Peut-on estimer que le secret défense opposé par l’Etat français dans la célèbre affaire dite « des frégates de Taiwan » constitue une entorse au principe du contradictoire, susceptible de provoquer l’annulation de la sentence arbitrale rendue à l’encontre de la société Thalès (ex-société Thomson CSF) ?

La Première Chambre de la Cour de cassation a ainsi renvoyé le juge de l’annulation à l’examen de cette question en cassant en toutes ses dispositions l’arrêt de la Cour d’appel du 29 juin 2006 (Cass. Civ. 1ère Chambre, arrêt n° 128 du 11 février 2009, 06-18.746). Qualifiés de « clause de style », les motifs invoqués par les juges du fond ont été cassés au visa de l’article 455 du nouveau code de procédure civile, rappelant ainsi le principe que l’obligation de motiver s’applique à tous les jugements quelles que soient les juridictions dont ils émanent et quelle que soit leur portée .

Si le juge de l’annulation jouit d’un pouvoir souverain d’appréciation, la Cour de cassation doit être en mesure d’exercer un contrôle de sa motivation. Dès lors, « en se prononçant ainsi, par une clause de style, dépourvue de toute motivation précise et de toute référence explicite aux motifs des arbitres dont elle estimait le raisonnement pertinent, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et, partant, n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé (article 455 du code de procédure civile) ».

Cet arrêt nous éclaire sur le contenu attendu de cette motivation. Sans bouleverser les attentes déjà édictées en matière de rédaction des jugements, la Cour invite le juge de l’annulation à concentrer ses efforts autour de deux notions :

– la motivation doit être précise, à savoir, circonstanciée,
– la motivation doit expressément faire référence aux motifs de la sentence. Plus précisément, une telle motivation par référence à une autre décision constitue un élément valable d’appréciation du juge de l’annulation. Cette solution, proche de celle admise en faveur de tout juge d’appel lorsqu’il utilise la méthode de l’arrêt motivé par référence aux motifs adoptés par les premiers juges, doit être néanmoins tempérée. En effet, cette solution sème le trouble car elle semble prêter au juge de l’annulation une fonction proche du juge d’appel, alors qu’il n’est en principe pas compétent pour procéder à un réexamen de l’affaire.

Quoiqu’il en soit de l’aspect procédural de cette affaire, la remise en cause de la sentence par la société Thalès ne manque pas d’intérêt. Elle pose une question simple : peut-on tirer argument de l’opposition du secret défense comme élément constitutif d’un manquement au principe du contradictoire ?

Les arbitres avaient bien dit que ce n’était pas le cas. Pour les arbitres, « les demandes dans leur objet étaient arbitrables et susceptibles d’être tranchées au terme d’un procès équitable ». Quelle que soit la décision de la Cour d’appel de renvoi une chose est claire : elle devra nécessairement examiner le raisonnement suivi par les arbitres qui, au-delà la question de leur compétence, ont tiré les conséquences de l’impossibilité pour l’une des parties de pouvoir produire toutes les pièces nécessaires (pour cause de « secret défense »). Ainsi, ils ont fait respecter le principe du contradictoire entre les parties et apprécié, dans ces conditions, le bien-fondé des prétentions formées pour inexécution du contrat initial.

L’arrêt du juge de renvoi sera donc particulièrement attendu pour connaître la méthode suivie par les juges pour ce conformer à cette obligation de motivation : en cas de secret défense, la motivation semble donc devoir être renforcée, notamment lorsque les juges valident la sentence rendue.