Souhaitant profiter de la place laissée vacante sur les maillots de l’équipe de football de l’AS Monaco, la société autrichienne de paris sportifs en ligne « Bwin » (anciennement « Bet and Win ») avait conclu un contrat de « sponsoring » avec le club monégasque. Le 15 septembre dernier, alors que les deux co-dirigeants de Bwin s’apprêtaient à participer à la conférence de presse organisée par le club à La Turbie, ils ont été interpellés et placés en garde à vue à Nice. La police a agi au titre d’une commission rogatoire d’un juge d’instruction de Nanterre qui instruit un dossier faisant suite à une plainte contre X déposée par la Française des Jeux (FDJ) pour « tenue illicite de jeux de hasard, loterie illicite et publicité de loterie prohibée » suivie par le Pari Mutuel Urbain (PMU) pour « prise de paris illicite sur les courses de chevaux« . Mis en examen pour « atteinte au monopole en matière de pronostic de course hippique, autres évènements sportifs et loterie« , ils ont été libérés moyennant une caution de 300.000 euro chacun et restent soumis à un contrôle judiciaire. Ils encourent trois ans de prison ferme et une amende de 45.000 euro.

Cet événement a été largement relayé par la presse grand public, où les questions liées au régime juridique des sociétés et des activités de paris en ligne ont été débattues avec passion, l’occasion pour nous de faire un point sur l’actualité juridique en cette matière sur laquelle nous sommes régulièrement consultés.

Situations variées en Europe.

En Europe, certains États et territoires autorisent la prise de paris sportifs sur l’Internet et l’établissement de casinos virtuels. C’est le cas de Malte et de Chypre, membres de l’Union européenne depuis le 1er mai 2004, mais aussi des Pays-Bas (commercialisation des services uniquement sur le territoire national) et surtout des territoires comme Gibraltar, l’île de Man et l’île d’Alderney (au nord est de Guernsey). Ces territoires, qui ont parfois mis en place un véritable système de licences et institué des commissions de contrôle attentives sur les enquêtes de moralité, rassemblent aujourd’hui un grand nombre de prestataires en Europe.

Le Royaume-Uni autorise ses bookmakers à prendre des paris sur l’Internet depuis 2004. Le « Gambling Act », adopté en avril 2005 mais qui ne rentrera en vigueur qu’en 2007 (voir encadré ci-dessous), permettra de mettre en place un régime d’autorisation pour tous les jeux interactifs.

Cependant, la plupart des États européens interdisent les activités de paris en ligne, sauf au profit de certains établissements dûment autorisés par la loi et jouissant à ce titre d’un monopole d’État. C’est le cas de l’Allemagne, du Danemark, de la Finlande, de la Suède…

En France: un système dérogatoire et monopolistique

La France fait partie de ceux-là. Ainsi, les loteries relèvent d’un monopole d’État confié en 1931 à la Loterie Nationale, devenue la Française des Jeux, par dérogation à la loi du 21 mai 1836 qui interdit les « loteries de toute espèce« . La prise de paris sur les courses de chevaux est réservée depuis la loi du 8 juin 1891 au PMU (cette loi a été étendue par la suite aux courses de lévriers). Hormis les paris hippiques (et ceux portant sur les courses de lévriers), les partis sportifs sont assimilés aux loteries, et relèvent donc du monopole de la FDJ.

Le marché de la prise de paris sportifs repose donc en France sur un système dérogatoire et monopolistique. En outre, il n’est pas davantage permis d’offrir en France des services de paris en ligne depuis l’étranger (la loi pénale française s’applique) ou de réaliser en France des opérations promotionnelles ou publicitaires pour des services étrangers.

De nombreuses sociétés ont dû fermer leur établissement ou cesser leur activité en France par décision judiciaire. Ainsi par exemple, la Cour de cassation a condamné en 1997 un bookmaker établi à Guernsey et à Londres qui avait organisé un concours de pronostic sur les résultats du Tour de France et avait adressé 900.000 bulletins en France à cet effet. Cette condamnation avait suivi de peu celle d’une société éditrice d’un service minitel qui proposait via un serveur 36.15 des jeux de hasard comme la roulette ou le poker .

Plus récemment , la Cour d’appel de Paris confirmait un jugement ordonnant la fermeture d’un site Internet de paris hippiques accessible en France. Le PMU avait peu apprécié de voir ce site, installé à Gibraltar, offrir en français des informations et des services de prise de paris concernant des courses hippiques tenues en France.

La réglementation française, comme d’ailleurs un grand nombre de législations nationales en Europe, est aujourd’hui de plus en plus contestée: d’une part par les nombreuses entreprises établies à l’étranger qui souhaitent proposer leur service en ligne en France, d’autre part par le législateur communautaire.

Politique de canalisation du jeu

Ces monopoles d’État semblent en effet contraires au principe communautaire de libre prestation de services. L’article 49 du traité de Rome ne permet de restrictions à ce principe que dans le souci de sauvegarder l’ordre public. Il s’agit en particulier de permettre aux États non seulement de lutter contre les délits et les fraudes mais aussi de limiter les occasions de jeu.

Dans le célèbre avis « Gambelli » , la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a dégagé le principe suivant: une entreprise de prise de paris sportif établi dans l’Union doit être autorisée à offrir ses services en libre prestation sur le territoire d’un autre État membre si (i) il est soumis à un régime de licence et de contrôle sérieux dans son pays d’origine et si (ii) l’État membre qui se plaint de cette offre ne mène pas de politique de canalisation du jeu « cohérente et systématique« .

Une telle politique sera présumée avoir été mise en place si l’État en question a chargé une autorité administrative indépendante d’encadrer et de contrôler l’activité de prise de paris sur son territoire, si les monopoles nationaux sont contraints de limiter leurs actions promotionnelles et leur clientèle, et enfin s’il existe une politique nationale efficace visant à prévenir les abus du jeu.

En l’espèce, la CJCE a considéré que l’État italien ne menait pas une politique de canalisation du jeu « cohérente et systématique » et n’était donc pas en mesure d’interdire à un bookmaker anglais de proposer ses services sur le territoire italien par l’intermédiaire d’un serveur Internet.

A l’instar de l’Italie, il semble à ce jour peu probable que la France soit en mesure de revendiquer une telle politique de canalisation du jeu.

La France, attentive aux sirènes de Strasbourg, a adopté en février dernier deux décrets imposant à la FDJ des objectifs de canalisation de la demande de jeux et créé un « comité consultatif pour la mise en oeuvre de la politique d’encadrement des jeux et du jeu responsable » présidé par un magistrat . Cela suffira t-il? Peut-être pas. La liste des jeux proposés par la FDJ, régulièrement publiée au Journal officiel, et le marketing agressif de cette société fait de la France un « État croupier« , pour reprendre le titre du rapport du sénateur Trucy consacré à la politique des jeux et paris en France.

Le Gouvernement vient même d’annoncer qu’il envisageait de profiter du projet de loi de prévention de la délinquance pour renforcer les sanctions financières (jusqu’à 5 fois le montant de l’investissement publicitaire) en cas d’infraction à la réglementation des jeux et paris. Dans l’esprit de Jean-François Copé, ministre délégué au budget, celle-ci doit être suffisamment dissuasive pour ne pas « laisser exploser une offre de jeux incontrôlée« . Il est vrai que de nombreuses associations familiales, soucieuses de protéger les mineurs contre les dangers du jeu, sont favorables au maintien des strictes monopoles de la FDJ et du PMU. En outre, une vaste offensive contre les sites illégaux pourraient intervenir avant la fin du mois d’octobre.

Devant cet état de fait juridique, quelle réaction adopter pour les prestataires de services de jeux et paris sportifs ? S’incliner, comme l’ont fait beaucoup de sociétés , ou monter au front et se défendre, au risque de connaître de nombreux revers judiciaires avant d’obtenir, peut-être, une condamnation de la France par les autorités communautaires (Commission ou CJCE) ou un changement de législation ?

La deuxième attitude semble en 2006 reprendre de la vigueur. Le site Zeturf.com entend poursuivre sa défense en cassation tandis que Bwin a annoncé avoir déposé une plainte contre la France pour « violation des droits de l’homme« . Du coté de la Commission européenne, on annonce avoir déjà reçu une cinquantaine de plaintes, et la direction du marché intérieure, par la voie de son commissaire M. McCrevy, a d’abord indiqué qu’elle entendait « accroître le nombre de pays concernés par les procédures d’infraction » lors de sa réunion du 18 octobre, avant de préciser qu’une procédure viserait la France pour vérifier la conformité de son dispositif monopolistique avec les règles de concurrence.

Le bras de fer continue…

A Londres: une équipe dédiée au sponsoring sportif et aux jeux et paris

Carl ROHSLER, associé au sein du département Commercial & IP à Londres, un des rares francophones de nos équipes d’Outre-Manche, a une pratique avérée du droit des paris, des casinos et des jeux. Présent depuis 10 ans dans ce milieu, il est cité par diverses revues spécialisées comme un expert de tout premier plan en Angleterre.

En juillet 2005, il a publié un ouvrage qui fait figure de référence, sur la nouvelle législation (Gambling Act 2005), qui entrera définitivement en vigueur le 1er septembre 2007, et qui bouleverse la réglementation du jeu outre-manche. Carl est par ailleurs intervenant extérieur à l’Université de Montpellier, dans le cadre du MASTER 2 droit des affaires DJCE.

L’équipe de Carl qui est composée de 3 autres avocats expérimentés, basés à Londres et à Birmingham, a mené à bien nombre de projets à la pointe du secteur, comme :

– Le premier contrat de parrainage dans le championnat anglais de football d’une société de paris en « peer-to-peer »;
– Le premier contrat de parrainage dans le championnat anglais de football d’une société de casino en ligne;
– Spots publicitaires pour une société de poker en ligne

Régulièrement, le cabinet conseille ses clients en matière d’obtention de licences à l’étranger et sur les risques juridiques complexes inhérents à ce secteur en pleine mutation.
mailto:carl.rohsler@hammonds.com