Un nouveau sujet d’indignation est apparu dans la jungle de l’internet. Certains prédateurs auraient des pratiques de prix « à la tête du client » ou plutôt « à la fréquentation du client ».
De quoi s’agit-il ?
Nous savons déjà qu’il est possible d’analyser le comportement d’un internaute à l’aide d’outils comme les cookies, utilisant l’adresse « IP » de son ordinateur. Nous savons aussi que sur la base d’un profil ainsi établi, il est possible d’envoyer de la publicité au dit internaute en fonction de ses centres d’intérêts et autres caractéristiques. Il s’agit du « marketing comportemental » ou « ciblé ».
L’« IP Tracking » évoqué dans la presse désigne le fait de faire varier le prix d’un bien en fonction de la fréquentation du site par l’internaute.
Un exemple de situation
M. A se connecte à un site d’e-commerce afin d’acheter des billets de transport, mais ne passe pas commande. Il se reconnecte depuis le même ordinateur (qui conserve la même adresse IP) quelques heures ou jours plus tard et constate que les prix ont augmenté.
Craignant que le prix du billet n’augmente encore, M. A, décide en général de ne pas repousser d’avantage le moment de passer commande.
Une première explication : le yield management
Le yield management, pratique qui consiste à faire varier les prix presque heure après heure en fonction du remplissage des trains ou des avions. Il s’agit du jeu de l’offre et de la demande. Plus le temps passe, plus les billets sont chers car ils se raréfient.
Ou alors…
Si l’on peut constater, étrangement, qu’un autre internaute, Mme B, se connectant au même moment au même site, afin d’acheter le même billet, voit le prix initialement proposé à M. A, alors que ce dernier a déjà vu les prix augmenter, il ne s’agit plus de yield management.
M. A ayant montré son intérêt pour le billet est incité par l’augmentation du prix à intervalle régulier, à acheter plus rapidement et, au passage, à un prix plus élevé que celui proposé à une autre personne au même instant.
« Concrètement, certains sites internet notamment dans le domaine du tourisme augmenteraient leurs tarifs, sans que rien ne le justifie, au fur et à mesure que l’internaute multiplie ses recherches, de façon à l’inciter à prendre une décision d’achat, craignant que le prix ne cesse d’augmenter. » [1]
Fantasme ou réalité ?
Il semblerait qu’aucune étude n’ait encore pu démontrer la réalité de ces pratiques. La SNCF notamment dément formellement avoir mis en place un système d’IP Tracking.
Actions des institutions
La Commission européenne saisie de la question, après avoir rappelé que l’adresse IP est une donnée personnelle, a précisé que le sujet relevait de la compétence des autorités de contrôle nationales. (www.europarl.europa.eu/sides/getAllAnswers.do?reference=P-2013-000873&language=FR)
La CNIL et la DGCCRF ont décidé de diligenter, en étroite collaboration, une enquête sur l’utilisation réelle de ces techniques par les sites de vente de billetterie en ligne. ( www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/ip-tracking-collaboration-en-cours-entre-la-cnil-et-la-dgccrf/)
En effet, il s’agit non seulement d’une question relevant de la protection des données personnelles (la collecte et l’utilisation étant faite à « l’insu du consommateur ») mais aussi de la protection des consommateurs à l’égard de pratiques commerciales déloyales (régies par l’article L.120-1 et suivants du code de la consommation qui visent « les procédés qui altèrent, ou sont susceptibles d’altérer de manière substantielle, le comportement du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service »).
L’article L.121-1 du code de la consommation considère notamment comme une « pratique commerciale trompeuse » celle qui est commise lorsqu’elle « repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur » et qui portent sur « le prix, le mode de calcul du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ».
Par ailleurs des projets d’amendement du code de la consommation ont été déposés pour condamner plus particulièrement cette pratique. [2]
Cette pratique, si elle est avérée, n’est que la partie immergée de l’iceberg compte tenu des possibilités qu’offrent les outils technologiques et l’inventivité de certains acteurs. Pour autant, il ne semble pas justifié d’interdire le marketing comportemental dans son ensemble. Ce serait aller à contretemps. La révolution du marketing et des modèles économiques s’organisant autour de lui est déjà lancée et elle offre bien des bénéfices aux consommateurs. L’enjeu aujourd’hui, comme par le passé, est de distinguer les pratiques loyales de celles qui ne le sont pas.
[1] Projet d’amendement du code de la consommation www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1156/AN/578.asp
[2] http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1156/AN/578.asp et http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1156/AN/544.asp
Stéphanie Faber est Membre de voxFemina – Paroles d’Experts au Féminin