L’annulation d’une sentence étrangère par les juridictions du siège de l’arbitrage ne fait pas obstacle à sa reconnaissance ou à son exequatur en France. Il y a là une solution bien assise en droit français de l’arbitrage depuis la célèbre affaire Hilmarton à l’occasion de laquelle la Cour de cassation avait affirmé que « la sentence rendue en Suisse était une sentence internationale qui n’était pas intégrée dans l’ordre juridique de cet Etat de sorte que son existence demeurait établie malgré son annulation et que sa reconnaissance en France n’était pas contraire à l’ordre public international ». Dans l’affaire Putrabali, les hauts magistrats vont plus loin en posant le principe selon lequel « la sentence internationale n’est rattachée à aucun ordre juridique ». Elle constitue « une décision de justice internationale » dont l’annulation par les juridictions du pays du siège de l’arbitrage n’a aucune incidence sur le contrôle de sa régularité par le juge français en vue de sa reconnaissance ou de son exequatur.
Dans cette décision accueillie favorablement à l’unanimité par les commentateurs , il s’agissait d’un litige opposant une société française (Est Epices devenue Rena Holding) qui a acheté du poivre blanc à une société indonésienne Putrabali. La cargaison a été perdue lors d’un naufrage au cours du transport. Devant le refus de la société française de payer le prix de la marchandise, Putrabali déclenche la clause d’arbitrage contenue dans le contrat en saisissant un tribunal arbitral siégeant à Londres sous les auspices de l’International General Produce Association (IGPA). Par une première sentence rendue le 10 avril 2001, le tribunal arbitral décide que la société française Rena Holding était fondée à refuser le paiement à la société indonésienne. Saisie d’un recours formé « sur un point de droit », la High Court de Londres annule partiellement cette sentence et renvoie l’affaire à un nouvel arbitrage. Jugeant que le défaut du paiement du prix constituait une violation du contrat, la deuxième sentence rendue le 19 août 2003 condamne Rena Holding à verser à la société indonésienne la somme de 163 068 euros.
Entre-temps, la société française avait demandé et obtenu, par ordonnance du 30 septembre 2003, l’exequatur en France de la première sentence lui ayant été favorable. La société Putrabali, quant à elle, a sollicité et obtenu l’exequatur de la deuxième sentence qui avait condamné la société Rena Holding au paiement du prix de la marchandise. Les deux ordonnances d’exequatur ont été respectivement attaquées devant la cour d’appel de Paris par chacune des deux sociétés. Par un arrêt du 31 mars 2005 , la juridiction parisienne confirme l’ordonnance d’exequatur de la première sentence qui avait libéré la société française du paiement du prix de la marchandise. En revanche, un second arrêt de la même juridiction infirme l’ordonnance d’exequatur de la deuxième sentence arbitrale en arguant du fait qu’elle était insusceptible de recevoir exequatur en France en raison de son inconciliabilité avec la première décision ayant confirmé l’ordonnance d’exequatur de la première sentence qui avait condamné la société française à payer la somme de 163 086 euros. Non contente de ces décisions, la société Putrabali se pourvoit en cassation en prétendant notamment que la première sentence déclarée régulière par les juges français n’a aucune existence juridique, donc dénuée d’autorité de chose jugée, puisqu’elle a été annulée et remplacée par la deuxième sentence. Voici la réponse de la Cour de cassation :
La sentence arbitrale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont demandées. En application de l’article VII de la Convention de New York du 10 janvier 1958, une partie est fondée à se prévaloir des dispositions du droit français de l’arbitrage international qui ne prévoit pas l’annulation de la sentence dans son pays d’origine comme cause de refus de reconnaissance et d’exécution de la sentence rendue à l’étranger (1er arrêt).
L’autorité de la chose jugée attachée à un arrêt, qui avait déclaré une partie recevable et fondée à obtenir l’exécution en France d’une sentence annulée dans le pays du siège de l’arbitrage, fait obstacle à l’exequatur d’une nouvelle sentence inconciliable avec la première (2ème arrêt).
Cette décision appelle quelques observations. D’abord, il est difficile de soutenir qu’une sentence arbitrale « n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique ». Le fait que son exequatur implique l’intervention obligatoire des juridictions d’un Etat, voire même parfois le concours de la force publique rappelle, bon gré mal gré, que la réalisation de la sentence arbitrale demeure foncièrement dépendante d’un (ou plusieurs) ordre (s) juridique (s) étatique (s). Ensuite, la solution de la Cour de cassation accentue le risque de décisions contradictoires. Annulée dans le pays du siège de l’arbitrage (Généralement neutre), la sentence se voit accorder l’exequatur en France. Ce risque devient plus grand lorsque la sentence est appelée à déployer ses effets dans plusieurs pays. Enfin et surtout, cette solution fait peu de cas du respect de la volonté des parties. Lorsque celles-ci choisissent le pays du siège de l’arbitrage comme c’est le cas dans l’affaire Putrabali, elles adhèrent systématiquement à un ordonnancement judiciaire qui implique aussi bien la compétence du tribunal arbitral à régler le litige né ou à naître que les éventuels recours contre la sentence arbitrale. En ignorant les décisions d’annulation de la sentence par les tribunaux du pays du siège de l’arbitrage, la jurisprudence Putrabali porte une atteinte grave à la volonté des parties qui ne souhaitaient évidemment pas au départ que la décision arbitrale puisse déployer ses effets en méconnaissance des éventuels recours en annulation dont elle pourrait faire l’objet dans ce même pays. Comme le relève à juste titre un auteur, « il est tout à fait absurde, sous couleur de libéralisme, de priver de facto les parties de ce qui représente à leurs yeux une garantie de bonne justice, en contemplation de laquelle elles ont accepté d’emprunter la voie de l’arbitrage. De toute évidence, la sécurité juridique n’y trouve pas son compte ». L’on ne saurait mieux dire.
Deux hypothèses permettent d’en rendre parfaitement compte.
1ère hypothèse : prenons l’exemple de deux sentences rendues dans un pays X. La première condamne une personne A à payer une somme d’argent à une autre personne B. Non content de cette décision, A forme un recours en annulation contre cette sentence devant les tribunaux du pays du siège de l’arbitrage, lesquels annulent cette sentence. Les deux parties se retrouvent à nouveau devant le tribunal arbitral qui, cette fois-ci, libère A de son obligation vis-à-vis de B. Entre-temps, ce dernier demande aux juridictions françaises l’exequatur de la première sentence qui lui est favorable et ce bien qu’elle ait été annulée dans le pays où elle a été rendue. Dans cette hypothèse, à supposer que les critères de régularité posés par l’article 1502 du CPC se trouvent remplis par les deux décisions arbitrales, B a la certitude d’obtenir l’exequatur (donc satisfaction) en France de la première sentence bien qu’annulée dans le pays du siège de l’arbitrage. En revanche, la deuxième sentence, favorable à A, n’a aucune chance de recevoir l’exequatur en France parce que « L’autorité de la chose jugée attachée à un arrêt, qui avait déclaré une partie recevable et fondée à obtenir l’exécution en France d’une sentence annulée dans le pays du siège de l’arbitrage, fait obstacle à l’exequatur d’une nouvelle sentence inconciliable avec la première » nous dit la Cour de cassation.
2ème Hypothèse : inversons maintenant la première hypothèse tout en gardant les mêmes protagonistes. Une première sentence juge que A est fondé à refuser de payer le prix à B. Ce dernier attaque la sentence devant les tribunaux du siège de l’arbitrage. Les juges annulent cette décision arbitrale. Une nouvelle sentence est alors intervenue condamnant cette fois-ci A à payer le prix de la marchandise à B. Dans l’intervalle, A demande aux juridictions françaises d’accorder l’exequatur à la première sentence lui donnant satisfaction bien que déjà annulée dans le pays du siège de l’arbitrage [ il faut noter que cette hypothèse correspond parfaitement à l’affaire Putrabali ]. Ici, nul doute que A obtiendra l’exequatur de la première sentence. B, quant à lui, serait prié de se plier à la décision du tribunal étatique qui accorde l’exequatur à une première décision arbitrale annulée tout en le refusant à une deuxième sentence quand bien même cette dernière serait validée par les juridictions du siège de l’arbitrage.
Il résulte de la confrontation de ces deux hypothèses que A peut, ou non, obtenir l’exequatur selon que la première sentence lui donne, on non, satisfaction (refus d’exequatur dans la première hypothèse ; exequatur dans la seconde). C’est une véritable loterie. Celui qui obtient satisfaction dans la première sentence est quasi-certain d’empocher la mise et ce bien que la seconde sentence soit de meilleure facture. La prévisibilité des solutions n’en sort pas grandie.
D’ailleurs, la jurisprudence américaine, peu soupçonnée de conservatisme en matière d’arbitrage international, refuse l’exécution de sentences annulées dans le pays du siège de l’arbitrage excepté le cas où les décisions étrangères d’annulation violeraient l’ordre public américain. C’est ce qu’a décidé La district Court du District de Columbia dans un arrêt du 17 mars 2006 . Il y a peut être là une solution raisonnable. L’exception d’ordre public remplira ainsi la fonction de filtre permettant de censurer les décisions étrangères d’annulation des sentences que le juge de l’exequatur tient pour régulières tout en évitant d’accorder un blanc-seing presque systématique indéniablement injustifiable aux décisions arbitrales étrangères annulées dans le pays du siège de l’arbitrage.