Pourquoi la médiation est-elle peu répandue en France ?
Cette question sous-entend que ce mode alternatif de résolution des litiges n’aurait pas d’avenir en France.
Or, nous pensons au contraire que la médiation a devant elle un avenir brillant dans l’Hexagone. Pour cela il y a maintes raisons.
Constatons d’abord que la médiation a été reconnue par le législateur il y a seulement une dizaine d’années, par une loi n° 95-125 du 8 février 1995, qui introduisit la médiation judiciaire en droit français.
En France la justice en 1ère instance est quasi gratuite. La partie qui succombe ne paye que des dépens modestes et n’est pas condamnée à payer les frais d’avocats de son adversaire (hormis l’article 700 du NCPC dont les juges font une application frileuse).
Or, chez nos voisins, anglais et allemands, la justice est payante et, à l’instar de l’arbitrage, la partie qui succombe paye l’intégralité des "dépens", qui peuvent être significatifs selon le montant du litige, ainsi que les honoraires de l’autre partie. En Angleterre, la médiation est encouragée, que ce soit par les règles processuelles (les "Civil Procedure Rules") ou la jurisprudence.
La situation Outre-Rhin est différente, bien que la justice soit payante, la partie qui succombe acquitte automatiquement les honoraires de l’autre en fonction du barème RVG. La justice est davantage prévisible et rapide. De surcroît, le juge allemand a le devoir de concilier les parties ("Schlichtung"), ce qui permet de désengorger les tribunaux. Le besoin de médiation se fait donc moins pressant.
Chez nous, il existe une autre raison qui explique l’apparent désintérêt des plaideurs pour ce mode de résolution des différends : leur ignorance et méconnaissance des ADR. Il subsiste des juristes et avocats qui n’ont qu’une idée vague de cet outil. La médiation est parfois confondue avec l’arbitrage.
Les temps changent. En quelques années la notoriété de la médiation a fait des pas de géant. Une liste exhaustive des avancées serait fastidieuse. Citons la multiplication des centres de médiation, comme le CMAP, la formation d’un nombre croissant de médiateurs issus de tous les milieux sociaux-professionnels, l’organisation de séminaires et d’ateliers. L’ignorance moyenâgeuse recule.
Aussi, le nombre de personnes qui ont participé à une médiation, en ce compris les avocats, croît chaque année. Comme la médiation est chose sérieuse et que le taux de réussite est de l’ordre de 75%, ceux qui y ont participé au moins une fois sont vite convertis et deviennent missionnaires. La médiation émerge progressivement de l’obscurantisme.
Citons des évènements médiatiques comme la signature de la Charte de la médiation inter-entreprises en novembre 2005 sous les ors de l’hôtel Potocki en présence du Ministre des finances et de 45 chefs d’entreprises et non des moindres (www.mediationetarbitrage.com). En signant la charte, ces "grands" chefs d’entreprises ont témoigné de leur soutien à la cause de la médiation et leur détermination pour privilégier ce mode de résolution. (voir La Revue n°109 de novembre 2005).
Le lundi 16 octobre, à la Maison du Barreau, un grand nombre de cabinets d’avocats emboîteront le pas à leurs clients pour signer à leur tour une charte. Venez nombreux !
Les articles de vulgarisation, les émissions de télévision et monographies se multiplient. La médiation n’est cependant pas un gadget people passager, mais un instrument de gestion à la disposition des entreprises qui est à la fois rapide, peu coûteux, efficace avec un taux de réussite élevé et véritablement confidentiel, ce qui est apprécié des utilisateurs qui ne souhaitent pas laisser savoir à leurs compétiteurs qu’ils ont des problèmes. Faut-il rappeler qu’il s’agit d’un moyen non-contraignant, les parties ayant la liberté, à tout moment, de mettre fin à la médiation.
Les grandes entreprises sont-elles concernées par la médiation ?
Tout en reconnaissant que la mise en œuvre d’une médiation entre grandes entreprises est moins aisée que pour des PME où le pouvoir de décision est concentré entre les mains du fondateur-dirigeant, elle les concerne tout autant.
S’agissant d’entreprises de taille internationale, où le pouvoir est diffus, il faut convaincre plusieurs échelons pour donner une chance à la médiation en commençant par la direction juridique, les départements opérationnels, sans omettre les avocats. Le même processus doit être effectué chez l’adversaire.
Il est exact que le pouvoir de décision, attribut indispensable des participants, n’est pas toujours au rendez-vous. Il est rare, en effet, que le Président d’un grand groupe participe en personne à la médiation. La disponibilité des décideurs n’est donc pas toujours acquise, alors qu’elle est indispensable au succès d’une médiation, qui supporte mal les prolongations et allers-retours inutiles.
Aussi est-il parfois mal aisé dans des médiations impliquant de grandes entreprises de maintenir un bon rythme entre les différentes réunions. Il faut que le médiateur fasse preuve d’autorité sur les délais s’il ne veut pas que la médiation capote.
Ces inconvénients sont incontestables, mais ils ne suffisent pas à rendre la médiation pathologiquement inadaptée aux grandes entreprises, loin s’en faut.
Lorsqu’une grande entreprise s’est imprégnée de la culture de la médiation, elle a autant de chance d’aboutir qu’entre PME. Les directions juridiques des grands groupes sont déjà convaincus des bienfaits de la médiation.
La médiation judiciaire est-elle un leurre ?
Nous ne le pensons pas. Il y a certes des différences selon les tribunaux. Il semblerait que les juges consulaires soient davantage réceptifs que ceux composant les juridictions de droit commun.
Chaque année le nombre de juges sensibilisés à la médiation augmente. Il appartient aux plaideurs soit de se mettre d’accord pour demander au juge de désigner un médiateur, soit de le suggérer. Le juge peut aussi, de sa propre initiative, le proposer aux parties.
Le juge désigne alors un médiateur par ordonnance, fixe la durée de la médiation (dans la limite des trois mois prévue à l’art. 131 du NCPC) ou confie à un centre de médiation, tel que le CMAP, la mission de désigner le médiateur (selon l’art. 131 – 5 le médiateur doit "justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la médiation" – une telle exigence de formation/expérience n’existe pas pour l’arbitre).
Si l’on écarte le cas où le juge désigne une personne peu qualifiée, la médiation judiciaire se déroulera comme une médiation conventionnelle, sans autre intervention du juge et en toute confidentialité.
Le médiateur informera seulement le juge qui l’a désigné du succès ou de l’échec de la tentative de médiation.
Les situations pathologiques et la désignation de personnes peu qualifiées diminueront au fur et à mesure que la médiation sera mieux connue et que les juges auront identifié des médiateurs formés et des centres en mesure de les sélectionner.
Quelle est la valeur ajoutée de la médiation sur l’arbitrage ?
Il s’agit certes de deux modes alternatifs et leur finalité est la même, à savoir mettre un terme à un différend, mais la ressemblance s’arrête là.
L’arbitre, en tant que juge privé, rend une sentence qui a les mêmes attributs qu’un jugement.
Si l’arbitre s’est vu conférer le pouvoir d’amiable compositeur, sa sentence pourra être mitonnée d’équité.
A l’opposé, le médiateur ne prend aucune décision, il ne tranche pas le litige, c’est un "facilitateur" qui, modestement, mais pas sans talent, aide les plaideurs qui s’opposent à renouer le dialogue pour rechercher une solution adaptée permettant de mettre fin à leur différend, dont les racines sont profondément enfouies dans leur passé commun.
La solution ne sera pas aussi tranchée qu’une sentence, ni surtout imposée par un tiers, fut-il juge ou arbitre. La solution sera le fruit d’un dialogue renoué où toutes les facettes du conflit auront été décortiquées et un compromis trouvé y mettant fin.
Une médiation peut aussi être une première étape dans la résolution d’un conflit avant la mise en œuvre de l’arbitrage si les parties le souhaitent ou l’ont prévu dans leur contrat. En cas d’échec de la médiation, l’arbitrage prendra le relais.
Il existe des règlements dits Med-Arb simultanés qui combinent les deux procédures (Voir Règlement de Med-Arb simultanés du CMAP) pour éviter une perte de temps.
Ainsi, loin de s’opposer, l’arbitrage et la médiation sont complémentaires.
Nous pensons que l’avenir de la médiation est radieux et cette justice douce, non juridictionnelle, fait de nombreux adeptes, désengorge les prétoires et redonne la sérénité aux plaideurs.
Les avocats sont-ils hostiles à la médiation ?
On entend parfois dire que les avocats seraient hostiles à la médiation craignant de perdre des honoraires (une procédure judiciaire à double instance se déroulant sur plusieurs années étant plus lucrative qu’une médiation).
Là encore, nous constatons un changement de mentalité. Même si au milieu des années 90, à l’époque de l’âge de pierre de la médiation, certains avocats, dont l’activité était essentiellement judiciaire, ont pu dans l’ignorance avoir le sentiment que la médiation n’était pas rentable, ces derniers ont, depuis, changé d’avis. Au fur et à mesure que la profession se familiarise à la médiation, ils prennent conscience que ce mode alternatif est au contraire un moyen de fidéliser la clientèle et d’augmenter leur chiffre d’affaires. Une médiation réussie amène immanquablement de nouveaux dossiers, y compris des procédures judiciaires.
En effet, quels que soient les mérites de la médiation, le développement de ce mode alternatif ne sonne pas le glas des procédures judiciaires et d’arbitrage. Il y aura toujours des situations où la médiation sera inadaptée. Il en est ainsi des recouvrements de créances s’agissant de débiteurs indélicats ou désargentés, de différends nécessitant de trancher une question de droit (prescription, clause pénale, nullité d’un acte par exemple) ou de procédures collectives.
Comme en matière de justice traditionnelle, une médiation peut trouver sa place dans un arbitrage, soit que les parties se mettent d’accord pour suspendre la procédure et donner une chance à la médiation, soit que l’arbitre le suggère aux parties. Si la médiation échoue, l’arbitrage reprendra son cours sans pollution, la confidentialité évitant tout dérapage.
Les initiatives tendant à "vulgariser" la médiation sont légion. Signalons la mise en chantier d’un "white book on ICC ADR", la création d’un centre d’arbitrage franco-allemand sous l’égide des Chambres de commerce de Paris et d’Hambourg, des séminaires et monographies nombreuses. L’enseignement de la médiation se développe à l’Université, l’EFB et la plupart des écoles de commerce.
La médiation est l’aboutissement du "win-win" de Roger Fisher et William Ury.
J’espère avoir réussi à partager mon optimisme quant à cet avenir radieux.