En 1991, la chambre sociale de la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « un élément de la vie privée du salarié [aujourd’hui on parlerait plutôt de « vie personnelle » afin de protéger une sphère plus large] ne peut en principe être une cause de licenciement, excepté lorsque par son comportement, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, le salarié a causé un trouble caractérisé au sein de cette dernière. »
Est-ce à dire qu’aujourd’hui, lorsque la situation personnelle du salarié est incompatible avec des exigences d’évitement de conflits d’intérêt, un employeur peut pour cette raison se séparer du salarié en le licenciant ?
Dans une affaire récente, un salarié investi de prérogatives importantes dans l’organisation d’un réseau avait été licencié pour n’avoir pas informé sa hiérarchie de ce qu’il avait épousé une personne associée dans une société nouvellement intégrée à ce réseau, et pour avoir refusé, après que l’employeur en eut été informé par un membre du réseau, de confirmer l’information et de discuter avec son employeur des solutions pouvant remédier à cette situation.
Saisie, la Cour de cassation a souligné que : « le licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs imputables à ce salarié et le seul risque d’un conflit d’intérêts ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. » pour refuser un licenciement justifié seulement par un « risque » de conflit d’intérêt.
Le licenciement pour une cause inhérente à la vie personnelle du salarié
Deux conditions doivent être remplies pour permettre à un employeur de licencier un salarié en raison d’un élément de sa vie personnelle :
- L’imputabilité : le fait reproché au salarié doit le concerner personnellement et non un proche parent.
- L’actualité du fait reproché : Cela signifie que le fait reproché ne doit pas être potentiellement réalisable, il faut que le fait se soit produit.
L’existence d’un simple risque de conflit d’intérêt tiré de la situation personnelle d’un salarié ne peut donc, en principe, justifier son licenciement. C’est d’ailleurs ce que souligne la Cour de cassation dans sa décision citée ci-dessus : « Le seul risque de conflit d’intérêts ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ».
Ces conditions soulèvent des difficultés pour les entreprises notamment au regard des répercussions économiques et financières, ainsi que la possibilité de la détérioration de l’image de l’entreprise. En effet, faut-il avant de sanctionner un salarié qui est dans une situation potentiellement génératrice d’un conflit d’intérêts, attendre que la situation se réalise et d’en assumer les conséquences notamment lorsque les intérêts financiers, et stratégiques sont importants ?
Juridiquement, on aurait tendance à dire que face à cette situation, il est « urgent de ne rien faire », et d’attendre que la catastrophe se réalise. Cela est d’autant plus étonnant qu’en droit commercial, la solution est contraire : « Lorsqu’une société se trouve au centre d’un conflit d’intérêts, il lui incombe de ne pas y rester et de s’abstenir d’une attitude molle qui s’efforcerait de concilier l’inconciliable » .
La charte de conflit d’intérêts
Pour pallier ces difficultés, de nombreuses entreprises ont mis en place une « charte de conflit d’intérêts » de nature à organiser en faveur de l’employeur les conséquences d’un simple « risque » de conflit d’intérêt. En France, les banques (notamment pour leur activité d’investissement) et les filiales des sociétés américaines soumises à la loi Sarbannes-Oxley sont les plus actives.
Or, de telles chartes doivent être annexées au règlement intérieur et soumises lors de leur adoption au formalisme parfois très exigeant du Code du travail (comme pour les « chartes informatiques »).
Ces chartes doivent être très précises quant à la définition du « risque » de conflit d’intérêt et ne pas laisser à la seule appréciation de l’employeur le soin de déterminer si telle ou telle situation personnelle d’un salarié est constitutive d’un risque (suffisant) de conflit d’intérêt pour justifier des mesures disciplinaires. On relèvera à ce titre un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 9 juin 1998 qui a refusé de considérer comme valable le licenciement d’un cadre d’une banque d’investissement qui refusait de céder la nu-propriété des actions d’une entreprise dans laquelle avait investi son employeur qui souhaitait désormais s’en séparer. La Cour de cassation confirmait l’arrêt de la Cour d’appel qui avait écarté le règlement intérieur « qui abandonne à (l’employeur) la détermination de la situation conflictuelle et l’appréciation de l’intérêt à privilégier, excédant, par sa généralité et son imprécision, les restrictions que l’employeur peut légalement apporter à la liberté individuelle du salarié ».
Il convient donc de prendre un grand soin lors de la rédaction de telles chartes qui peuvent revêtir une importance pédagogique et juridique de premier ordre à la condition d’être parfaitement équilibrées, ce qui est rarement le cas.