CEDH, 23 novembre 2010, 5e sect., Req n° 37104/06 – affaire France Moulin
Cass. crim. 15 décembre 2010, n° 10-83674
Pour se conformer à la jurisprudence européenne, Michel Mercier, Ministre de la Justice, a affirmé que le projet de loi réformant la garde à vue, qui sera discuté à l’Assemblée en janvier, prendra en compte le récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
En effet, la CEDH vient de rendre une décision par laquelle elle énonce que le parquet français dans son ensemble ne remplit pas les conditions d’indépendance à l’égard de l’exécutif, de sorte que ses membres ne peuvent se voir reconnaître la qualité de magistrat au sens de la convention qui encadre les privations de liberté. (CEDH, 23 novembre 2010, 5e sect., Req n° 37104/06, "affaire Moulin")
« Les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif, qui (…) au même titre que l’impartialité, figure parmi les garanties inhérentes à la notion de magistrat au sens de l’article 5§3 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
En l’espèce, la requérante, Avocat au Barreau de Toulouse, contestait son placement en maison d’arrêt par le procureur adjoint du tribunal de Toulouse, dans une affaire de blanchiment d’argent, estimant qu’à l’issue de sa garde à vue elle n’avait pas été aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires.
La Cour a jugé que cette procédure était contraire à l’article 5 §3 de la Convention européenne des droits de l’Homme aux termes duquel « toute personne arrêtée ou détenue (…) doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (…) ».
En France, une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction peut être privée de sa liberté par un placement en garde à vue décidé par un officier de police judiciaire sous le contrôle du Procureur de la République, magistrat du parquet.
Or, aux termes de l’article 5 de la Constitution de 1958, « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la justice (…) ».
Les magistrats du parquet disposent à la fois des fonctions de poursuite et de pouvoirs judicaires.
En effet, en définissant la politique pénale du pays, le gouvernement doit pouvoir mettre en œuvre cette politique et ce par ses organes de poursuites. C’est donc le parquet qui est chargé d’assurer le respect de la loi (fonction de poursuite).
Parallèlement, le Parquet dispose de pouvoirs judiciaires avec un pouvoir de contraintes (garde à vue, délivrance de mandats de recherche, délivrance d’amener) et une attribution quasi-juridictionnelles (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité).
Ce sont ces pouvoirs judiciaires reconnus au parquet qui sont mis en cause une nouvelle fois par la CEDH. Cette dernière considère que ces pouvoirs judiciaires relèvent uniquement des prérogatives d’un juge indépendant.
Or, le parquet est contrôlé et dirigé par le garde des Sceaux, membre de l’exécutif.
Il y aurait donc un risque que le pouvoir exécutif, par l’intermédiaire du Parquet, exerce des pouvoirs judicaires qui ne peuvent être dévolus qu’à un juge indépendant.
Le parquet n’étant pas indépendant aux yeux de la Cour, il ne peut être assimilé à une autorité judiciaire au sens de l’article 5 §3 de la Convention et en conséquence il ne devrait pas décider des suites à donner à une garde à vue.
Ce n’est pas la première fois que la CEDH prend une telle position.
Dans un arrêt du 29 mars dernier, (Affaire Medvedyev et autres c. France, gr. ch., 29 mars 2010, requête n° 3394/03), la Cour avait déjà jugé que le ministère public français ne présentait pas les garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif, pour pouvoir être qualifié d’autorité judiciaire au sens de l’article 5 §3 de la Convention.
A la différence de l’affaire Medvedyev, l’affaire Moulin a entraîné une condamnation de la France, ce qui donne à cet arrêt une force juridique et politique importante.
Il est intéressant de noter que cet arrêt intervient en pleine polémique sur le rôle du parquet de Nanterre dans l’affaire Woerth-Bettencourt. En effet, le procureur Philippe Courroye a été forcé d’abandonner les enquêtes qu’il conduisait dans ce dossier, notamment parce qu’il était critiqué pour sa proximité avec le pouvoir.
Enfin, cet arrêt de la CEDH a été suivi par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 15 décembre 2010. Les juges de la Cour suprême retiennent que si c’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l’article 5 §3 de la Convention des droits de l’homme, alors qu’il ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par ce texte et qu’il est partie poursuivante, l’arrêt n’encourt pas pour autant la censure, dès lors que le demandeur avait été libéré à l’issue d’une privation de liberté d’une durée compatible avec l’exigence de brièveté imposée par ledit texte conventionnel (Cass. crim., 15 décembre 2010, 10-83.674).
Il convient d’ajouter que la CEDH dans un arrêt du 10 avril 2010 avait précisé que « toute période de garde à vue dépassant quatre jours (sans présentation à une autorité judicaire) est trop longue » (CEDH, 26 avril 2010, n° 57653/00, Alici et Omak c/ Turquie). Dans un précédent arrêt la CEDH avait validé des délais de garde à vue inférieurs à 4 jours (CEDH, 28 juill. 2009, n° 27803/02, Arga c/ Turquie; CEDH, 20 mai 2010, n° 20259/06, Aytimür c/ Turquie). Par cet arrêt la Cour de cassation confirme que ne sont pas contraires à l’article 5 §3, les gardes à vue inférieures à quatre jours, bien qu’elles soient décidées sous le contrôle du parquet.