1 euro=1.45 dollar !!. L’euro vit sûrement une période faste face au billet vert, il fait la joie des exportateurs allemands, celles des touristes européens à New York, mais fait grincher la France. L’euro a beau être fort, il n’en reste pas moins l’euro, monnaie unique des pays de la zone Euro.

Si l’euro a gagné la bataille du change (pour le moment), le dollar est sans conteste le vainqueur du symbole. Le US dollar, le fameux billet vert affublé des portraits des Pères Fondateurs et des Grands Hommes de cette jeune nation que sont les Etats Unis d’Amérique.

Le dollar est la monnaie nationale, mais il a aussi cours à Porto Rico (territoire américain), en Equateur, au Salvador, à Palaos, au Timor Oriental, en Micronésie, et dans les îles Vierges Britanniques, Marshall.

Le dollar cristallise toutes les passions, attire et repousse à la fois. Le dollar est le symbole universel de la réussite financière/sociale dans les sociétés modernes, mais il véhicule aussi un concentré de culture et d’histoire américaine. Sur le recto d’un billet d’un dollar figure le portrait d’un homme d’Etat américain, le sceau de la Réserve Fédérale (Federal Reserve), du Trésor (Treasury) et un numéro de série.

Sur le verso du billet, au centre apparaît la dénomination du billet en lettre ainsi que la sempiternelle devise « In God we trust ». A droite, le Grand Sceau (Great Seal) représentant le fameux pygargue à tête blanche tenant dans sa patte droite une feuille d’olivier pour la paix ; la patte gauche tenant des flèches pour la guerre, les plumes bleues de la queue représentent le pouvoir judiciaire, le haut du bouclier représentant le Congrès et la tête de l’aigle le pouvoir exécutif. Un ruban blanc dans le bec porte l’inscription E pluribus unum qui est la seconde devise nationale depuis 1776, le In God we trust ayant été adopté par le Congrès qu’en 1956, en réaction à l’athéisme soviétique.

A gauche figure un second Great Seal , qui représente une pyramide avec le chiffre 1776 en lettres romaines à sa base. La pyramide est symbole de permanence et de force, elle est inachevée comme portant augure de croissance future et de but de perfection. En haut du sceau figure l’inscription annuit coeptis, en bas novus ordo seclorum. Un éclat de soleil et un œil se trouve au-dessus de la pyramide représentant l’œil protecteur de la déité.

Cet œil, le même qui regardait Caïn dans la tombe après son effroyable crime, n’est pas visible par environ un million d’américains, pour la simple et bonne raison qu’ils sont aveugles. C’est à ce propos que le design du billet est désormais entre les mains de la justice américaine.
En effet, le 28 novembre 2006, un juge fédéral américain du district de Columbia (Justice James Robertson) a jugé que le dollar était discriminatoire envers les aveugles et déficients visuels, car tous les billets quel que soit leur montant, ont la même taille et ne peuvent être distingués par le toucher. Il a ordonné au Département du trésor (Treasury Department) de discuter de solutions dans les 30 jours, notamment sur la taille des billets.

Cette décision de justice, pour le moins étonnante intervient après une bataille juridique de 4 années entre le gouvernement et l’American Council for the Blind. En effet, comme Justice Robertson le note dans son jugement « sur 180 pays qui disposent de monnaie papier, seul les Etats-Unis impriment des billets identiques en taille et en couleur quel que soit le montant. »

A l’appui de son dispositif et à titre d’exemples le juge cite l’euro dont la taille des billets diffère selon le montant et qui dispose de numéros en surépaisseur et des patches en alu de différentes formes. Le franc suisse qui a des numéros perforés et des imprimés en creux, le yen japonais qui a des parties plus rugueuses et le dollar australien, la livre anglaise, le shekel israélien, le peso argentin et le ryal saoudien, qui tous ont des spécificités qui permettent de les reconnaître au toucher.

L’American Council for the Blind, qui a initié l’action en justice dirigée contre le Département du Trésor soutenait que la monnaie en papier était inaccessible aux aveugles, ce qui constituait une violation de l’article 504 du Rehabilitation Act (1973) qui interdit toute discrimination envers les handicapés dans le cadre des programmes gouvernementaux.

Quant au Département du trésor, ce dernier soutenait que produire des billets identifiables au toucher serait de nature à créer une charge financière indue de 178 millions de dollars (undue financial burden) pour le Bureau de gravure et d’impression du Département du Trésor (Bureau of Engraving and Printing), notamment par l’acquisition de nouvelles presses et planches à billets.

Justice Robertson rejeta l’argument en comparant les chiffres avancés avec le coût de la production de la monnaie depuis 10 ans qui s’élève à 4.2 milliards de dollars. Le Département du Trésor avança des arguments selon lesquels l’addition de nouvelles caractéristiques tactiles risqueraient de miner les efforts de lutte contre la contrefaçon, et de remettre en cause l’acceptation internationale du billet vert. Justice Robertson les balaya d’un revers de la main les qualifiant « d’absurdes ».

Ce jugement intervint alors qu’en 1995, la National Academy of Science concluait dans un rapport que trois caractéristiques pouvaient être ajoutés sur les dollars, à savoir une taille différente selon le montant des billets, une augmentation de la taille et du contraste des chiffres, ainsi que l’introduction d’une variété de couleur des billets pour aider ceux dont la vision est limitée.

En 1996 le gouvernement a procédé au redesign du billet vert en y ajoutant deux nouvelles caractéristiques : un nombre plus grand à une hauteur légèrement différente du reste des billets, ainsi qu’un symbole infrarouge afin de facilitant l’utilisation de lecteurs de billets pour les aveugles. M.Robertson a estimé dans son jugement que ces changements n’ont pas répondu aux recommandations de la National Academy of Science, et qu’ils avaient pour seul objet de prévenir la contrefaçon.

Le gouvernement a interjeté appel du jugement devant la U.S. Court of Appeals for the District of Columbia Circuit, présidé par Judge A. Raymond Randolph. Cette fois-ci la Court of Appeals semblait réticente à imposer le redesign du billet vert. – Où cela s’arrête t-il ? s’exclama le Président, -Les timbres postaux sont-ils illégaux ? Et les sites internet gouvernementaux ? Quand les facteurs laissent des notes écrites sur les portes, sont-elles discriminatoires ?- Il y une exposition de Hopper à la National Gallery, ces peintures violent-elles le Rehabilitation Act ?

Le Rehabilitation Act est vague quant à son champ d’application, Jeffrey A. Lovitky , avocat de l’American Council for the Blind soutient que les timbres postaux et les sites internet gouvernementaux rentrent dans le champ d’application de la loi. Mais la monnaie n’est pas identifiée dans la loi, et les juges semblaient hésiter à prendre le pas.

Des trois juges qui siégeaient, Justice Judith W.Rogers semblait la plus sensible aux arguments de l’American Council for the Blind, -Si tout le système de la monnaie est construit selon le postulat que tout le monde voit, cela ne prive t-il pas les aveugles d’y accéder ? – Mais ils ont un réel accès à la monnaie, et rien ne prouve qu’ils sont régulièrement escroqués par les commerçants rétorqua Jonathan F. Cohn, Deputy Assistant Attorney General. – Parce qu’ils s’en remettent à la gentillesse de parfaits étrangers ? lança Justice Rogers, s’ensuivit un éclat de rire dans la salle d’audience. Et Justice Griffith d’ajouter–Vous reconnaissez qu’il s’agit d’un problème significatif, n’est ce pas ?

Le débat déborda ensuite sur des questions relatives à la séparation des pouvoirs, en effet Justices Griffith et Rogers se sont interrogés sur la pertinence d’une intervention judiciaire. Alors que le Département du Trésor est saisi de la question et n’a toujours pas trouvé de solutions, un tribunal ne saurait avoir compétence pour dire à un officier ministériel que sa solution est mauvaise ou lui en imposer une.

La question de la discrimination des dollars envers les aveugles divise même les associations d’aveugles, Scott C. LaBarre avocat de la National Federation of the Blind qui s’est constitué partie civile avec le gouvernement, déclara que les aveugles rencontraient des problèmes plus importants. Il ajouta, « Aucune réglementation ne peut rendre la vue à un aveugle, aucune loi ne peut me faire voir les billets, les timbres ou les bâtiments fédéraux. » Marc Maurer, le Président de la National Federation of the Blind, ajouta dans le New York Times que « les aveugles combattront la discrimination partout où il la trouveront, mais nous n’accomplirons rien d’autre que de nous dépeindre faussement en victimes en s’engageant dans des procès superficiels. »

Le jugement est attendu à la mi février, et en attendant le sort des billets verts est entre les mains de Thémis… qui ne les voit pas !