Lorsque le Professeur Didier René Martin entonne son cours de droit des obligations sur la force majeure, il répète avec un sourire élégant : "La force majeure, c’est comme les femmes, c’est imprévisible… irrésistible… et extérieur à nous, nous n’y sommes pour rien !".
Ces dernières années, certaines évolutions jurisprudentielles étaient venues reconsidérer les critères des "cas de force majeure" qui ont pour conséquence directe d’exonérer le débiteur d’obligations contractuelles ou délictuelles de verser des dommages et intérêts. Un redressement judiciaire, un changement de politique nationale n’ont par exemple pas été retenus comme des cas de force majeure, une grève des employés de l’EDF, si. En 1998, la jurisprudence de la Cour de cassation estimait que le seul caractère d’irrésistibilité suffisait pour qualifier le cas de force majeure. Quid de l’imprévisibilité dès lors ?
Par deux arrêts du 14 avril 2006, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation réaffirme les trois critères classiques pour caractériser la force majeure exonératoire en matière délictuelle, comme en matière contractuelle.
Dans la première espèce, la RATP a été exonérée de l’obligation de verser des dommages intérêts compte tenu du caractère imprévisible et irrésistible du comportement d’un usager qui avait décidé de se jeter sous un train.
Dans la seconde espèce, la Cour de cassation a retenu comme imprévisible la maladie dont avait été subitement victime le débiteur d’une obligation contractuelle, son décès, imprévisible, n’ayant pas permis la réalisation de l’obligation contractuelle.
En pratique, les rédacteurs de contrats ont besoin de prévoir les conséquences de l’imprévisible, de savoir ce qui sera interrompu, ce qui devra être néanmoins payé, sous quelle forme et comment, par qui… puisque les textes sont silencieux sur les implications concrètes de la force majeure et que la précarité de l’exécution d’un contrat n’est pas un risque acceptable.
Pour pallier le flou jurisprudentiel de ce qui pourrait être considéré comme imprévisible et/ou irrésistible, ils se sont évertués à établir des listes d’événements pouvant être "notamment" considérés comme irrésistibles et imprévisibles, courant le risque que certains cas non délimités ne soient pas inclus dans les cas de force majeure ou que seuls les cas listés présentant les critères appréciés par le juge soient considérés comme exonératoires.
Les arrêts du 14 avril 2006 devraient permettre une plus grande clarté et redonner un souffle aux juristes rédacteurs de clauses de force majeure.
Peuvent être introduites dans les clauses les subtilités les plus inventives pour pallier les conséquences d’événements imprévisibles, par exemple en tentant d’écarter l’obligation de réparation sur un type de dommages seulement, ou pour un certain délai, jusqu’à un certain montant, selon quelle procédure… mais cette ingénierie contractuelle ne doit pas atténuer les trois critères : extérieur, imprévisible et irrésistible.
A cet égard, il sera toujours bienvenu de s’inspirer pour ce faire des textes internationaux : "Est exonéré des conséquences de son inexécution le débiteur qui établit que cette inexécution est due à un empêchement qui lui échappe et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre de lui qu’il le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’il le prévienne ou le surmonte ou qu’il en prévienne ou surmonte les conséquences."