Une loi attendue
Le Corporate Manslaughter and Corporate Homicide Act 2007, entré en vigueur le 6 avril 2008, introduit une nouvelle infraction qui vise à rendre plus facile la condamnation des personnes morales en cas d’homicide involontaire. La loi s’applique aux sociétés, partenariats, syndicats et à certaines autorités publiques. Notre analyse se concentrera sur les sociétés. De l’avis général cette loi crée un régime plus strict à l’encontre des sociétés. Tous les lecteurs faisant des affaires outre-Manche devront s’intéresser à cette évolution.
Pendant longtemps le système juridique anglais a été critiqué comme impuissant à punir des entreprises en cas de décès de leur propre fait. Auparavant, pour qu’une société soit condamnée pour homicide involontaire, il fallait nécessairement qu’un de ses représentants (directeur général) ou cadre supérieur ait commis une faute lourde et soit lui-même reconnu coupable d’homicide involontaire. Seul cet état de fait permettait de caractériser la responsabilité de la société et cette dernière pouvait ensuite être condamnée.
Plusieurs catastrophes tels que la collision ferroviaire de Ladbroke Grove en 1999 (31 morts) ou l’engloutissement du « Herald of Free Enterprise » en 1987 (193 morts) ont mis en lumière l’impossibilité de poursuivre l’entreprise responsable, malgré les enquêtes officielles démontrant sa culpabilité.
Les conditions de la culpabilité
La nouvelle loi supprime désormais l’exigence de la preuve d’une faute lourde commise par un dirigeant pour entraîner la responsabilité de la société. La nouvelle infraction dite de « corporate manslaughter » (ou de « corporate homicide » en Ecosse) remplace ce critère par celui d’une mauvaise gestion par la société ayant entraîné des conséquences mortelles. Afin d’obtenir la condamnation de la société trois conditions sont nécessaires :
(i) L’organisation ou la gestion des activités de l’entreprise doit être à l’origine du décès;
(ii) Le décès doit être le résultat du non respect particulièrement grave (gross breach) d’une obligation de diligence envers la victime ; et
(iii) L’organisation ou la gestion des activités de l’entreprise par les dirigeants doit être un élément substantiel de la grave absence de diligence .
Le jury devra tenir compte, pour déterminer la culpabilité d’une société, de certains éléments comme par exemple la violation des lois applicables concernant la santé et la sécurité ou encore la gravité du manquement dans la gestion.
Un jury pourra au surplus se référer aux principes, systèmes, habitudes, usages ou à l’organisation au sein de la société ayant pu encourager un tel manquement dans la gestion.
Le champ d’application de la nouvelle infraction est assez large. La doctrine prévoit que les règles relatives à la santé et la sécurité seront les plus sujettes à examen en cas de décès, cependant les lois environnementales, les obligations des sociétés envers leurs salariés, les obligations relatives à l’occupation des locaux et celles concernant la prestation des biens et des services pourront également entraîner des poursuites sous l’égide de la nouvelle loi en cas de décès.
Les peines en cas de condamnation
Les peines auxquelles une société pourrait être condamnée ont été renforcées par la loi. Le Corporate Manslaughter Act 2007 permet aux tribunaux de sanctionner une société condamnée pour homicide involontaire par une amende « illimitée », et/ou une obligation de publicité de la condamnation (publicity order).
Certains auteurs ont fait remarquer que, compte tenu de l’importance de la réputation et de l’image dans le monde des affaires, la menace d’une large publicité afférente à un décès serait la motivation la plus forte pour les sociétés de maintenir un strict respect des règles relatives à la santé, la sécurité ou encore l’environnement.
Les tribunaux pourront au surplus délivrer une ordonnance de « mise aux normes » (remediation order), qui imposera à la société de réaliser les changements nécessaires dans ses procédures internes et externes concernées.
Une société pourra toujours être poursuivie de manière distincte pour violation de la loi sur la santé et la sécurité, et une réclamation civile de dommages-intérêts contre la société restera possible.
Précisons que la condamnation des dirigeants ou salariés pour homicide involontaire à la suite d’une faute lourde reste possible, et que les deux actions ne s’excluent pas, bien au contraire.
Rappelons enfin qu’il est impossible de s’assurer contre un tel risque de responsabilité pénale, la prudence est donc de mise.
La responsabilité des sociétés
Au niveau mondial, on peut constater la tendance d’une sanction plus stricte des décès survenus sur le lieu de travail, où les pratiques, les attitudes et l’organisation de la société concernée sont des éléments clés.
En Australie, par exemple, une nouvelle loi sanctionne l’homicide involontaire industriel, avec l’idée que la « culture » de la société peut entraîner une responsabilité criminelle si elle joue un rôle dans un décès.
On pourra citer le cas des décès liés aux cadences imposées par certaines entreprises à leur personnel ou encore ceux tenant à la manipulation de produits toxiques sans protection adéquate.
Néanmoins, de part la nouveauté de la loi anglaise, de nombreuses questions restent en suspend, notamment concernant l’application de la loi par les tribunaux.
Il y aura un intérêt réel à suivre l’interprétation judiciaire qui sera faite de la notion de « grave absence de diligence», du nombre de poursuites et du niveau des sanctions. L’économie britannique sera-t-elle durement touchée par cette nouvelle loi ? Le taux de décès au travail vas-t-il réduire ? Nous suivrons cela avec intérêt.