Suite à un appel d’offres organisé en 2008 par la Ligue de Football professionnelle, Orange et Canal+ se sont partagés les douze lots pour les saisons 2008 à 2012. Orange est ainsi devenue détentrice, entre autres, des droits de diffusion des très regardés « grands matchs du samedi soir ».

Orange diffuse les matchs sur sa chaîne Orange Sports, disponible via son offre triple-play ADSL et sur le satellite. Seuls les abonnés Orange peuvent s’abonner à Orange Sport, pour une somme forfaitaire mensuelle.

Des concurrents d’Orange (notamment Neuf Cegetel et Free) ont dénoncé le contenu d’un encart publicitaire sur la page web de la société qui faisait la promotion de la chaîne payante Orange Sport, car le texte ne faisait mention que du coût de 6 euros par mois. En effet, c’est seulement en suivant le lien promotionnel que le consommateur était informé que l’offre était limitée aux abonnés Orange, les consommateurs ayant contractés avec un autre fournisseur d’accès internet (FAI) devant en premier lieu résilier leur abonnement et souscrire un nouvel abonnement avec Orange.

Les concurrents d’Orange ont fait valoir devant le Tribunal de commerce de Paris qu’aucun obstacle technique n’empêchait l’opérateur de diffuser cette chaîne via d’autres médias que le seul abonnement Orange.
Leurs demandes ont été accueillies par le Tribunal de commerce. Au visa de l’article L.122-1 du Code de la consommation, le Tribunal de commerce avait en effet qualifié l’offre Orange Sport de vente liée et avait donc fait injonction à Orange de cesser de subordonner l’abonnement Orange Foot à la souscription d’un abonnement internet haut débit Orange. Saisie du litige, la Cinquième chambre de la Cour d’appel de Paris a rendu le 14 mai dernier un arrêt infirmant le jugement du Tribunal de commerce de Paris déclarant applicable ledit article L.122-1 au différend.

Entre la décision de première instance et le jugement de la Cour d’appel est intervenu l’arrêt VTB-VAB NV contre Total Belgium NV (Affaires jointes VTB-VAB NV contre Total Belgium NV (C-261/07) et Galatea BCBA contre Sanoma Magazines Belgium NV (C-299/07), 23 avril 2009). La CJCE y a jugé qu’une loi établissant une présomption d’illégalité des offres conjointes ne répond pas aux exigences posées par la directive relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (2005/29/CE), laquelle prévoit que seules 31 pratiques commerciales sont interdites en toutes circonstances, l’offre conjointe ne faisant pas partie de la liste des pratiques interdites per se.

Après avoir rappelé le principe d’interprétation conforme du droit communautaire et le fait que quand un champ est préempté par le législateur communautaire, les Etats membres ne peuvent pas adopter des mesures plus restrictives que celles définies par la directive, la Cour d’appel s’est logiquement considérée dans l’obligation de se conformer à la Directive 2005/29 et à la décision VTB-VAB NV contre Total Belgium NV de la CJCE. La Cour renforce cette analyse juridique par une analyse factuelle et pratique du secteur en notant que chaque opérateur / FAI cherche à se différencier des autres grâce à des offres uniques (plate-forme VoD ‘Canal Play’ pour Free, accord avec Universal pour Neuf Cegetel, etc.). Pour la Cour, le fait qu’Orange Sports soit associé exclusivement à l’offre ADSL de Orange n’altère donc pas de façon significative la liberté de choix du consommateur à l’égard des offres ADSL.

Le débat ne s’est pas éteint pour autant. En effet, saisie par le ministère de l’Economie en 2008 sur les offres exclusives de contenus par des fournisseurs d’accès internet, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis consultatif le 7 juillet dernier (voir notre article "Let free be !…"). Sans totalement contredire la position retenue par la Cour d’appel, l’Autorité invite néanmoins le législateur, si nécessaire, à se saisir de la situation sur les marchés d’accès aux contenus audiovisuels afin, notamment, d’instaurer une limitation dans le temps de toutes les exclusivités d’accès aux contenus.

Si Orange ne peut qu’être moyennement satisfaite de cette évolution, d’autres FAI s’en réjouissent. Canal+, en revanche, voit son modèle économique remis en cause. Les propriétaires de contenus sont pour l’instant restés plutôt silencieux. Est-ce la torpeur de l’été, le dépit ou une certaine fatalité ? En tout état de cause, il va leur falloir repenser les moyens de valorisation de leurs contenus. Car si le principe d’accords exclusifs est validé, leur durée limitée en réduira nécessairement la valeur économique.