Grand pays européen de même surface que la France, l’Ukraine est parfois confondue avec la Russie. Cela s’explique notamment par l’histoire partagée avec la Russie pendant plusieurs siècles, ainsi que le bilinguisme quasi total russe/ukrainien de la population.

Cependant, la distinction se fait progressivement dans les esprits européens qui ont été marqués par la Révolution Orange ainsi que par la croissance économique du pays, lequel devient une destination d’investissement recherchée. Cette attractivité aux yeux des investisseurs est pourtant souvent affectée par une méfiance envers la justice ukrainienne en cas de différend avec un partenaire local. Une telle méfiance s’explique d’une part par les problèmes et les défauts de fonctionnement du système judiciaire, et d’autre part par la méconnaissance de ce dernier.

Le système judiciaire ukrainien

L’organigramme des juridictions ukrainiennes est similaire à celui des juridictions françaises. La Constitution ukrainienne et la « Loi sur le Système Judiciaire » instaurent un système juridictionnel à trois niveaux : les tribunaux du « premier degré » qui examinent les affaires sur le fond ; les cours d’appel; les cours de cassation (par exemple, la Cour Suprême de droit commun ou la Cour Suprême de commerce). Un statut exceptionnel est octroyé à la Cour Constitutionnelle au titre de cour unique spécialisée en justice constitutionnelle.

S’agissant de la juridiction de droit commun, son organisation correspond aux divisions administrative et territoriale du pays avec un statut juridictionnel spécial pour les villes de Kiev et de Sébastopol. Tous les tribunaux de droit commun s’occupent des affaires pénales et civiles. Comme en France, le tribunal compétent est généralement le tribunal du domicile du défendeur. Les juges sont nommés pour la première fois pour une durée de 5 ans avec le droit, à l’expiration et avec l’approbation du Parlement, d’être nommés pour une durée indéterminée.

La jurisprudence des cours d’appel et de la cour de cassation ne jouent pas, en Ukraine, le même rôle qu’en France. La Cour Suprême en tant qu’organe de cassation a vocation à synthétiser l’application de la législation par les tribunaux et d’interpréter la jurisprudence via les arrêts de son Assemblée Plénière.

La branche administrative des tribunaux a été mise en place il y a quelques années. Son fonctionnement et la catégorie des affaires traitées ne sont pas encore suffisamment définis. Une petite partie des affaires administratives est toujours portée devant les juridictions de droit commun. Son fonctionnement est régi par la « Loi Sur le Système Judiciaire », le Code des contentieux administratifs et les autres actes. Les tribunaux administratifs sont généralement très occupés lors la période électorale. Cela s’explique par le fait que ces dernières années l’Ukraine se trouve dans un contexte politique instable. Les élections anticipées du parlement et du maire de Kiev paralysent le pays au moins autant que les grèves de transport en France. Les trois partis politiques en concurrence ne cessent de contester les résultats des élections à tous les niveaux. Pendant les élections le Tribunal administratif de Kiev devient un « champ de bataille » pour la contestation des décisions de la Commission Centrale des Elections.

Les opérateurs économiques fréquentent pour leur part surtout les tribunaux de commerce (« gospodarskyj » ou « arbitrazhnyj sud »). Ceux-ci examinent uniquement les affaires entre les personnes morales ou les personnes privées ayant un statut d’entrepreneur.

Malheureusement, dans l’esprit des étrangers l’appellation « arbitrage », souvent utilisée pour les tribunaux de commerce, crée une confusion avec les tribunaux arbitraux ( « treteyskyj sud »). Ces derniers indépendants du système juridictionnel étatique pratiquent l’arbitrage commercial au sens classique du terme. Les tribunaux arbitraux sont compétents uniquement en présence d’une clause compromissoire ou d’un compromis tandis que les tribunaux de commerce dans tous les cas où le Code de commerce, le Code de procédure de commerce et les lois leur attribuent la juridiction.

Arbitrage et juridictions étatiques

Parmi les critiques les plus souvent faites aux tribunaux ukrainiens on relève la corruption, la lenteur et les pressions des pouvoirs publics sur les juges. Evidemment, cela crée un manque de confiance non seulement de la part des citoyens, mais surtout de la part des investisseurs étrangers qui sont méfiants et hésitent à faire trancher leurs différends par un juge ukrainien. Par conséquent, ils préfèrent soit aller devant le juge étranger, soit choisir l’arbitrage. Dans l’esprit de la plupart des entrepreneurs ukrainiens l’arbitrage reste un terra incognita. Cependant, les plus « aware » ( !) deviennent des habitués de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm qui est souvent choisie par les entreprises ukrainiennes. Pour les plus casanières, il existe la « Cour internationale d’arbitrage commercial » auprès la Chambre de commerce de l’Ukraine. Par ailleurs, les sentences rendues sous les auspices de cette dernière sont plus facilement exécutées que les sentences rendues à l’étranger. Deux lois, principalement, régissent le domaine de l’arbitrage : la « Loi sur La Justice Arbitrale » (« treteyskyj sud ») et la « Loi sur l’Arbitrage Commercial International » qui reprend les dispositions de la loi-type CNUDCI.

Bien que l’Ukraine ait adopté une législation moderne dans le domaine de l’arbitrage et que le pays ait ratifié la Convention de New York dès 1960, la reconnaissance et l’exécution d’une sentence rendue à l’étranger reste souvent problématique. La justice ukrainienne et les services d’exécution constituent souvent une sorte de Charybde et Scylla ; ils offrent toute une panoplie de moyens pour retarder ou bloquer la reconnaissance ou l’exécution de la sentence ce qui bénéficie aux débiteurs abusant de procédures dilatoires. La sentence doit tout d’abord passer par un tribunal de juridiction générale du premier degré. Parfois, celui-ci interprète très largement le critère de la violation de l’ordre public pour refuser la reconnaissance et l’exécution de la sentence. Dans une affaire récente opposant Telenor à Storm (une filiale d’Alfa Group russe) quant à sa participation dans le leader de téléphonie mobile en Ukraine, le tribunal du premier degré a refusé la reconnaissance et l’exécution de la sentence obtenue dans une procédure d’arbitrage à New-York en utilisant le motif très discutable de la violation de l’ordre public. Plus encore, le tribunal ukrainien a interdit à Telenor de soumettre le différend à un tribunal arbitral aux Etats–Unis malgré la clause compromissoire désignant celui-ci. Un surprenant article d’un des journaux ukrainiens les plus réputés « Le tribunal ukrainien a battu le tribunal d’arbitrage new-yorkais » illustre bien que les tribunaux étatiques ukrainiens ainsi que la plupart des juristes perçoivent encore l’arbitrage étranger comme un concurrent qu’il faut combattre à tout prix… La fin justifie les moyens.

Vous l’avez compris, la justice en Ukraine est un peu plus imparfaite que dans les pays développés et économiquement stables. Parfois, elle désespère par ses défauts, le taux de corruption et l’absence de réformes. Cependant, elle donne aussi des raisons d’espérer et devient un instrument de protection de la primauté du droit comme cela a été le cas pendant la Révolution Orange où, suite à plusieurs falsifications des résultats des élections présidentielles, la Cour Suprême a annulé ces résultats et a instauré un troisième tour afin de déterminer le vainqueur. Cette procédure a été pour la première fois diffusée en direct à la télévision ukrainienne, preuve de transparence de la justice d’un des plus grands pays européens.