Pour rappel, en mars 2005, la marque « Marithé François Girbaud » faisait apposer une affiche sur la façade d’un immeuble de la porte Maillot et lançait une campagne de communication en presse reproduisant une photographie inspirée de « La Cène », sur laquelle les personnages du célèbre tableau avaient été remplacés par des femmes habillés de vêtements de la marque, et le Christ remplacé par un homme apparaissant dos nus. L’association « Croyances et Libertés » avait assigné immédiatement la marque ainsi que l’agence de publicité en référé afin de faire interdire l’exposition et la diffusion de ladite photographie, au motif qu’elle constituait une injure à l’encontre de la communauté catholique et un trouble manifestement illicite sanctionnés par la Loi de 1881 sur la presse.
Les juges de 1ère instance ainsi que les juges d’appel ont fait droit aux demandes de l’association et ont considéré que la photographie constituait une injure au sens de la loi sur la presse. Ces deux décisions ont été l’amorce d’une vive polémique sur la liberté de création publicitaire et l’utilisation de symboles religieux dans un contexte social extrêmement sensible en cette matière. Outre le frein au principe fondamental de liberté publicitaire établi depuis des années en jurisprudence, les décisions des juges du fond demeuraient critiquables sur un plan strictement juridique dans la mesure où, plutôt que d’apprécier la réunion, en l’espèce, des éléments matériel et moral du délit d’injure, strictement défini et encadré par la Loi de 1881 sur la presse, sur lequel l’association fondait sa demande d’interdiction, la motivation des juges s’apparentait davantage à un jugement d’ordre moral et empreint d’une très forte subjectivité.
Appréciation « morale » totalement réfutée par la Cour de cassation qui a rappelé qu’il appartenait uniquement aux juges de vérifier si le délit d’injure était constitué en l’espèce, et rien d’autre.
Alors même qu’il est difficile d’écarter toute appréciation un tant soit peu subjective dans le travail de qualification d’une infraction par les juges du fond, il semble néanmoins que ces derniers soient allés trop loin dans l’ « affaire Marithé François Girbaud ».
La Cour d’appel de Paris avait en effet jugé la photographie injurieuse aux motifs qu’ « i[elle reproduisait à l’évidence La Cène de Jésus-Christ, que cet évènement fondateur du christianisme (…) faisait incontestablement partie des éléments essentiels de la foi catholique ; que dès lors [la photographie] constituait l’utilisation dévoyée, à grande échelle, d’un des principaux symboles de la religion catholique, à des fins publicitaires et commerciales (…) ; qu’il était fait gravement injure aux sentiments religieux et à la foi catholique et que cette représentation outrageante d’un thème sacré détourné par une publicité commerciale causait un trouble manifestement illicite ; que ladite composition n’avait d’évidence pour objet que de choquer celui qui la découvrait afin de retenir son attention sur la représentation saugrenue de la Cène ainsi travestie, en y ajoutant ostensiblement une attitude équivoque de certains personnages (…) ; que le caractère artistique et l’esthétisme recherché (…) n’empêchait pas [le visuel publicitaire] de constituer (…) un dévoiement caractérisé d’un acte fondateur de la religion chrétienne avec un élément de nudité racoleur, au mépris du caractère sacré de l’instant saisi »]i.
La Cour de cassation, sanctionnant un tel raisonnement, a considéré pour sa part qu’ « en retenant l’existence d’un trouble manifestement illicite, quand la seule parodie de la forme donnée à la représentation de la Cène qui n’avait pas pour objectif d’outrager les fidèles de confession catholique, ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, ne constitue par l’injure, attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse, la Cour d’appel a violé les articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 ainsi que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».