« Cette petite lumière toujours vive de mon passé ». C’est elle qui éclaire les pages de L’été 76[1] de Benoît Duteurtre. La nostalgie reste bien ce qu’elle était. Peu nombreux sont en effet les écrivains qui ne se penchent pas, un jour ou l’autre, sur leur passé pour y puiser la matière de leur(s) roman(s). On pourrait considérer que, depuis des générations, le filon est épuisé et ajouter que n’est pas Proust qui veut. Certes. On peut penser aussi que chaque individu possède sa singularité qui mérite qu’on s’y intéresse.
Le Havre. Année scolaire 1974-75. L’élève de seconde Benoît Duteurtre, issu d’une famille bourgeoise catholique de gauche, est attiré par Hélène, une lycéenne étonnamment mûre, de deux ans son aînée, qui lui parle de Bakounine, de Freud et de révolution. Comme dans l’époustouflant Les années [2]d’Annie Ernaux, auteure d’origine normande de même que Benoît Duteurtre, on lit dans ce roman d’apprentissage sensible aux phénomènes sociologiques, l’éveil d’une personnalité, la naissance d’un écrivain, l’évolution des valeurs de la société et conjointement des moeurs, l’air du temps qui passe.
Cette autobiographie constitue la suite du titre Les pieds dans l’eau[3] qu’on rebaptiserait volontiers Les galets d’Etretat, titre d’un film insignifiant et justement oublié de Sergio Gobbi, tant l’attention portée à ces cailloux lisses et à la station balnéaire dont ils sont les attributs, avec les célèbres falaises évidemment, envahit ce livre. Mais c’est d’abord un roman familial, et quelle famille! Puisque l’auteur est l’arrière-petit-fils du président Coty par sa mère. Les glissements progressifs de la société sont observés d’une plume légère et finement ironique. Avec l’auteur jeune, la plage d’Étretat est l’autre personnage principal de l’œuvre.
Dans la fiction passablement débridée intitulée Le Voyage en France[4], Claude-Monet désigne une ZUP de la région parisienne dont les habitants n’ont pas eu l’heur de naître à Sainte-Adresse, comme l’auteur, où un joli jardin inspira au peintre impressionniste une toile célèbre. Un efficace montage alterné fait se croiser un jeune Américain et un jeune Français, chacun rêvant des valeurs et modes de vie de l’autre. «Vieille Europe » versus american way of life. La confrontation est bien sûr plaisante, délicieusement moqueuse et nostalgique. Pas passéiste : Benoît Duteurtre est par ailleurs critique musical et producteur à la radio. Il fait la part belle aux compositions contemporaines.
Même face à face entre des univers différents dans Les malentendus[5], un petit livre pétillant, pas du tout manichéen et qui réunit avec beaucoup d’humour un immigré clandestin, un handicapé de la route, un étudiant de gauche et une jeune fille de droite.
La petite fille et la cigarette[6], titre traduit dans plusieurs langues, est une farce désopilante qui dénonce avec indulgence, mais non sans vigueur, quelques travers d’aujourd’hui. Qu’on en juge : d’un côté un condamné à mort américain, empêché de fumer sa dernière cigarette en application des lois restrictives – de qui diffère l’exécution de la peine capitale. De l’autre, un salarié victime de son addiction qu’une petite fille découvre par hasard dans les toilettes de son entreprise, ce qui vaudra au malheureux une accusation de pédophilie. On voit que la cocasserie est à l’œuvre dans ce livre très divertissant qui, comme les autres, est d’un moraliste discret, d’un auteur lui-même peu tapageur qu’il est fort agréable de fréquenter.
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[1] Gallimard 2011
[2] Gallimard 2008 + Folio
[3] Gallimard 2008 + Folio
[4] Gallimard Prix Médicis 2001 + Folio
[5] Gallimard 1999 + Folio
[6] Fayard 2005 + Folio