Cass. crim. 3 mars 2015, n° 13-88.514
En principe, l’article 85 du Code de procédure pénale ne fait pas obstacle à la constitution de partie civile d’un assureur puisqu’il dispose, de manière très générale, que « toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent (…) ».
L’intervention d’un assureur au procès pénal est une question en débat mais dont le poids, somme toute relatif, ne permettait pas de faire pencher la balance dans son sens ; ainsi, interrogées sur cette question, les juridictions répressives préféraient trop souvent répondre par la négative en déclarant irrecevable la constitution de partie civile d’un assureur s’estimant possible victime d’une infraction (voir notamment Cass. crim. 3 juin 1992, n° 91-80.752).
La Chambre criminelle de la Cour de cassation offre toutefois de nouvelles perspectives à l’assureur par un arrêt du 3 mars 2015 (pourvoi n° 13-88.514) rendu au visa notamment des articles 85 et 87 du Code de procédure pénale.
Aux termes de cet arrêt, la chambre criminelle casse l’arrêt d’appel qui avait déclaré irrecevable la constitution de partie civile des Lloyd’s London (qui, rappelons-le, ne sont pas à proprement parler une compagnie d’assurance mais un organisme représentant plusieurs assureurs) considérant que les « infractions qualifiées dans la plainte de tentative d’escroquerie (…) le préjudice allégué par la partie civile, qui n’est que la conséquence du contrat conclu entre la société Hotela et la société Lloyd’s London, n’a pas été causé directement par les infractions dénoncées ».
Deux éléments devaient être examinés :
- le caractère personnel du préjudice allégué : à cet égard, la motivation de la cour d’appel relève manifestement d’une erreur puisque la partie représentant les assureurs ne prétendaient pas tenir sa qualité de partie civile de l’exécution du contrat d’assurance (et de sa subrogation dans les droits de son assuré), mais bien de la commission d’une infraction à son propre préjudice (il considérait en effet être victime des manœuvres de son assuré) ;
- le lien direct entre l’infraction et le préjudice allégué : s’agissant d’une infraction dont le but était d’obtenir le versement d’une indemnité d’assurance, le caractère direct entre l’infraction et le préjudice possible pour la compagnie d’assurance ne fait pas de doute.
Ainsi, reprenant l’essence de l’article 85 du Code de procédure pénale, la cassation de l’arrêt d’appel est prononcée au motif que : « certaines des manœuvres frauduleuses étaient de nature, si elles avaient abouti, à déterminer la société Lloyd’s London à remettre (…) des sommes indues ».
L’attendu de principe a également le mérite de poser clairement le cadre de la recevabilité de la constitution de partie civile de l’assureur dans une telle hypothèse :
« Attendu que, pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale » (nous soulignons).
Ainsi, l’assureur sera recevable dans sa constitution de partie civile dès lors qu’il justifie que l’infraction ayant donné lieu à des poursuites est susceptible de lui causer un préjudice direct et personnel.
Si l’on comprend que le procès pénal n’est pas conçu comme la scène où se joueraient les intérêts de la victime, on peut ainsi comprendre que certains magistrats n’aient pas souhaité que les compagnies d’assurance puissent y jouer un rôle.
Et pourtant, le Code pénal donne une place à l’assureur-victime en prévoyant certaines infractions ; la première d’entre elles étant naturellement l’escroquerie à l’assurance dont l’assureur est au cœur et au titre de laquelle il doit évidemment être considéré comme une partie à part entière du procès pénal.
Bien que plus délicat à établir, le lien direct et personnel entre les intérêts d’un assureur et une infraction telles que l’escroquerie ou la destruction volontaire d’un bien, existe donc et nous semble pleinement justifier que l’assureur soit considéré comme possible victime d’un préjudice résultant de tels faits.
Sa participation au procès pénal est d’autant plus importante que le fait volontaire de l’assuré pourrait être mis en lumière ; en effet, face à ce type de faits (pouvant également être qualifiés de faute intentionnelle ou dolosive en droit des assurances), les sommes qui pourraient être versées par l’assureur seraient manifestement indues et à l’origine d’un préjudice pour l’assureur.
L’arrêt de la Cour de cassation du 3 mars 2015 permet ainsi à l’assureur de (re)trouver toute sa place dans le procès pénal en qualité de victime potentielle et mérite à ce titre d’être salué.
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