Bientôt la Chandeleur et ses crêpes ! La fête des chandelles nous donne l’occasion de nous pencher sur l’évolution des techniques d’éclairage et de tirer des leçons d’une fameuse bataille juridique entre Thomas Edison et Joseph Swan sur les droits attachés à l’invention de l’ampoule électrique.
La Chandeleur tire son origine d’une fête romaine, la fête des chandelles (« festa candelarum »), institutionnalisée par la suite par le Pape Gélase 1er qui fut le premier à organiser des processions aux flambeaux.
Pourquoi mange-t-on des crêpes à la Chandeleur ? Pour certains, cela vient des galettes que Gélase 1er faisait distribuer aux pèlerins. Pour d’autres, cela renvoie à une coutume paysanne : on semait à la fin de l’hiver le blé qui subsistait de l’année précédente et s’il restait encore des grains après le semis, on les moulait pour préparer des crêpes.
Avec la fin de l’hiver arrivent des jours plus longs, la lumière prend le pas sur l’obscurité. Pour s’éclairer, on a d’abord utilisé des flambeaux trempés dans de la graisse, puis des lampes à huile et des chandelles. Les chandelles étaient fabriquées avec une mèche de chanvre et du suif, c’est-à-dire de la graisse de porc, de mouton ou de bœuf. Elles produisaient des odeurs et fumées assez désagréables. A partir du XIVème siècle, le suif fut remplacé par de la cire d’abeille de Bejaïa, ville d’Algérie qui a donné leur nom aux bougies. Ces bougies fabriquées à partir d’une matière première importée étaient réservées au clergé et aux plus riches. Le suif a donc pris une connotation négative, comme en témoigne le titre de l’admirable nouvelle de Maupassant, « Boule de Suif », surnom de son héroïne, une prostituée bien mal récompensée de sa générosité. Les chandelles avaient tout de même besoin d’être « mouchées » toutes les demi-heures, car la cire brûlait plus vite que la mèche que l’on devait couper à l’aide de ciseaux à réservoir appelés mouchettes. Problème résolu à partir du XIXème avec des mèches en coton tressé. Puis arriva l’éclairage au gaz qui provoqua toutefois nombre d’incendies. L’ampoule électrique allait révolutionner l’éclairage, mais sa mise au point fut longue et difficile et a fait naître une « bataille au brevet » entre deux inventeurs, Thomas Edison et Joseph Swan.
Thomas Edison est l’un des inventeurs les plus prolixes de tous les temps. En soixante ans d’activité, il a déposé plus de mille brevets. Ce foisonnement inventif suscite parfois une certaine défiance. Ainsi, le brevet déposé en 1879 sur sa « lampe électrique » est délivré en janvier 1880 par l’office américain mais il est contesté et plusieurs années plus tard, la cour d’appel du Circuit Fédéral annule le brevet au motif qu’il n’y a pas d’activité inventive, car ce brevet ne fait que décrire un phénomène naturel, l’incandescence. C’est d’ailleurs l’incandescence qui produit la lumière du soleil, soleil toujours présent aujourd’hui lorsque l’on célèbre la Chandeleur puisque la forme ronde des crêpes serait une référence au disque solaire.
A la même époque, de l’autre côté de l’Atlantique, un scientifique anglais, Joseph Swan tente lui aussi de mettre au point une ampoule électrique. Mais tandis qu’Edison cherche à faire brûler du bambou, Swan travaille à partir de filaments de carbone.
Les deux se confrontent aux mêmes difficultés : lorsque le matériau brûle, il produit du carbone qui se dépose à l’intérieur de l’ampoule qui s’obscurcit peu à peu. Il faut donc soit créer le vide à l’intérieur de l’ampoule soit y introduire un gaz dépourvu d’oxygène. Deuxième difficulté, l’ampoule a une très courte durée de vie.
Dans cette course à la mise au point de l’ampoule électrique, Swan prend de l’avance et équipe d’éclairage électrique son domicile puis le théâtre du Savoy à Londres en 1881. Edison en prend ombrage et sur la base de son brevet déposé d’abord aux Etats-Unis mais également au Royaume-Uni, il engage une procédure contre Swan. Ici, les historiens divergent. Certains affirment qu’Edison aurait perdu son procès. Les plus critiques affirment même qu’il aurait eu connaissance des travaux de Swan mais aurait déchiré dans son carnet de laboratoire les pages qui y faisaient référence. D’autres indiquent que ses avocats auraient convaincu Edison qu’il risquait de perdre. Ce qui est certain, c’est qu’un accord intervient entre les deux inventeurs et qu’en 1883 une joint-venture est créée sous le nom de The Edison and Swan Electric Light Company.
Cette histoire illustre le fait qu’une invention « dans l’air du temps » peut être développée simultanément, mais de façon indépendante par deux inventeurs. Comment le droit des brevets traite-t-il cette situation ? En donnant la priorité au plus rapide, c’est-à-dire à celui qui est le premier à déposer un brevet. Cette solution peut paraître inéquitable mais est dictée par un impératif de sécurité juridique : la date de dépôt est une date certaine. Toutefois, l’inventeur plus lent n’aura pas tout perdu : grâce à la règle dite de la possession antérieure de bonne foi, il ne sera pas paralysé par le brevet déposé par son concurrent. En droit français, la règle est consacrée par l’article L. 613-7 du Code de la propriété intellectuelle :
« Toute personne qui, de bonne foi, à la date de dépôt ou de priorité d’un brevet, était, sur le territoire où le présent livre est applicable en possession de l’invention objet du brevet, a le droit, à titre personnel, d’exploiter l’invention malgré l’existence du brevet. »
L’inventeur qui n’a pas déposé de brevet ou qui a déposé trop tard pourra donc exploiter son invention, mais il sera doublement limité dans ses ambitions puisqu’il sera privé du monopole que confère le brevet (s’il a déposé un brevet, celui-ci sera immanquablement annulé pour absence de nouveauté) et ne pourra exploiter son invention que lui-même, ce droit pouvant néanmoins être transmis « avec le fonds de commerce, l’entreprise ou la partie de l’entreprise auquel il est attaché ».
Dans la réalité, deux inventions réalisées dans la même période ne sont jamais rigoureusement identiques. D’où l’intérêt de coopérer, comme le firent en leur temps Thomas Edison et Joseph Swan.