Le courage de la rigueur
Le déni continue. Il ne faudrait surtout pas confondre la « rigueur », avec de saines et justes économies, un gel des dépenses en valeur de € 1 milliard, une réallocation des crédits, les coups de pouce raisonnables et mesurés, le redressement, les efforts, ou mieux encore, le juste effort partagé, mot compte triple et joker. Il faudrait garder l’espoir. Cécile Duflot ministre de « l’Egalité des Territoires et du Logement » dont la méthode de travail est « l’écoute », veut faire « le grand Paris des habitants ». Ségolène Royal « souhaite très sincèrement à Claude Bartolone de réussir cette belle mission (la présidence de l’Assemblée Nationale), pour revivifier la démocratie au service du peuple français ». François Hollande est formel, « Les classes moyennes ne seront pas touchées par les mesures qui seront prises dans les prochains jours comme dans les prochaines semaines ». Le Président entend faire appel en priorité au « patriotisme de ceux qui ont reçu le plus comme cadeaux fiscaux, sans qu’il y ait une volonté de punir qui que ce soit, parce que nous avons besoin de tous ». Tout le monde retient son souffle et serre les fesses. « La raison se compose de vérités qu’il faut dire et de vérités qu’il faut taire » (Rivarol).
« In medio stat virtu / La vertu se tient au milieu et non aux extrêmes » ?[1] La formule, inscrite au frontispice du temple des Sept sages n’a pas porté chance à F.Bayrou. François Hollande s’est engagé à parvenir à l’équilibre global des recettes et des dépenses publiques (Etat, collectivités locales, sécurité sociale) en 2017… dans un siècle ! Le gouvernement a demandé à la Cour des comptes d’examiner l’état des comptes publics (Etat, collectivités locales, sécurité sociale). Jugement sans appel des « bœuf carottes » de la comptabilité publique, ce 2 juillet. Il faut trouver 33 milliards pour 2013. « Les déficits sont anciens. Ils concernent donc des gouvernements de droite comme de gauche. Notre pays a manqué gravement de constance dans l’effort, relâchant celui-ci dès que la conjoncture s’améliorait… Pour la santé, l’éducation, la formation professionnelle, par exemple, la France dépense bien plus que des pays dont les résultats, dans ces domaines, sont pourtant sensiblement meilleurs que les nôtres » (D Migaud). Dont acte.
La crise n’est pas soluble dans la novlangue technocrato-énarchic. Nier l’évidence, les « understatements » et la langue de bois sont des poisons qui minent la démocratie. La justice commence par la justesse des mots. Camus disait que mal employer les mots c’est ajouter à la misère du monde. Ayons au moins cette rigueur. Déjà, sous le quinquennat précédent le mot était tabou; nous avions une « politique rigoureuse » mais de « rigueur » jamais. Ne confondons pas « rigueur » et « rigorisme ». Est-il si imprononçable, si rude, si âpre, ce mot de "rigueur"? Ou est-ce la rigueur sans appel de la démonstration qui fait peur ? La méthode Coué, les incantations, et l’exorcisme, stade suprême de la politique ! Étonnant ce mal bien français de ne pas appeler un chat un chat, et l’Etat providence à la française une faillite. L’expression « langue de bois » nous vient des russes qui se moquaient de l’administration bureaucratique tsariste puis bolchevique (aujourd’hui poutinesque), et de sa « langue de chêne ». En France nous avons le Sapin; c’est plus tendre. Notre ministre du travail vient d’annoncer un coup de pouce de 2% dont 1,4% au titre de l’inflation, « substantiel pour les intéressés, sans déstabiliser le tissu économique de notre pays ». Il est bien court le temps des cerises… Rousseau prétendait que « La transparence est la vertu des belles âmes ». Mais Cassandre est morte d’avoir annoncé la vérité. La Grèce porte la poisse…
La rigueur du courage
La priorité est censée aller aux ministères de la Justice, de l’Education et de l’Intérieur. Too little too late ! [2] Notre Président se verrait bien en Roosevelt français, et sa compagne en pince pour Elaonor, une femme « libre » aux lointaines origines hollandaises. Pourquoi pas. Franklin Delano est l’homme du « New Deal », le chef d’orchestre de la victoire des alliés en 1945, un sage qui affirmait « Les livres sont la lumière qui guide la civilisation ». Mais le « vol des ancêtres » ne suffira pas. La différence entre un homme politique et un homme d’Etat, c’est que le second n’a pas peur d’ être impopulaire, et force son destin sans tergiverser. Le pays est prêt à accepter des efforts pour reconstruire l’avenir, pas à se saigner pour un sempiternel replâtrage démago-idéologique. Essayons d’éviter l’humiliation de la prescription d’huile de foie de morue (de ricin ou d’olives espagnoles) imposée par le FMI et les marchés. Un homme d’Etat, c’est surtout quelqu’un qui s’attelle aux vraies réformes, de structure, celles que ni N Sarkozy, ni personne avant lui, n’a eu le courage de mettre en place; la réforme de l’Etat et de la fonction publique, la réforme des collectivités territoriales (millefeuille ubuesque), la réforme du marché du travail. « Faites quelque chose et, si ça ne réussit pas, essayez autre chose » (F.D Roosevelt, 1939). Forza François !
En janvier 2008 la commission Attali « pour la libération de la croissance française » (inspirée par le comité Rueff- Armand et la Commission Sudreau) avait rendu un rapport œcuménique[3] très riche. 316 propositions, 20 décisions fondamentales répondant à 8 grandes ambitions, i.e. « Préparer la jeunesse à l’économie du savoir et de la prise de risque; Participer pleinement à la croissance mondiale et devenir champion de la nouvelle croissance; Améliorer la compétitivité des entreprises françaises, en particulier des PME; Construire une société de plein-emploi; Supprimer les rentes, réduire les privilèges et favoriser les mobilités; Créer de nouvelles sécurités à la mesure des instabilités croissantes ;Instaurer une nouvelle gouvernance au service de la croissance ». C’est toujours d’actualité. « Great minds discuss ideas. Average minds discuss events. Small minds discuss people » (Elaonor Roosevelt).
N. Sarkozy a abandonné en route, dans le col du Glandon, victime d’une défaillance électorale. Après le prologue calamiteux du Fouquet’s, dopé par des sondages bidons, il s’est échappé trop tard, n’avait pas les jambes, et s’est fait rattraper par un rouleur hollandais sorti de nul part. Le vrai « New Deal » français ce serait de remettre à plat les féodalités de tous ordres qui sclérosent et nécrosent le pays. Mission impossible? Necker et Calonne[4] ont échoué à redresser les finances de la Monarchie agonisante, le franc Poincaré a été rattrapé par la crise de 1929, P. Mendès France a parlé vrai, a tenu parole, mais n’a tenu que 9 mois (juin 54 – février 55). « Les mauvaises nouvelles sont fatales à celui qui les apporte » (Shakespeare, « Antoine et Cléopâtre »). Baudelaire, toujours lucide, est probablement dans le vrai : « Le monde ne marche que par le malentendu. C’est par le malentendu universel que tout le monde s’accorde. Car si, par malheur, on se comprenait on ne pourrait jamais s’accorder. » («Mon cœur mis à nu»).
Modes et travaux
Cet été les coupes courtes sont de rigueur : En short, en espadrilles, en goguette ou en Suisse, le contribuable profitera des soldes avant les frimas d’un hiver qui s’annonce rigoureux. Attention aux expositions fiscales prolongées, le bouclier écran total va disparaitre. Dans la collection « Automne-Hiver », la mode est au re-tricotage (retraite à 60 ans, jury populaire correctionnel, Ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante). Style patchwork de la loi de finance rectificative, pour rapiécer les grands manteaux élimés de la protection sociale. La tendance est aussi à l’unisexe, avec un nouveau plan favorisant l’égalité homme femme. Attention aux tenues trop aguicheuses, et aux (h)ardeurs mal maitrisées ; la prostitution et le harcèlement sexuel sont dans le colli-mateur. Anne Sinclair est nerveuse.
Sur le front fiscal : Exit le bouclier fiscal qui a coûté € 800 millions à l’Etat en 2011 et € 3 milliards depuis son entrée en vigueur, rétablissement de l’ISF, hausse des droits de succession, et taxation des dividendes à 3% dès cette année. « Retour des Class actions » : Reprenant une promesse électorale, la Garde des Sceaux C Taubira, souhaite que certains groupes de justiciables puissent se défendre grâce à des « actions de groupes ». Le périmètre de ces actions qui n’enchantent guères le MEDEF, pourrait être limité aux petits litiges et au droit de la consommation. Les lobbyistes sont à pieds d’œuvre. Chômage et « Pôle Emploi » : Contre le fléau du chômage qui monte, la riposte s’organise. Le conseil d’administration de PE vient d’entériner le « Plan stratégique 2015 ». Le “suivi mensuel personnalisé », (un entretien tous les mois pour toutes les personnes inscrites au chômage depuis plus de quatre mois), va être remplacé par le « suivi différencié ». Les outils mis à disposition du conseiller « s’appuieront par exemple sur l’état du marché du travail local ». Si l’on en croit certains stratèges de PE, « Ce management par la performance est probablement la transformation la plus profonde de ce plan stratégique. Longtemps, les agents ont été uniquement évalués sur leur capacité à réaliser des actes, sans que l’efficacité de ceux-ci ne soit évaluée ». Le taux de chômage au sein de « Pôle Emploi » devrait se stabiliser.
« Et toujours en été… »
L’été, la saison des mots croisés, du « Trivial Pursuit », et des discussions familiales, après la Biafine et avant la tisane. Le saviez-vous? En 1806, le royaume de Hollande confié à Louis Bonaparte succède à la République batave. C’est la seule occasion où le terme « Hollande » fut utilisé officiellement pour désigner l’ensemble des Pays-Bas. A ne pas confondre avec la « hollande » une toile très fine et très serrée, mais aussi une espèce de groseilles (des bois… ?) et de pomme de terre, grosse et farineuse. Le « hollande », ou « papier hollande », est un papier de luxe fort et vergé, utilisé pour certaines éditions à tirage limité, composé de pâte chimique de bois et d’un peu de pâte de chiffon. Hugh Holland était un libraire anglais auteur du « Monumenta sepulchralia Sancti Pauli » (Londres, 1614). Rien à voir avec Sir Henri Holland, célèbre médecin aliéniste anglais du 19ème s, ou Elihu Holland, écrivain et juriste américain, à qui l’on doit « L’existence de Dieu et l’immortalité humaine » (1846). « Hollander » est une technique bien connue de Jérôme Cahuzac, ministre du Budget. Elle consiste à « Passer les plumes d’oie à écrire dans la cendre chaude ou dans une lessive, pour les dépouiller d’une pellicule grasse qui empêcherait l’encre (et le liquide) de couler ».
Ni libraire, ni médecin, ni capitaine de pédalo, ni capitaine de Concordia, François Hollande est un nouveau capitaine Nemo. Ulysse, pour échapper au cyclope Polyphème, s’était donné un faux nom, « Nemo » en latin [5], c’est-à-dire « Personne ». François Hollande, lisse et rose comme Barbapapa, polymorphe, ordinaire, normal, passe partout, passe muraille, est un magicien, son nom est «personne»…. « Vingt Mille Lieux lieues sous les mers », le Nautilus, et une devise mystérieuse, « Mobilis in mobile »[6] (« Mobile dans l’élément mobile »). Cette devise permettra au capitaine Hollande de déjouer les pièges d’un été meurtrier, et triompher des obstacles les plus redoutables ; les requins et les poulpes géants de la finance internationale, les "Charydbe et Scylla" (FF et JFC) de l’UMP, ou les Castafiores du PS.
Pour conclure sur une note de saison, avant de vous retrouver bronzés et zen à la rentrée, fidèles lecteurs de La Revue, une chanson du grand Nino Ferrer :
« C’est un endroit qui ressemble à la Louisiane/ A l’Italie/ Il y’a du linge étendu sur la terrasse/ Et c’est joli;
On dirait le Sud/ Le temps dure longtemps/ Et la vie sûrement /Plus d’un million d’années/ Et toujours en été;
Y’a plein d’enfants qui se roulent sur la pelouse/ Y’a plein de chiens/ Y’a même un chat, une tortue, des poissons rouges/ Il ne manque de rien;
On dirait le Sud/ Le temps dure longtemps/ Et la vie sûrement/ Plus d’un million d’années/ Et toujours en été;.
Un jour ou l’autre, il faudra qu’il y ait la guerre/ On le sait bien/ On aime pas ça, mais on ne sait pas quoi faire/ On dit : c’est le destin;
Tant pis pour le Sud/ C’était pourtant bien/ On aurait pu vivre/ Plus d’un million d’années/ Et toujours en été » (Nino Ferrer, « Le Sud », 1975).
L’été, le sud et la mer. « La mer est tout! C’est l’immense désert où l’homme n’est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés. Là est la suprême tranquillité. La mer n’appartient pas aux despotes. Là seulement est l’indépendance! Là je ne reconnais pas de maîtres! Là je suis libre! » (J.Vernes, 1869). C’était avant les mangas, les tablettes numériques et les tweets. C’était pourtant bien. Le soir, on lisait encore « Vingt Mille Lieux lieues sous les mers », pour prolonger les baignades, avant que les yeux ne se ferment si vite que…"je n’avais pas le temps de me dire: Je m’endors". Jules Vernes, Marcel Proust, l’art français de naguère…
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[1] Du grec « kentron » puis du latin « centrum » signifiant respectivement « aiguillon » et « pointe sèche d’un compas ».
[2] Voir «Marginalia» no 13, Moi François H… (mai 2012)
[3] « Le moment est venu…Ceci n’est ni un rapport, ni une étude, mais un mode d’emploi pour les réformes urgentes et fondatrices. Il n’est ni partisan, ni bipartisan : il est non partisan. Ceci n’est pas non plus un inventaire dans lequel un gouvernement pourrait picorer à sa guise, et moins encore un concours d’idées originales condamnées à rester marginales. C’est un ensemble cohérent, dont chaque pièce est articulée avec les autres, dont chaque élément constitue la clé de la réussite du tout » (Introduction des propositions de la commission Attali).
[4] En août 1786, Calonne a adressé à Louis XVI le « Précis d’un plan d’amélioration des finances » dans lequel il proposait de « revivifier l’État entier par la refonte de tout ce qu’il y a de vicieux dans sa constitution » ; à savoir notamment ; la suppression des douanes intérieures et des traites, la réduction de la taille, le remplacement des corvées par une prestation en argent, la transformation de la Caisse d’escompte en une banque d’État et la création de nouveaux impôts en taxant les propriétés de la noblesse et du clergé. D Migaud doit connaitre ce rapport, plus ça change….
[5] « Oudéis » en grec.
[6] Pour les latinistes vétilleux, la formule exacte est Mobilis in Mobili puisque les adjectifs en "bilis" ne sont pas de ceux qui admettent la double terminaison à l’ablatif.