Cass. com. 5 mai 2009, n° 08-17465
La pratique sociétaire connaît de très nombreuses hypothèses dans lesquelles la fixation du prix de cession d’actions ou de parts sociales est confiée à un tiers expert conformément à l’article 1843-4 du Code civil. Cet instrument constitue le rempart contre l’indétermination du prix pour de nombreuses cessions pouvant conduire à discussion (cession pure et simple, rachat par la société, etc…) et donc faire courir le risque de nullité de la vente.
Or la mise en œuvre de cette expertise faisait débat en jurisprudence. Il s’agissait de savoir si, dans l’exécution de sa mission, le tiers expert est tenu de respecter les clauses du contrat ou des statuts de la société ou si, au contraire, il peut se déterminer de manière totalement libre, sans prendre en compte ces stipulations.
La Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la liberté de l’expert, par un arrêt de la chambre commerciale du 5 mai 2009.
Les faits ayant permis à la Cour de cassation de se prononcer en ce sens étaient les suivants : les associés d’une société civile ont été exclus par décision d’assemblée générale, le juge étant saisi pour fixer la valeur de rachat de leurs parts. Alors que les premiers juges ont octroyé à l’expert une totale liberté d’évaluation, la cour d’appel annulait l’ordonnance de désignation de l’expert pour non-respect par les premiers juges de la lettre des statuts.
L’arrêt est cassé par la Chambre commerciale qui relève que « dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés » et précise que « seul l’expert détermine les critères qu’il juge les plus appropriés pour fixer la valeur des droits, parmi lesquels peuvent figurer ceux prévus par les statuts ».
Le commentaire est un art étrange et cet arrêt, qui devrait mettre un terme aux débats initiés par les juges du fond, fait sans doute simplement rebondir la problématique bien complexe de l’évaluation.
En effet, ne l’oublions pas, il existe dans le Code civil deux méthodes d’évaluation. Celle de l’article 1843-4, qui relève d’un régime légal voulu par ses initiateurs, notamment le sénateur Dailly, comme un supplétif de la volonté et du pouvoir de concilier des parties à un litige sur la valeur de titres concernant la cession de droits sociaux ou leur rachat (exclusion ou retrait).
Or, parallèlement à ce premier mécanisme, l’article 1592 permet de déterminer le prix de vente par « l’arbitrage d’un tiers » qui s’il « ne veut ou ne peut faire l’estimation » bloquera la vente.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 mai dernier concerne uniquement l’article 1843-4. Il faut donc y voir simplement un régime légal pour toutes les hypothèses dans lesquelles l’évaluation par le tiers expert s’impose par une vertu légale (expropriation, rachat par la société).
Mais, dans les autres cas, très fréquents dans la pratique, de cessions de titres sociaux, l’emprise de l’article 1592 demeure entière et permettra, paradoxalement, aux parties de se protéger de l’aléa de la liberté d’appréciation du tiers expert que vient de confirmer la Cour de cassation dans le cadre de l’article 1843-4.
Mais ce choix ne sera pas une solution sans risque ! En effet, si l’arbitre évaluateur de l’article 1592 refusera sans doute rarement sa mission, il pourrait ne pas pouvoir la mener à terme. Dans ce cas, la vente serait tout simplement imparfaite.
On le comprendra, le débat est loin d’être clôt et la pratique des conseils a encore fort à faire pour sécuriser les clauses de variation de prix. Il faudra les analyser avec une particulière attention à l’avenir.