On connaissait le contrôle a priori de la constitutionnalité des lois. On l’a critiqué. Mais nouveau et très révolutionnaire est le contrôle a posteriori de constitutionnalité. On l’attendait tous. Étrangement, on soupçonne la Cour de Cassation de l’enterrer… Que lui reproche-t-elle vraiment ?
Le contrôle de constitutionnalité est un contrôle juridictionnel, exercé par le Conseil Constitutionnel, pour s’assurer que les règles de droit respectent la Constitution, qui est placée au sommet de la hiérarchie des normes. Cette saisine est limitée car elle ne peut être exercée que par un nombre limité de personnes : le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs (art 61 de la Constitution) et seulement entre l’adoption de la loi et sa promulgation.
La réforme constitutionnelle de 2008, entrée en vigueur le 1er mars 2010 et consacrée à l’article 61-1 de la Constitution est une révolution. Elle institue un contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois en permettant à tout justiciable ayant un doute sur la conformité d’une disposition législative aux « droits et libertés que la Constitution garantit », lors d’une instance en cours, de poser une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Même si les termes de la réforme peuvent inciter à le croire, la réforme ne crée pas une véritable actio populum, permettant à tout citoyen, de saisir sans condition, le Conseil Constitutionnel.
En effet, un système de double filtrage a été instauré : la demande doit être adressée au juge de l’instance en cours (aussi bien aux juges du fond qu’au juge d’appel ; devant les juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif) ; qui la transmettra pour un deuxième filtrage à la juridiction suprême (Cour de Cassation ou Conseil d’État).
C’est donc le Conseil d’État ou la Cour de Cassation qui a in fine le pouvoir de saisir le Conseil Constitutionnel. Les juges de Cassation et ceux du Conseil d’État sont ainsi érigés en juge de la constitutionnalité des lois.
C’est sur eux que repose la mise en route et la bonne marche de cette réforme qui se veut prometteuse et qui consacre d’une certaine manière l’égalité de tous les citoyens. En effet, désormais, nul besoin d’être Président de la République, Premier Ministre, président de l’une des deux chambres parlementaire, ou parlementaire pour soulever la non-conformité d’une loi à la Constitution.
De plus ce contrôle peut intervenir à tout moment : il n’est pas enfermé dans des limites de temps. La question doit simplement être soulevée lors d’une instance en cours devant une juridiction relevant de la Cour de Cassation ou du Conseil d’État (ce qui exclu a priori que la question soit soulevée devant un tribunal arbitral ou une autorité administrative indépendante).
Les principaux problèmes du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois semblent résolus. Néanmoins, de nouveaux problèmes surgissent aussitôt.
Alors que le 14 avril 2010, le Conseil d’État a renvoyé au Conseil Constitutionnel les trois premiers dossiers sur lesquels celui-ci aura à se prononcer, la Cour de Cassation, statuant sur la transmission au Conseil Constitutionnel d’une QPC reçue le 28 mars, a décidé de saisir la CJUE d’une question préjudicielle de la conformité au droit de l’Union Européenne du caractère prioritaire de la question de constitutionnalité.
Les faits sont simples : le préfet du Nord a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de maintien en rétention à un ressortissant algérien qui était en situation irrégulière en France et qui a fait l’objet d’un contrôle de police par application de l’article 78-2 alinéa 4 du Code de Procédure Pénale.
Le juge des libertés et de la détention, saisi du problème de la régularité de la demande de prolongation de la détention, a transmis une QPC à la Cour de Cassation, celle de la conformité du contrôle de l’identité des personnes en zone frontalière à l’article 88-1 de la Constitution.
La Haute juridiction a instrumentalisé cette affaire en posant à son tour une question préjudicielle, non pas comme prévu par la réforme au Conseil Constitutionnel, mais à la CJUE. La Cour de cassation s’interroge sur la conformité de la loi organique du 10 décembre 2009 qui prévoit un ordre d’examen des questions en cas d’invocation simultanée de la Constitution et d’une convention internationale, en donnant un caractère prioritaire à l’examen de la constitutionnalité de la disposition invoquée, au regard du doit de l’Union Européenne.
La Cour de Cassation estime que « les juridictions du fond se voient privées, par l’effet de la loi organique du 10 décembre 2009, de la possibilité de poser une question préjudicielle à la CJUE avant de transmettre la question constitutionnelle ».
Selon la Cour de Cassation, il existe un risque que les juridictions du fond ne puissent plus saisir la CJUE dans le cas où le Conseil Constitutionnel déclarerait un texte « conforme au droit de l’Union Européenne ».
Mais depuis quand le Conseil Constitutionnel exerce-t-il un contrôle de conventionalité ? Il est clairement admis, que le Conseil Constitutionnel refuse d’examiner, lorsqu’il est saisi par application de l’article 61 de la Constitution, la conformité de la loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international » (Décision du Conseil Constitutionnel dite IVG du 15 janvier 1975). Alors pourquoi opèrerait-il ce type de contrôle dans le cadre de l’article 61-1 de la Constitution ?
Ces deux contrôles sont d’une nature différente et ont un résultat différent. Le contrôle de conventionalité coexiste avec celui de constitutionnalité, et ce dernier ne prétend pas phagocyter celui-ci.
Il est permis de s’interroger sur les raisons qui sous-tendent la démarche provocatrice de la Cour de Cassation…Une chose est certaine, c’est que la décision de la CJUE est attendue avec impatience.
Il est à noter cependant, que la Cour de Cassation a transmis trois QPC au Conseil Constitutionnel le 10 mai dernier. Deux concernent la conformité de l’article L7 du Code électoral à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), et la dernière est relative à la conformité de différents articles du Code de la Sécurité Sociale aux dispositions de la DDHC.