« Ce que nous nommons exotisme traduit une inégalité de rythme significative pendant le laps de quelques siècles et voilant provisoirement un destin qui aurait bien pu demeurer solidaire. »(Claude Lévi-Strauss, « Tristes Tropiques »)
INTRODUCTION
Le 16 septembre dernier, Christian Hausmann et votre serviteur ont organisé dans le cadre de l’Académie de la Médiation et de l’ACE un « petit déjeuner débat » sur le thème de la « Médiation interculturelle ». Vous trouverez ci après une synthèse des échanges qui ont été très riches.
A l’heure du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, du grand débat hexagonal sur l’identité nationale, mais aussi européenne, des polémiques sur le multiculturalisme et le choc des civilisations, le thème est d’actualité.
Soit un constat trivial : le monde actuel est caractérisé par une « trans-culturalité » grandissante : la globalisation, Internet, les moyens de communication modernes, tout contribue à développer les contacts, les métissages, les mélanges, mais aussi les frictions, les réactions de rejet, et parfois les conflits entre cultures et civilisations.
La médiation interculturelle est un concept riche, à la confluence des théories de la communication, de la psychologie, de la pédagogie, de l’anthropologie, de la linguistique, de la culture ; un maelström interdisciplinaire !
Gardons-nous de deux écueils : l’ethnocentrisme (Claude Lévi Strauss qui vient de nous quitter ne me contredirait pas) d’une part et un certain angélisme sur les vertus de la communication et du dialogue d’autre part. Quand on lui posait la question « Que pensez-vous des Chinois », Paul Claudel répondait avec facétie, « Je ne les connais pas tous ». Selon Cocteau « La parole a été inventée pour masquer sa pensée ».
Après quelques clarifications terminologiques nous tenterons de repérer les contraintes spécifiques à la médiation interculturelle, et de recenser certaines réponses et solutions pratiques.
I. CLARIFICATIONS TERMINOLOGIQUES
1) De quoi parle t on ?
« Médiation interculturelle » et « Médiation transnationale »
A strictement parler, le fait d’établir des liens de sociabilité entre des gens issus de cultures différentes (pour la première), ou avec des personnes ne résidant pas sur le même territoire (pour la seconde).
« Culture » (une définition parmi des centaines)
« Ensemble de modèles qui décrit le comportement passé ou détermine le comportement à venir, que l’individu acquiert et transmet par le biais de symboles, et qui constitue la marque distinctive d’un groupe humain. Le noyau essentiel de la culture est composé d’idées traditionnelles et particulièrement des valeurs qui y sont attachées » (Serge Roy)
« Valeurs »
« Ce qui est implicitement ou explicitement désirable pour un individu ou pour un groupe et qui influence le choix parmi les modes, les moyens et les objectifs d’action » (Serge Roy)
2) S’agissant du lien social
Au-delà de la langue, de la littérature, l’art, la musique, l’histoire, les traditions, les valeurs morales, le patriotisme, ou le folklore, de multiples paramètres doivent être pris en compte ; e.g :
• La perception du temps, de l’espace, des objets, des couleurs, etc.
• Le concept de soi et des autres (répartition des rôles homme / femme, des classes d’âge, attitude face à l’action, rapport au travail, au management, au leadership, etc.)
• Les modes de pensée, les croyances, la ou les religions
• Le langage du corps (la gestuelle, le silence, le sourire/rire, etc.)
3) S’agissant de l’individuel (pensée, psyché, intime, etc.)
Chacun possède son caractère, sa propre échelle de valeurs, un mode de pensée, une morale.
De nombreuses valeurs/variables interagissent et/ou peuvent s’opposer : individualisme c/ collectivisme, besoin ou pas de reconnaissance sociale, recherche ou pas de sécurité, besoin plus ou moins grand de règles et structures, (question de l’évitement d’incertitudes), distance ou pas au pouvoir ou aux niveaux hiérarchiques, etc.
II. LA MEDIATION DANS UN CONTEXTE INTER-CULTUREL
1. Le médiateur doit cheminer dans l’exotique et le brouillard de la rencontre inter-culturelle
a. Parole, langage et communication (Babel et le village global)
La parole est l’outil et le matériau de la médiation. Pour restaurer la confiance dans la valeur des mots (ou du silence), le médiateur ne doit pas être une troisième voix / voie.
En médiation interculturelle, la nuance, la clarté (à rechercher ou pas), le doute, le silence, l’empathie, prennent encore plus d’importance que dans la médiation classique.
La communication et les comportements de négociation varient selon les cultures i.e. utilisation du « Non » du « Peut-être », le bluff, l’humour, l’ironie, se dévisager ou pas (c’est très impoli au Japon),
interrompre ou pas, les contacts physiques, etc. L’importance de la parole et des temps de silence est très variable (ces derniers sont quasi nuls au Brésil, mais très fréquents et acceptés au Japon).
Le choix de la langue de la médiation est déterminant. L’anglais doit il être, à défaut, la langue internationale de la médiation interculturelle? Une médiation multilingue / polyglotte est-elle préférable et/ou viable ? Dans la mesure où il existe une langue commune de la médiation (par exemple, l’anglais), est-il souhaitable que le médiateur puisse s’entretenir en aparté avec chacune des parties dans leurs langues maternelles ?
b. Une compétence interculturelle spécifique ?
La traduction, le décodage, le décryptage, exacerbés dans la médiation interculturelle, ralentissent le médiateur et le détourne de sa mission principale de pont et de facilitateur de négociation et d’accord. Attention aux raisonnements simplistes et stéréotypés, aux frustrations, aux retraits ou accommodements, consécutifs à des méprises et erreurs d’interprétation.
L’« exotisme » n’est pas forcément lointain, qu’il s‘agisse de médiation internationale (les Anglais, souvent difficiles à « décoder », seraient ils les Chinois ou les persans de l’Europe ! ?), des différences de milieux socioculturels ou inter-générationnelle, sans oublier l’importance des enjeux de discrimination plus ou moins masqués.
Dans une médiation interculturelle, il est des atouts évidents: expérience, multilinguisme, aptitude la communication, compétence émotionnelle, sensibilité culturelle, ouverture d’esprit, polycentrisme etc.
La logistique et l’importance de la préparation sont fondamentales. Il est essentiel pour le médiateur de faire un travail de recherche approfondi sur la culture et les valeurs des parties avec lesquelles il n’est pas familier. Deux extrêmes: les Dupond/t en costume local pour voyager incognito à l’étranger, Talleyrand au congrès de Vienne, organisateur des fêtes et de la gastronomie (il était accompagné de son cuisinier).
Par ailleurs une explication claire des « règles du jeu », et un aveu préalable de modestie au début de la médiation, créeront une empathie, ouvriront bien des portes et éviteront beaucoup de frustrations.
Dans un tel contexte les facultés d’adaptation et d’improvisation sont essentielles, et la souplesse de la co-médiation présente évidents.
2. Les parties et leur conseils
Il faut éviter que la présence de conseils ne complique un peu plus la donne (problèmes de déontologie, droit applicable, cultures judiciaires, etc.).
Les parties doivent être encore mieux préparées que d’habitude ie écoute, empathie renforcée; anticiper l’imprévisible.
CONCLUSION (discussion-débats)
Dans le cadre des échanges avec les participants un certain nombre de questions ont été abordées, citons notamment :
• Faut-il prévoir des programmes de formations spécifiques en matière de médiation inter culturelle ?
• Les centres de médiation doivent ils mettre en place un panel de médiateurs spécialisés pour les
médiations interculturelles ?
• Quid de l’approche neurolinguistique (PNL etc.) ?
• Peut-on conduire efficacement une médiation avec des parties qui ne peuvent pas communiquer correctement ni dans la langue de l’autre, ni dans une langue prétendument universelle comme l’anglais ?
Le mot de la fin pour l’humoriste. Oscar Wilde prétendait qu’il vivait « dans la terreur de ne pas être incompris » !!!!!