Dans un arrêt en date du 7 mars 2018, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que la vente d’un téléphone mobile à un prix préférentiel, associée à la souscription à un forfait téléphonique avec une période d’engagement s’analysait en une opération de crédit à la consommation.
Les faits
Cass. Com. 7 mars 2018, n°16-16.645
Afin de fidéliser leur clientèle, certains opérateurs téléphoniques proposent l’acquisition d’un téléphone mobile à un prix préférentiel, voire dans certain cas au prix symbolique d’un euro, en contrepartie de la souscription à un abonnement avec un engagement sur 12 ou 24 mois.
Cette pratique a été dénoncée par un opérateur de télécom, celui-ci faisant valoir que si le prix de l’abonnement correspondait aux services de téléphonie mobile, il inclurait également, en pratique, le paiement échelonné du téléphone mobile. Pour l’opérateur, le téléphone ne serait pas payé comptant lors de la souscription de l’opération – seule une faible part du prix étant payée – et le différentiel restant dû serait inclus dans le montant de l’abonnement dont le paiement est échelonné, de sorte qu’il s’agirait d’une vente dont le prix serait étalé dans le temps, constitutif d’une opération de crédit.
Partant de ce postulat, l’opérateur de télécom reprochait à l’un de ses concurrent de méconnaitre les informations précontractuelles et contractuelles requises[1], et d’être déloyal à l’égard des consommateurs à qui la réalité du crédit était dissimulée.
Le texte
L’article L311-1 6°[2] du Code de la consommation définit une « Opération ou contrat de crédit » comme, « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit, relevant du champ d’application du présent titre, sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture ».
La position de la Cour d’appel de Paris
La Cour d’appel de Paris[3]a considéré que les conditions nécessaires à la qualification d’opération de crédit n’étaient pas réunies en pratique, et notamment que :
- la vente du téléphone et la souscription à l’abonnement étaient deux contrats relevant de conditions générales distinctes ;
- l’opération en cause devait être qualifiée de « contrat de fourniture de service ou de bien à exécution successive de même nature aux termes duquel l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture » ; expressément exclus du champ d’application de la réglementation relative au crédit (voir ci-dessus) ; Que le prix du téléphone était payé comptant à la livraison et qu’il n’existait aucun engagement de payer à terme la totalité ou une partie du prix ;
- lors du paiement du prix convenu, la propriété du téléphone est transférée au consommateur et ne dépend donc pas du paiement des échéances mensuelles du forfait, et qu’en cas de défaut de paiement, aucune restitution du téléphone n’est envisagée ;
- il n’était pas démontré que le prix de l’abonnement était corrélé à celui du terminal mobile ;
- la survenance d’événements susceptibles d’affecter l’exécution du contrat d’abonnement (rétractation, chômage, ouverture d’une procédure collective, surendettement, hospitalisations, incarcération, déménagement, force majeure, augmentation de tarif en cours d’exécution, changement de forfait dès quatre mois après l’achat du mobile) était imprévisible, de sorte qu’à la date de la formation du contrat, la durée réelle d’engagement du consommateur n’était pas connue et, partant, le montant de l’avance sur le prix qu’aurait consentie le vendeur était indéterminé,
- l’obligation de remboursement, inhérente à toute opération de crédit, n’existait pas ou qu’à tout le moins, l’aléa quant au montant de la somme avancée exclut la qualification de contrat de crédit.
La position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel de Paris. Elle estime que la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision en se déterminant, par des motifs impropres à exclure la qualification d’opération de crédit.
Ainsi, la Cour de cassation :
- reproche à la Cour d’Appel de ne pas avoir recherché si le report du prix du mobile sur le prix de l’abonnement n’était pas établi par le fait que la majoration mensuelle du forfait imposée au consommateur est concomitante à la réduction substantielle du prix du mobile, qu’aucune autre explication rationnelle ne justifie ;
- rappelle également qu’une opération de crédit n’est pas incompatible avec le transfert immédiat de la propriété du bien financé à l’emprunteur ;
- conclut que « si sont exclues de la réglementation du crédit les opérations à exécution successive par lesquelles le consommateur règle de façon échelonnée un bien ou un service qui lui est fourni, et ce pendant toute la durée de la fourniture dudit bien ou dudit service, tel n’est pas le cas de l’hypothèse envisagée d’une opération consistant à livrer un produit dont le prix est payé par des versements échelonnés, intégrés chaque mois dans la redevance d’un abonnement souscrit pour un service associé ».
Si cette position est confirmée, elle remettra en cause le modèle de financement d’une technologie couteuse mais dont le grand public ne peut désormais plus se passer. Dans ce cas, ce modèle devra être repensé et formalisé et l’achat d’un téléphone deviendra plus complexe.