Cass. civ. 4 mars 2015, n°13-17.392

En 2013, un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse faisait couler beaucoup d’encre en appliquant la Convention de Varsovie aux recours des constructeurs d’ aéronefs contre les transporteurs aérien. En mars 2015, le verdict tant attendu de la Cour de cassation est tombé, et il n’est malheureusement pas favorable aux transporteurs aériens et à leurs assureurs.

1.         Le 2 mai 2006, l’avion A320 construit par la société Airbus et appartenant à la compagnie aérienne Armavia s’est abimé en mer, causant la mort de tous ses passagers et de son équipage.
Après avoir régularisé des accords transactionnels en 2006 avec les assureurs de la compagnie aérienne, les ayants droit des passagers décédés ont assigné Airbus en 2008 sur le fondement de la garantie légale du fait des produits défectueux. Invoquant des défaillances techniques de l’avion, les demandeurs sollicitaient qu’Airbus leur verse des indemnités au titre du préjudice moral subi à la suite du décès de leurs proches.

Dans le prolongement de ces assignations, Airbus a appelé en garantie Armavia, invoquant des défaillances de l’équipage de l’avion. Airbus sollicitait ainsi que le transporteur aérien soit condamné à la relever et garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre au profit des ayants droit des passagers décédés.

Pour se défendre, Armavia a saisi le juge d’une exception d’incompétence territoriale fondée sur l’article 28 de la Convention de Varsovie, laquelle prévoit que l’action en responsabilité contre le transporteur aérien est portée au choix du demandeur « soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège de son exploitation, ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination ».
Rien ne permettait, au regard de l’article 28 de la Convention, d’attraire le transporteur aérien devant le Tribunal du lieu du siège social d’Airbus. C’est donc fort logiquement qu’Armavia a invoqué les règles de compétence exclusive de la Convention de Varsovie qui lui permettaient de neutraliser les règles de compétences de droit commun prévues dans le Code de procédure civile.
La question initiale était donc de déterminer si le Tribunal de grande instance de Toulouse, devant lequel le litige avait été porté, était territorialement compétent pour connaître de l’appel en garantie de la société Airbus à l’encontre d’Armavia.

Le Tribunal s’étant déclaré incompétent sur le fondement de l’article 28 de la Convention de Varsovie, le litige avait ensuite été porté par Airbus devant la Cour d’appel de Toulouse qui avait confirmé l’ordonnance entreprise.

2.         La Cour d’appel de Toulouse avait ainsi conclu qu’il y avait « lieu de considérer que les dispositions de la convention doivent régir toute action contre le transporteur, quelles que soient les personnes qui mettent en cause cette responsabilité et le titre auquel elle prétendent agir».
Cette interprétation libérale des termes de la convention de Varsovie se fondait sur les constats suivants :

i)          Airbus « n’exer[çait] pas un droit d’action personnel à l’encontre de la Compagnie Armavia Airlines puisque son recours en garantie vis[ait] à engager la responsabilité de la Compagnie Armavia Airlines, transporteur aérien, pour les dommages causés aux passagers »[[1]]url:#_ftn1 , et
ii)          « Ni l’article 24, ni l’article 28 [de la Convention de Varosvie] ne font de distinction selon le titre auquel le transporteur aérien se trouve assigné ni selon la personne qui recherche la responsabilité du transporteur »,

Ainsi, s’agissant plus particulièrement des règles de compétence, la Cour d’appel a considéré que « l’article 28 énonçait une règle de compétence directe ayant un caractère impératif. En exigeant de manière exclusive que l’action contre le transporteur aérien soit portée devant certains tribunaux la convention de Varsovie écarte nécessairement qu’une autre juridiction puisse être saisie. »

3.         Face au rejet de ses demandes, un pourvoi a été formé par Airbus devant la Cour de Cassation.

La question était d’importance puisque loin de se limiter à l’application des règles de compétence, cette affaire posait de manière plus générale la question de l’application des principes énoncés par la Convention de Varsovie (et incidemment de la Convention de Montréal) aux recours des constructeurs contre les transporteurs aériens.

Or, si l’on pouvait se réjouir de l’analyse libérale par la Cour d’appel de Toulouse des termes de la Convention de Varsovie, on ne peut que regretter la position tranchée – et sans appel – de la Cour de cassation qui, dans un attendu de principe, a énoncé, au visa des articles 1, 17, 24 et 28 de la Convention de Varsovie que « l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d’application de la Convention de Varsovie, et partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées par son article 28 ».

Après avoir ainsi rappelé que la Convention de Varsovie n’avait pas vocation à s’appliquer aux recours formés par les constructeurs, la Cour réfute ensuite le raisonnement de la Cour d’appel de Toulouse, notamment en ce que la Cour d’appel avait relevé que la Convention de Varsovie n’opérait pas de distinction entre le titre auquel le transporteur avait été assigné ou la personne qui recherche sa responsabilité.

4.         Cette interprétation nous paraît des plus regrettables, d’autant que la Cour d’appel avait relevé, au cas particulier, que le recours en garantie exercé par Airbus n’avait pas pour objet l’indemnisation d’un préjudice propre au constructeur tel qu’un préjudice économique mais l’indemnisation des dommages des ayants droit de passagers. Il était donc, à notre sens, parfaitement fondé que la Convention ait vocation à s’appliquer à ce type de recours.

Comme évoqué ci-avant, les conséquences d’une telle interprétation de la Cour de cassation ne devraient pas se limiter aux règles de compétence.

En effet, on peut valablement considérer, que le délai biennal de l’article 29 pour intenter une action contre le transporteur aérien, de même que les plafonds d’indemnisation prévus par la Convention n’ont pas plus vocation à s’appliquer dans les recours des constructeurs contre les compagnies aériennes.

On peut également supposer que le même raisonnement serait appliqué par la Cour de cassation aux recours des agences de voyages contre les transporteurs aériens ou lorsque la Convention de Montréal est en cause.

Contact : anne-sophie.allouis@squirepb.com  


[[1]]url:#_ftnref1 Arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 12 mars 2013 (n°159/13, 11/03207).