Nous étions dubitatifs face à ce qui risquait de porter un nouveau coup à la règle, pourtant si judicieuse, de l’article 1134 du Code civil qui consacre en deux petites phrases : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi entre ceux qui les ont faites (…) Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

Et bien, nos craintes étaient fondées….

En effet, par un arrêt du 20 décembre 2006, la chambre sociale de la Cour de cassation a décidé de manière on ne peut plus claire qu’une clause dite « de concurrence ( !) » (que nous nommerions plutôt « de loyauté post-contractuelle » ou « de non-sollicitation de clientèle ») par laquelle le salarié a interdiction, après la rupture du contrat de travail, de travailler avec la clientèle de son ancien employeur, (ce qui limite nécessairement la liberté de travail du salarié), doit, pour être valable, être assortie d’une contrepartie financière ou, à défaut ouvre droit pour le salarié qui l’a respectée, à une indemnisation, souverainement appréciée par les juges du fond.

En l’espèce, la clause interdisait au salarié, après la fin de son contrat, de se substituer à son employeur dans les marchés qu’il avait traités pour celui-ci, dans un rayon de 130 kilomètres et ce durant 2 années.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel pour avoir considéré que la clause litigieuse constituait une atteinte certaine et importante à la liberté de travail du salarié, qu’elle avait limité ses possibilités de retrouver un emploi « sur place » et pour avoir souverainement fixé le montant de l’indemnisation…

En l’espèce, l’employeur s’est vu condamnée à verser 30 000 € d’indemnisation, (pour une interdiction de 2 ans). Sachant qu’en matière de contrepartie financière de la clause de non-concurrence, de nombreuses conventions collectives fixent le montant de la contrepartie à 33 %, voire à 50%, du salaire mensuel. La somme allouée ici est donc loin d’être négligeable.

Que conclure alors ?

Employeurs qui embauchez un salarié, sachez que si vous le motivez, le formez et que vous contribuez ainsi, en favorisant ses contacts avec vos clients et vos prospects, à ce qu’il devienne un professionnel reconnu et apprécié dans son métier, vous serez sans doute, tel César avec Brutus, en train de nourrir celui qui, une fois parti vers d’autres horizons professionnels, vous remerciera en s’accaparant le carnet de relations que vous lui avez confié.

A moins que, en dépit de ses engagements contractuels envers vous, vous n’acceptiez finalement de mettre votre bon droit en berne et ne lui promettiez beaucoup d’argent, pour vous faire pardonner de l’avoir présenté à vos clients et de ne pas avoir accepté qu’il les détourne après son départ à son profit ou celui d’un de vos concurrents !

Mais surtout, ne lui en tenez pas rigueur ! Il n’y est pour rien, même s’il s’était engagé envers vous lors de la conclusion du contrat! C’est la Cour de cassation qui lui a dit que c’était son droit.

Et le respect de son engagement pris au titre de l’article 1134 du Code civil dans tout ceci ? Bof, ce n’est qu’un vieux truc qui date de Napoléon de toute façon ! Ne soyez donc pas si rétrograde et nostalgique !

Plus sérieusement, chaque employeur doit s’interroger sur l’importance qu’il accorde à l’engagement de « non-sollicitation » de clientèle post-contractuelle lors de la conclusion d’un contrat, en s’abstenant d’en prévoir ou en se réservant des possibilités de renonciation dès la fin du contrat ou en veillant à les rémunérer (en utilisant probablement comme point de référence les contreparties financières utilisées en matière de clause de non-concurrence).

Pour les contrats déjà en cours, il faudra manifestement recourir à des avenants, puisque, dès lors qu’une contrepartie financière est désormais obligatoire, la clause ne pourrait pas être supprimée sans l’accord du salarié, qui peut (comme dans le cas des clauses de non-concurrences rémunérées) avoir intérêt à ce qu’elle s’applique.

Quand la chambre sociale de la Cour de cassation cessera-t-elle de se prendre pour le législateur ?