’est pas impliqué dans les scandales sexuels de la RATP. Contrairement à Kadhafi il possède un alibi en béton armé. Il préfère les Porsches au métro et il était à New York dans la nuit du 14 au 15 mai 2011. Le Sofitel de la 44ème rue a fourni une attestation.

Pour le gouvernement. Il n’a pas intérêt à faire l’andouille pour garder le « AAA ». Il faut trouver dare-dare un chaudron de sesterces, 11 milliards d’euros en 2012 ! Pas facile en période de conciliation électorale pour un Etat « en situation de faillite sur le plan financier » depuis déjà 2007. Le chef de l’entreprise France n’avait-il pas l’obligation de procéder à la déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours ? Faute de réformes structurelles il reste le bricolage : TVA renforcée pour le parc Astérix, le Fanta et les bonbons Haribo, taxe spéciale sur les propriétaires d’atolls de plus de 3000 hectares etc. Retour à la niche en essayant de vendre la règle d’or au prix fort. Aux enfants et petits enfants le fardeau d’une dette publique de 1600 milliards d’euros, mais patience, dans son rapport de juillet le Centre d’analyse stratégique prévoit une possibilité d’embellie sur l’emploi à l’horizon 2030. « Il y a trois méthodes traditionnellement française pour ruiner une affaire qui marche : les femmes, le jeu, les technocrates. Les femmes c’est le plus marrant, le jeu c’est le plus rapide… le technocrate c’est le plus sûr ! » Audiard dixit.

Pour les femmes. Les règlements de comptes post affaire DSK entre féministes, politiques, juristes, sociologues et psychologues de tous les sexes, n’en finissent pas de fertiliser les « class-race-gender studies ». Il est temps de rendre à Cléopâtre ce qui lui revient. Selon le classement annuel du magazine Forbes la chancelière allemande Angela Merkel a repris son titre de femme la plus puissante du monde (détrônant Michelle Obama lauréate 2010), devant la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton (2e) et la Présidente brésilienne Dilma Rousseff (3e). Ces femmes dont la puissance est évaluée à l’aune de leur fortune, de leur pouvoir, de leur audience et réseaux sociaux, contrôleraient collectivement un total de 30.000 milliards de dollars. Vive les femmes puissantes !

Notre Christine Lagarde nationale arrive en 9e place avec une seule copine française, Dominique Senequier, patronne d’Axa Private Equity (98e). Liliane s’est elle fait la malle ? La reine Elizabeth, 85 ans (49e) doyenne, est devancée par la benjamine «Lady Gaga» (11 e). Accessits pour l’opposante birmane Aung San Suu Kyi (26e), la reine Rania de Jordanie (53e), la présidente du Costa Rica Laura Chinchilla (86e) et Sarah Palin (34e). « L’ambition enivre plus que la gloire » (Proust).

Pour le général Giap. Il vient de célébrer son 100ème anniversaire. Le vainqueur de Dien Bien Phu aura survécu à son camarade Bigeard. Le fondateur de l’armée révolutionnaire Viet Minh, exclu du bureau politique du Parti communiste depuis 30 ans, joue encore les franc tireur. Il affirmait en 2006 que le Parti communiste « était devenu un bouclier pour les responsables corrompus ». «Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus» (Proust).
LES MAUVAIS ELEVES DE LA RENTREE

Luc Ferry et Luc Chatel sèchent

Le journaliste de RMC Jean-Jacques Bourdin a piégé le ministre de l’éducation, Luc Chatel, qui ne maîtrise pas la règle de trois. Le problème tiré d’un cahier d’évaluation de l’Education Nationale n’était pas insurmontable : « Dix objets identiques coûtent 22 euros. Combien coûtent quinze de ces objets ? » Le ministre hésitant a fini par répondre « 16,50 euros. » Version rue de Grenelle, le but des évaluations est de « renforcer les compétences des élèves là où elles sont insuffisantes en mobilisant les dispositifs d’aide personnalisée ». Version Gabin: «On est gouverné par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis»( Le Président). Question de rattrapage: si chaque joueur du Loto (mise de 2 euros minimum) a une chance sur 19 millions de trouver les six bons numéros du premier rang nécessaires pour remporter la cagnotte, combien de chance le même joueur a-t-il de trouver de nouveau les six bons numéros du Loto (en ne jouant que deux fois) ? Réponse: une chance sur 363 billions (calcul de la Française des jeux). Un montpelliérain, qui avait gagné l’équivalent de 2,8 millions d’euros en 1996, vient de gagner 3.001.373,50 euros ! La chance c’est ce qu’on ne mérite pas disait Paul Guth.

Luc Ferry, moins vernis a été convoqué en juin par le président de l’Université Paris-Diderot qui lui réclame le remboursement d’une année de salaire net mensuel (4.499 euros) pour les 192 heures de cours non effectuées en 2010. Détaché, le philosophe ancien ministre de l’Education, considère que c’est à l’université Paris-VII de prendre en charge son traitement de Président du célèbre Conseil d’analyse de la société, un think tank heideggérien, rattaché aux services du Premier ministre. Finalement c’est Matignon qui paiera. A Paris ou au Maroc, pour les ex ministres «Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats» (Proust).

PPDA et Joseph Macé-Scaron pompent

Directeur du Magazine littéraire, directeur adjoint de Marianne, le chroniqueur littéraire multicarte et poly-média, Joseph Macé-Scaron, a « emprunté » dans son roman Ticket d’entrée, (Prix de la Coupole) certains passages du roman, « American rigolos – chroniques d’un grand pays » de Bill Bryson. Ernst Jünger, Jay McInerney, Victor Malka et Rachel Cusk auraient aussi fortement inspiré le nouveau Montaigne. JMS reconnaît avoir fait « une connerie» mais rejette le terme de plagiat. Le galopin invoque pour sa défense les jeux grisants de l’intertextualité… Vous avez dit « Roman comique » ? « Les absents sont assassinés à coups de langue» (Paul Scarron).

PPDA dépasse les bornes. Accusé de plagiat en début d’année pour sa biographie d’Hemingway (« emprunt » d’une centaine de pages à une biographie de Peter Griffin), il a été assigné par une ancienne compagne pour contrefaçon et atteinte à l’intimité de la vie privée, pour son roman « Fragments d’une femme perdue ». L’ex Belle Héloïse, Madame Borne, dénonce une atteinte à l’intimité de sa vie privée et des faits de contrefaçon des lettres d’amour qu’elle lui avait adressées. Selon l’avocat du journaliste « On peut certes retrouver certaines traces d’Agathe Borne dans l’ouvrage mais pour Patrick, plusieurs femmes font une femme ». Proust et DSK (qui dépasse les bonnes) à la barre ? Albertine-Gilberte-Odette, Anne-Tristane-Piroska-Naffisatou-Ophélia, sans oublier la femme de chambre de la baronne Putbus. En mars dernier le ministre allemand de la défense avait du démissionner, accusé d’avoir bricolé grâce au copié collé sa thèse de doctorat; il ne pouvait s’appeler que… Karl-Theodor zu Guttenberg. «En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même» (Proust).

ACTUALITÉ JURIDIQUE ET JUDICIAIRE

Droit à l’image; Gainsbourg v Johnny: duel d’idoles. A Épinal, une altercation dramatique a opposé un sosie de Serge Gainsbourg, Denis C, à un sosie de Johnny Halliday, Michel P. Le premier «se serait moqué de l’imitateur de Johnny, Michel P. alias Johnny Vegas, qui était en train de tondre la pelouse. L’idole des jeunes a rétorqué avec sa gouaille cinglante habituelle. « Gainsbarre », ou plutôt Denis C., l’a mal pris. Il est sorti de chez lui avec un couteau et il l’a planté dans la gorge de Michel P. Malgré la gravité de la blessure, la victime a pu s’enfuir et se réfugier une centaine de mètres plus loin, chez un riverain qui a alerté les secours. Michel P. a été conduit à l’hôpital où il était toujours hier. Ses jours ne sont pas en danger». (L’est républicain). Le sosie de l’homme à la tête de coupe choux a été placé en garde à vue et mis en examen pour tentative de meurtre. Il risque de passer trente ans derrière les portes du pénitencier. «La vie pouvait-elle me consoler de l’art ? Y avait-il dans l’art une réalité plus profonde où notre personnalité véritable trouve une expression que ne lui donnent pas les actions de la vie ? » (Proust).

Le chanteur abandonné par les juges de Strasbourg. S’agissant du droit à l’image et de la liberté d’expression, la CEDH dans son arrêt du 23 juillet 2009 (Hachette Filipacchi Ici Paris c/ France) avait conclu à l’unanimité à la violation de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Hommes (sur la liberté d’expression) par la France. Johnny H n’avait pas aimé un article (« S’il faisait un bide à Las Vegas ? Johnny l’angoisse ! ») qui faisait référence à ses difficultés financières et à ses goûts de luxe. Invoquant le droit à l’image et à la vie privée il avait obtenu en 2002 la condamnation de maison d’édition. Mais les juges de Strasbourg n’ont pas suivi et ont estimé que les limites attachées à l’exercice de la liberté journalistique dans une société démocratique n’avaient pas été dépassées.

CULTURE: RAUL, JULIEN ET MARCEL

Le cinéaste franco-chilien Raul Ruiz exilé en France depuis 1973 vient de s’éteindre à l’âge de 70 ans. Après des études de droit et de théologie, il s’essaie au théâtre avant la réalisation de son premier long-métrage « Tres tigres tristes» présenté au Festival de Locarno en 1969. Esprit encyclopédique et baroque, héritier des surréalistes et de Borges, il laisse une œuvre considérable. On retiendra parmi ses 117 opus L’Hypothèse du tableau volé (1978), « Les trois couronnes du matelot » (1983), « Les âmes fortes » (2001), « Mystères de Lisbonne » (prix Louis-Delluc 2010), et surtout, en 1998, une somptueuse adaptation de «La Recherche», « Le Temps retrouvé ». « Le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant » (Proust).

« La pièce était un rapport de police en provenance d’Engaddi, une misérable bourgade de l’intérieur des Syrtes qui ravitaillait les caravaniers de l’extrême Sud. Le rapport était bref et précis. Il signalait qu’une caravane venant d’arriver à Engaddi avait eu contact au point d’eau de Sarepta avec un rezzou démonté de nomades ghazanides, qui ne s’aventurent qu’exceptionnellement dans ces parages – où sinue une frontière toute théorique – avant le retour de la belle saison. Des détachements farghiens armés venaient de chasser leur bétail de ses pâturages d’hiver situés loin dans l’est, en réquisitionnant les chevaux pour la remonte de la cavalerie, et des recoupements, des renseignements nombreux fournis par des témoins oculaires indiquaient qu’une armée farghienne d’un effectif mal déterminé, mais « nombreuse », les suivit à quelques étapes, contournant la mer des Syrtes par l’est en direction de la frontière ». (Julien Gracq « Le rivage des Syrtes » (1951).

«Le jour d’été qu’elle découvrait semblait aussi mort, aussi immémorial qu’une somptueuse et millénaire momie que notre vieille servante n’eût fait que précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la faire apparaitre, embaumé dans sa robe d’or (…/…)Et comme un aviateur qui a jusque là péniblement roulé à terre, ‘décollant’ brusquement je m’élevais lentement vers les hauteurs silencieuses du souvenir » (Proust).

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[1] Voir Tintin au pays de l’or noir.

[2] Voir Blake et Mortimer, « Le secret de l’espadon », et l’éditorial de La Revue de septembre 2009