Cass. Com. 10 juillet 2010, n°08-12.010
« La dénomination sociale ne bénéficie d’une protection que pour les activités effectivement exercées par la société et non pour celles énumérées dans ses statuts ». Tel est le principe que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient d’énoncer dans son arrêt du 10 juillet 2012, mettant ainsi un terme à une controverse relative aux conditions dans lesquelles une dénomination sociale constitue un droit antérieur susceptible d’interdire le dépôt d’une marque éponyme.
L’article L.711-4, b du Code de la propriété Intellectuelle dispose que « Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment […] à une dénomination ou raison sociale, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ». Mais plusieurs incertitudes demeuraient, tout d’abord quant au point de savoir (i) si la dénomination sociale est soumise au principe de spécialité ou non, et si elle bien est soumise au principe de spécialité, (ii) quels critères doivent être utilisés pour apprécier le secteur économique de la dénomination sociale.
1. La dénomination sociale est soumise au principe de spécialité
Avant cet arrêt de principe, régnait une grande insécurité juridique : selon certaines juridictions du fond, la dénomination sociale n’est pas soumise au principe de spécialité et se voit conférer une protection large, quel que soit le secteur d’activité du titulaire d’une marque éponyme postérieure. Cette position était justifiée par la volonté de ne pas freiner le développement d’une personne morale en la cantonnant dans un seul secteur d’activité. Alors que selon d’autres juridictions du fond, la dénomination sociale est soumise au principe de spécialité et ne confère une protection que dans la mesure où cela présente une réelle utilité pour son titulaire. Cette analyse se fonde sur le fait que la dénomination sociale ne constitue une antériorité au dépôt d’une marque que « s’il existe un risque de confusion » aux termes de l’article L.711-4, b du Code de la propriété Intellectuelle, ce qui nécessite de prendre en compte la spécialité.
La Cour de cassation a pris position et consacre le principe selon lequel la dénomination sociale est soumise au principe de spécialité. En l’espèce, la société Cœur de princesse, immatriculée en 2003, soutenait que l’utilisation de la marque « cœur de princesse », déposée postérieurement par la société Mattel France pour commercialiser des poupées « Barbie » avait un caractère frauduleux. La Cour relève qu’à la date du dépôt de la marque « cœur de princesse » par Mattel, la société Cœur de princesse avait pour seule activité la conception et la vente de déguisements, et que par conséquent il n’existe aucune risque de confusion entre les poupées « Barbie » commercialisées par la société Mattel France et les activités exercées par la société Cœur de princesse sous cette dénomination sociale. Ainsi, l’antériorité de la dénomination sociale ne vaut que pour le secteur d’activité des déguisements, en application du principe de spécialité.
2. Le secteur économique est apprécié au regard de l’activité effectivement exercée par la société.
Jusqu’ici, pour apprécier le secteur économique lié à la dénomination sociale, certaines décisions de jurisprudence se référaient à l’objet social déclaré dans les statuts de la société, tandis que d’autres se référaient plutôt à l’activité effectivement exercée, puisque l’objet social était en général défini de manière très large, englobant des activités n’ayant que peu de rapports entre elles.
La Cour de cassation est également venue mettre fin à cette controverse, et le critère qu’elle retient n’est autre que l’activité effectivement exercée par la société éponyme à la date du dépôt de la marque. En effet, la cour consacre expressément le principe selon lequel « la dénomination sociale ne bénéficie d’une protection que pour les activités effectivement exercées par la société et non pour celles énumérées dans ses statuts ».
On ne peut que se féliciter de la portée de cet arrêt qui vient mettre un terme à l’insécurité juridique qui régnait jusqu’alors…