Cass. Com. 1 mars 2017, n°15-22.675

Dans un contexte international, la Cour de cassation a déjà été amenée à se prononcer en faveur de l’arbitrabilité des litiges fondés sur l’article L 442-6 du code de commerce. La Cour a progressivement confirmé que l’existence de juridictions spécialisées, le caractère délictuel de l’action, le caractère d’ordre public des dispositions ne permettent pas d’exclure la compétence des arbitres désignés en vertu d’une clause compromissoire.

En 2010, la Cour retient en effet qu’une clause compromissoire n’est pas « manifestement inapplicable » aux litiges fondés sur l’article L 442-6 du code de commerce dans un contexte international.[1] Si ces litiges relèvent effectivement en principe de juridictions spécialisées, ils peuvent leur échapper dès lors que les parties ont expressément prévu de soumettre leur différend à un tribunal arbitral dans une clause compromissoire.

De la même manière, la Cour a confirmé que le caractère délictuel de l’action fondée sur L 442-6 n’exclut pas nécessairement la compétence du tribunal arbitral désigné par les parties[2] ou encore que le seul caractère d’ordre public des dispositions ne rend pas les demandes des parties inarbitrables.

Dans un arrêt du 21 octobre 2015, la Cour avait confirmé que dans un contexte international « l’action aux fins d’indemnisation du préjudice prétendument résulté de la rupture de relations commerciales n’était pas de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques ».[3] La Cour confirme encore que c’est l’analyse des termes de la clause prévue par les parties qui déterminera l’étendue du litige arbitrable : « la généralité des termes de la clause compromissoire traduisait la volonté des parties de soumettre à l’arbitrage tous les litiges découlant du contrat sans s’arrêter à la qualification contractuelle ou délictuelle de l’action engagée ».

Cette jurisprudence relativement libérale en matière internationale, et conforme au droit communautaire, n’a pas nécessairement vocation à s’appliquer en matière interne.

Le 1er mars 2017, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur l’efficacité de clauses compromissoires et de clauses attributives de juridictions en cas de rupture brutale des relations commerciales en matière interne.

En l’espèce, un premier contrat avait été conclu en 2005 entre une société française et un cabinet de maitrise d’œuvres. Ce contrat contenait une clause attributive de juridiction au profit du Tribunal de commerce de Créteil. En 2011 et 2012, cinq autres contrats ont été conclus entre le cabinet et une société sœur de la première. Ces contrats contenaient pour leur part une clause compromissoire. En 2014, ces contrats sont résiliés.

Le cabinet a donc assigné toutes les sociétés devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement des articles L 442-6 et D 442-3 du Code de commerce.[4] La compétence du Tribunal de commerce de Paris avait été contestée et la Cour d’appel l’avait déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Créteil prévu par la clause attributive de juridiction.

Après avoir confirmé l’applicabilité de la clause compromissoire, la Cour de cassation s’est tout d’abord prononcée sur son efficacité dans le cadre de l’application de l’article L 442-6 (rupture des relations commerciales établies). La Cour n’a fait que reprendre la solution dégagée antérieurement, selon laquelle le contentieux de la rupture brutale peut être soumis au tribunal arbitral en dépit de sa nature délictuelle et du caractère d’ordre public des dispositions du texte, dès lors que la clause compromissoire le prévoyait. Après avoir rappelé qu’il appartient à l’arbitre de se prononcer en priorité sur sa propre compétence, la Cour retient en effet que « l’arbitrage n’était pas exclu du seul fait que les dispositions impératives de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce étaient applicables » et que « la clause compromissoire n’étaient pas manifestement inapplicables».

La Cour s’est en outre penchée sur la soustraction de ces litiges aux juridictions spécialisées. À cet égard, la Cour retient qu’en application des articles L 442-6 et D 442-3 du Code de commerce « les dispositions du premier texte attribuant le pouvoir juridictionnel, pour les litiges relatifs à son application, aux juridictions désignées par le second ne peuvent être mises en échec par une clause attributive de juridiction ».

Ainsi, la compétence accordée aux juridictions spécialisées pour connaître du contentieux de la rupture brutale ne peut être mis en échec par une clause attributive de juridiction. Il semble donc clairement établi, qu’en matière interne, les parties ne sont pas libres de déroger à la compétence des juridictions spécialisées pour connaître des contentieux de la rupture brutale.

Au-delà de la divergence avec les clauses attributives dans un contexte international, l’opportunité de soumettre la rupture « brutale », qui par nature est généralement imprévue et de nature délictuelle, à la clause attributive de juridiction prévue au contrat peut poser question.

Si les clauses attributives de juridictions sont rédigées de manière très large, elles sont en effet susceptibles d’être interprétées comme englobant (à tout le moins dans un cadre international) également le contentieux de la rupture brutale, qui pourtant, par nature, ne serait pas prévisible au moment de la conclusion du contrat. En ce cas, pourquoi les parties ne contractualiseraient-elles pas les conséquences mêmes de la rupture brutale ?
Contact : laure.perrin@squiresanders.com

 


[1] Cass. Civ. 1, 8 juillet 2010.
[2] Cass. Com, 20 mars 2012.
[3] Cass. Civ. 1, 21 octobre 2015.
[4] Cet article défini les juridictions commerciales compétentes en application de l’article L. 442-6 du code de commerce.