« …la lancinante question de ce que je pourrais bien faire, en « voyage » à Paris, qui ne soit pas du journalisme pittoresque ou de la sociologie de comptoir » s’interroge Jean Rolin, journaliste, écrivain et voyageur dans Zones [1] . Toponymie et dates sont d’une exactitude maniaque dans une déambulation au cours de laquelle l’auteur pose sur les êtres et les choses de rencontre un regard sans préjugés ni arrogance, avec juste ici ou là un rapide éclat de rage ou un sourire délicatement ironique.

L’inventaire de la géographie urbaine se poursuit pareillement dans La clôture [2]. Le boulevard Ney est le point de départ d’une divagation qui verra se croiser la personne contrastée du célèbre maréchal et quelques figures populaires qui vivotent vaille que vaille autour de la rue de la Clôture, jusque dans une caravane à l’intérieur d’un pilier soutenant le périphérique, tout cela sans pathos ni complaisance.

L’objectivité sans doute illusoire à laquelle prétendent les gens de presse, Rolin l’exerce dans Ormuz [3] Ce détroit hautement stratégique, enjeu des tensions entre les États-Unis et l’Iran est décrit avec l’exigence d’un auteur du Nouveau Roman. Le narrateur prépare pour un champion assez improbable la traversée à la nage plutôt courageuse du lieu. Alors il observe, avec l’acuité de regard d’un expert militaire, il raconte, et on a envie de le suivre.

On accepte tout aussi bien de le voir participer à l’absurde aventure d’une voiture usagée qu’il s’agit d’acheminer jusqu’au Congo dans L’Explosion de la durite [4] . Le lecteur y croisera les ombres de Lumumba, Mobutu et…Joseph Conrad.

Sous des latitudes diverses qui vont de Moscou à Tijuana, de Haïti à la Roumanie et ailleurs encore, il va à la recherche des chiens, non pas les fidèles gardiens de nos paisibles demeures mais leurs congénères errants qui sont les figures emblématiques des terres de conflits, héros de Un chien mort après lui. [5]

Tous ces « théâtres d’opérations », le journaliste les a connus et c’est à partir de cette expérience qu’il imagine dans son dernier ouvrage, un « roman » dûment étiqueté comme tel cette fois : Les évènements [6], une situation de guerre civile dans notre pays, née d’un conflit de civilisation…
On se remettra de cette peu réjouissante perspective à travers les pages de Le ravissement de Britney Spears [7] où le narrateur, employé par les « Services », est chargé de veiller à la sécurité de la vedette planétaire que des terroristes menacent d’enlever. Épaulé par un paparazzi de haut vol, notre agent à Hollywood livre les échos croustillants et dérisoires qui font les délices de la presse pipole.

La singularité des livres de Jean Rolin est autant dans la pertinence du réel, quelle que soit l’histoire que dans la bienveillance d’un regard qui se garde de juger, car ces « choses vues » sont avant tout des choses ressenties et le lecteur y trouve sa part d’émotion.
   


[1] Gallimard 1995         195 p.  + Folio 1997, 176 p. [2] P.O.L. éditeur 2002, 247 p.  + Folio 2004, 256 p. [3] P.O.L. éditeur 2013, 218 p. [4] P.O.L. éditeur 2007,  221 p. + Folio 2008, 208 p. [5] P.O.L. éditeur 2009, 346 p.  + Folio 2010, 320 p. [6] P.O.L. éditeur 2015, 194 p. [7] P.O.L.éditeur 2011, 285 p. + Folio 2013, 272 p.