Après des mois de discussions, les membres du gouvernement français et la Commission européenne ont annoncé le 7 novembre dernier qu’ils avaient jeté les bases d’un accord global sur l’ouverture du marché français des paris en ligne, concernant d’une part les courses de chevaux (jusqu’à présent chasse gardée du PMU) et d’autre part les autres sports, jusqu’alors secteur réservé à la Française des jeux (« FDJ »). Aussi importante que cette annonce puisse paraître, elle ne constitue pas une surprise du tout. Il semblerait même que les dés étaient jetés depuis quelques temps déjà.

Premièrement, les gouvernements français successifs ont progressivement pris conscience depuis le début des années 2000 que le cadre réglementaire était de plus en plus controversé. Cette situation a fait couler beaucoup d’encre, notamment depuis l’arrêt Placanica de la CJCE en mars 2007, commenté dans La Revue n° 124 et sur lequel nous ne reviendrons pas ici.

Deuxièmement, le 10 juillet dernier la Cour de cassation a rendu un arrêt qui a renversé la position traditionnelle des tribunaux français, laquelle consistait à reconnaître la conformité du régime monopolistique français avec les critères posés par l’arrêt Gambelli (confirmé par Placanica). Depuis lors, les experts ont senti que la partie était terminée pour les monopoles français, ainsi que l’annonçait notre associé Carl Rohsler (voir "A Londres une équipe dédiée au sponsoring sportif…" dans un article du World Online Gambling Law Report .
Pourtant, ce récent changement de cap, sans précédent, a été quelque peu soudain. Le modèle français vieux de plusieurs dizaines d’années, n’avait pas jusqu’ici suscité de controverses. L’avènement d’Internet, combiné à la poussée de l’harmonisation et de la libéralisation communautaires, ont changé sa destinée. Tout d’abord, penchons-nous sur l’historique de la mise en place de ce cadre réglementaire. Le mois prochain, nous évoquerons la transformation de cette industrie en pleine expansion en France.

Dans la Grèce Antique, Platon écrivait : « On peut en apprendre plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation. » En observant notre société moderne, de Las Vegas aux cyber-tournois de poker, sans oublier la frénésie des paris durant les grandes compétitions sportives comme la coupe du monde FIFA, force est de reconnaître que jouer est intrinsèque à la nature humaine.

Les premiers paris sportifs concernaient les courses à cheval. L’Angleterre, du temps de Richard Cœur de Lion, inaugura l’ère moderne de ces courses, qui puisaient leur origine dans les vastes steppes d’Asie centrale, et, en Europe, dans les Jeux Olympiques en Grèce puis plus tard dans le plus grand monument jamais construit pour les courses de chevaux, l’hippodrome de Rome. La foire de Chester de 1512 est la première course de chevaux mentionnée dans les archives outre-manche. A partir de la moitié du 16ème siècle, les courses de fond gagnent en popularité, comme la course d’Epsom, qui demeure aujourd’hui encore une date majeure du calendrier hippique.

Alors que les paris sur les chevaux se généralisent, et que d’autres formes de jeux comme les tombolas et les foires de rue se développent, le besoin d’encadrement se fait sentir et Henry VIII instaure la première loi pour réglementer les paris sur les courses de chevaux organisées pendant les foires. A la même époque en France, la principale forme de jeux est tout autre : il s’agit des loteries, qui sont organisées à l’occasion de foires de village, généralement peu encadrées et aux règles parfois troubles, voire même douteuses. Le Roi François 1er, décriant leurs organisateurs comme n’étant que des « charlatans », promulgue à Chateauregnard un édit pour réglementer les loteries, bien que ce texte ne s’applique qu’à la Cité de Paris.

La France accuse du retard en matière de sport équestre, pourtant ses cavaliers s’illustrent sur les champs de bataille et y acquièrent une solide réputation à travers le continent tout au long des 17ème et 18ème siècles. Mais, dans les courses équestres, les jockeys français réalisent souvent de piètres performances.

Louis XVI fait organiser entre seigneurs les premiers duels avec « pari disputé » sur de longs parcours à travers champs et la première grande course internationale voit le jour sur le sol français, dans un contexte d’ « anglomanie » croissant, où de nouvelles compétitions avec grosses dotations s’organisent progressivement, comme la course de Vincennes.

Alors que l’empereur Napoléon 1er encourage les parades militaires et toutes formes de compétitions équestres à caractère militaire, il fait interdire les paris sur les courses de chevaux. Mais à la restauration de la Monarchie, Charles X, un parieur invétéré, autorise de tels paris, fonde le Prix du roi en 1824 et encourage la création d’autres courses. En 1834, le Comité du Cercle est créé pour « encourager l’amélioration de la race équine parmi les cercles anglophiles et aristocratiques de Paris ».

Les paris à la cote et les paris mutualisés gagnent rapidement en popularité, mais les paris ne portant pas sur les courses de chevaux sont interdits en 1836 de même que d’autres types de jeux et loteries. Cette loi, toujours en vigueur, constitue aujourd’hui encore l’instrument juridique qui prohibe l’entrée des acteurs privés sur le marché des paris en France. Cependant, cette interdiction ne vise pas les paris sur les compétitions hippiques et au cours du 19ème siècle le sport équestre français connaît un essor remarqué, avec l’inauguration d’hippodromes à Longchamp, Deauville et Auteuil, qui sont demeurés trois grands hippodromes de renom.

Dans les années 1870, le mot « bookmaker » fait son apparition dans le dictionnaire et les autorités constatent que les paris sportifs « de poule » (de l’anglais « pool ») se développent. Des jeux qui laissent une place majeure au hasard car le parieur ne connaît pas par avance son gain potentiel. Pourtant, le 2 juin 1891, le Parlement fait interdire les paris à la cote, une activité qui était devenue « monopolisée », pour ainsi dire, par les bookmakers privés ; cependant, les paris mutualisés sont autorisés, sous l’égide et le contrôle du ministère de l’Agriculture.

Aux termes de la loi de 1891, seules les associations agréées (les sociétés de course) auprès du ministère de l’Agriculture sont autorisées à organiser des compétitions sportives. Il existe actuellement 172 sociétés de course ; elles étaient plus nombreuses il y a encore quelques années, mais trop d’organisateurs de courses perdaient de l’argent et les autorités hippiques ont donc accepté de laisser le gouvernement réduire le nombre d’agréments.

Ces associations sont désormais regroupées en un groupement d’intérêt économique ou GIE (le PMU) qui fonctionne comme une entreprise, mais dont la fonction est à but caritatif. Les sociétés sont chargées de réglementer le secteur des compétitions hippiques, et de redistribuer les profits jusqu’à la base de ce sport, par le biais des sociétés de courses. Fondé en 1920, le PMU a fait depuis lors l’objet de plusieurs réformes. Son régime actuel est défini par un décret de 1997 modifié en 2002, et relève de la compétence de non moins de quatre ministères (Agriculture, Finances, Budget, Intérieur) et le Trésor Public, qui récupère une partie substantielle de la marge dégagée. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains observateurs ont, à juste titre, décrit ce modèle comme un monopole étatique.

Le monopole de la FDJ s’est construit différemment. Le postulat général est que l’organisation de jeux de hasard est interdite en France depuis 1836, excepté pour les loteries de faible montant et les tombolas. En 1933, une loi autorise toutefois le gouvernement, par dérogation à l’interdiction de l’article premier de la loi du 21 mai 1836, à organiser une loterie. La Loterie Nationale voit donc le jour dans une mouvance de solidarité nationale suite à la Grande Dépression, sentiment qui s’accentue après-Guerre, et ce grand jeu de hasard développe ainsi pour vocation (partielle) l’aide non seulement aux victimes de guerre mais aussi à la « France d’en-bas » (déjà), comme par exemple les agriculteurs en proie à des difficultés.

Si la Loterie Nationale en tant que tel disparaît en 1989, d’autres formes de jeux d’argent ou de hasard sont lancées. La FDJ est une SA dont l’Etat est actionnaire à 72%, la poignée d’autres heureux actionnaires étant composée d’un mélange d’organisations non lucratives et d’entreprises privées telle IDSUD SA, l’actionnaire privé le plus important de la FDJ avec 2.6% des actions, qui perçoit à chaque exercice une véritable manne financière sous forme de dividendes (6 millions d’euros en 2006). Néanmoins, quelle que soit l’identité des actionnaires minoritaires, l’Etat a clairement un contrôle quasi-total, et le président de la République lui-même nomme le Président – Directeur Général.

En 2001, la FDJ et le PMU ont reçu des autorisations gouvernementales pour s’ouvrir aux sirènes de l’Internet et sa foule de cyber-parieurs, esquissant les prémisses d’un nouveau régime sur les paris en ligne. La réflexion sur l’évolution de ce secteur d’activité s’inscrit dans un débat sur la manière de contrôler le vaste monde d’Internet, dont les frontières ne coïncident pas avec celles de l’Espace Schengen.

Ainsi que nous l’avons vu, le modèle français est ancré dans l’histoire et la tradition, puisant ses racines dans le milieu du 19ème siècle. Il semble que les autorités communautaires n’ont pas été sensibles au fondement historique du modèle français ; s’il importe à l’Etat français d’exercer son rôle de régulateur des activités de jeux et de protection de l’intérêt général, il importe tout autant à la Commission européenne d’assurer une application uniforme du droit communautaire.

Les choses de sont accélérées ces derniers temps, et la justice française pourrait sonner le glas du monopole de la FDJ. En effet, le Parquet de Nanterre avait mis en examen M. Didier Dewin, ex-PDG d’Unibet (société de paris en ligne basée à Malte et cotée en Suède) le 16 avril 2007, pour « loterie illicite » et « prise illicite de paris clandestins sur les courses de chevaux », après deux plaintes déposées par la FDJ et le PMU pour « atteinte au monopole ». En appel, M.Derwin réclamait l’annulation de sa mise en examen et des charges retenues contre lui. Or, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Versailles a considéré qu’elle ne pouvait se prononcer « en l’état des éléments du dossier », et a chargé un magistrat d’enquêter sur plusieurs points pour lui permettre d’apprécier la conformité de la loi française avec le droit communautaire. L’arrêt précise que le magistrat pourra « entendre tout responsable des ministères compétents, apte à fournir les justifications que le gouvernement français entend développer au soutien de sa position au cours des discussions entreprises avec la Commission européenne. »

Juridiquement, il s’agit de déterminer si les dispositions de la législation française contenues dans les articles 1er et 3 de la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries, deux alinéas 1er et 3 de la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard et quatre de la loi du 2 juin 1891 sont conformes aux principes posés par les articles 43 et 49 du Traité CE. Cette interrogation sur la légalité du modèle français fait suite au désormais célèbre arrêt Zeturf de la Cour de cassation du 10 juillet dernier (mentionné ci-dessus) mettant en doute la conformité des dispositions de la loi française au droit communautaire.

Le mois prochain, nous explorerons comment le déplacement vers Internet des activités de paris sportifs, ajouté aux pressions des autorités communautaires, ont contribué à générer, de manière relativement soudaine, une révolution imminente, patente, après pourtant des dizaines d’années de régime monopolistique sans contestation particulière. C’est donc avec un grand intérêt que nous suivrons l’élaboration d’un nouveau régime de paris en ligne et d’ailleurs à ce sujet, aux dernières nouvelles, une annonce est attendue de la part de la délégation française, M. Eric Woerth en tête, et des services du Commissaire M. Charlie McGreevy.